L’Occident néolibéral, avec ces deux composantes géographiques, la sphère anglophone (Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne) et l’Union européenne (UE), a décidé de hausser le ton contre le pouvoir autocratique en Tunisie et de lui faire assumer, de manière inique, trois graves responsabilités.
Celle de bloquer, par l’effet du rétrécissement des libertés (mise au pas de la justice, interrogation de journalistes…), la transition démocratique au financement de laquelle les Occidentaux estiment avoir contribué de manière significative, celle de mener l’économie du pays vers l’effondrement en raison de la tendance du gouvernement tunisien à traîner la patte avant de signer l’accord technique conclu le 15 octobre 2022 avec le FMI pour l’obtention de facilités de paiement de 1,9 milliard de dollars. Et enfin, celle de constituer une menace régionale, particulièrement pour l’espace européen en refusant de recevoir les migrants subsahariens en situation irrégulière et de tenir à leur endroit, comme prétendent les Occidentaux, des propos raciaux.
Les injonctions occidentales envers le pouvoir en Tunisie se sont focalisées, en apparence sur le retard qu’accuse la signature de l‘accord du FMI. Des responsables américains et européens ont exprimé, ces derniers jours, « une forte inquiétude que l’économie tunisienne s’effondre si un accord n’est pas signé entre la Tunisie et le FMI ». C’est pourtant, ce dernier (Fonds) qui a pris la grave décision au moment où le
pays saigne de déprogrammer, le 22 décembre 2022, la finalisation de cet accord prétextant, semble-t-il, que le président Kaïs Saïed n’a pas signé le projet d’accord présenté au Conseil d’administration du Fonds, comme si la signature du gouvernement en exercice ne suffisait pas.
L’Occident néolibéral… a décidé de hausser le ton contre le pouvoir autocratique en Tunisie et de lui faire assumer, de manière inique, trois graves responsabilités.
Des propos inacceptables
Pour rappeler succinctement les propos des diplomates occidentaux, le haut représentant des Affaires étrangères de l’UE, Joseph Borell, a déclaré, le 20 mars 2023, redouter un effondrement du pays qui « risque de provoquer des flux migratoires vers l’UE et entraîner une instabilité dans la région MENA », et exhorte les autorités tunisiennes à signer un accord avec le FMI : « L’Union européenne ne peut pas aider un pays incapable de signer un accord avec le Fonds monétaire international », avait-il ajouté.
Deux jours après, le 22 mars, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a déclaré devant le Sénat américain que « nous les encourageons (les Tunisiens) fortement à le faire [signer un accord avec le FMI] parce que le risque est que l’économie s’effondre ».
Des responsables américains et européens ont exprimé… « une forte inquiétude que l’économie tunisienne s’effondre si un accord n’est pas signé entre la Tunisie et le FMI
Réagissant à ces déclarations qualifiées de « très dures » par les observateurs, les autorités tunisiennes les ont qualifiées propos «disproportionnés » et, quelque part, comme une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures de la Tunisie.
Dans cette même réaction, le ministère tunisien des Affaires étrangères a rappelé deux choses importantes.
D’une part, la Tunisie reste ouverte à un partenariat responsable, respectueux et d’égal à égal avec tous ses partenaires. D’autre part, elle recadre, diplomatiquement, les Américains et Européens et leur rappelle leur tendance à ignorer leur responsabilité dans la situation qui a prévalu en Tunisie, notamment depuis 2011 et jusqu’au 25 juillet 2021.
Interpellée par l’agence Reuters sur cette lecture tunisienne des choses, la secrétaire d’État adjointe américaine Barbara Leaf, venue en Tunisie le 23 mars 2023, dans le cadre d’une tournée africaine, a déclaré que «les amis parlent aux amis avec honnêteté; nous critiquons là où la critique est méritée, ce n’est pas une ingérence».
Seulement, tout le monde sait que ces propos de Leaf sont des balivernes américaines et nous rappellent cette célèbre citation du président Charles de Gaulle : «Les Américains n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts».
Les autorités tunisiennes les ont qualifiées propos «disproportionnés » et, quelque part, comme une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures de la Tunisie.
L’Algérie, l’Italie et la France manifestent leur soutien à la Tunisie
Abstraction faite de ces échanges de déclarations tuniso-américano-européennes, de nouveaux acteurs sont entrés en jeu pour apporter, dans cette affaire tunisienne, un soutien inattendu au pouvoir en Tunisie. Il s’agit des deux voisins directs de la Tunisie : l’Italie et l’Algérie.
La présidente du Conseil italienne, Giorgia Meloni, a rappelé, le 21 mars 2023, devant le Parlement italien, la situation dramatique de la Tunisie et la nécessité d’assistance de l’Italie en vue de la conclusion d’un accord avec le FMI. Le lendemain, devant le Sénat italien, elle a souligné les conséquences migratoires qu’aurait un effondrement de la Tunisie: « Nous risquons une invasion si l’Europe ne bouge pas ».
Mieux encore, l’Italie a amené dans son sillage la France. Réunis le 24 mars 2023, en marge du sommet européen, le président français Emmanuel Macron et Giorgia Meloni ont appelé à soutenir la Tunisie, confrontée à une grave crise financière, afin de contenir la «pression migratoire» que ce pays représente pour l’Europe.
Interpellée par l’agence Reuters sur cette lecture tunisienne des choses, la secrétaire d’État adjointe américaine Barbara Leaf, a déclaré que «les amis parlent aux amis avec honnêteté; nous critiquons là où la critique est méritée, ce n’est pas une ingérence»
Mention spéciale pour l’Italie qui est passée directement à l’action. Elle a décidé, le 20 mars 2023, de fournir 110 millions d’euros aux petites et moyennes entreprises tunisiennes par l’intermédiaire de l’Agence italienne pour la coopération au développement (AICS).
Par ailleurs, selon Reuters, le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tajani, a été amené à faire du lobbying auprès du FMI en faveur de la Tunisie. Il a exhorté la directrice générale du Fonds à débloquer les négociations avec la Tunisie, qui sont au point mort depuis des mois et à faire preuve de souplesse afin d’éviter un éventuel effondrement financier de la Tunisie.
De son côté, la France s’est engagée à soutenir la Tunisie. Son ambassadeur à Tunis, André Parant, a déclaré, le 25 mars 2023, que son pays est disposé à couvrir tous les besoins financiers supplémentaires de la Tunisie, au titre de 2023 et 2024.
Mais avec une condition: que la Tunisie s’engage dans la mise en application du plan de réformes structurelles proposé au FMI.
Pour sa part, le président algérien, Abdelmajid Tebboune, a été plus loin. Il a été même frontal, offensif et déterminé à être aux côtés de la Tunisie. Dans une interview accordée, le 22 mars 2023, à la chaîne qatarie Al Jazeera, il a souligné que «La Tunisie fait face à un complot, mais l’Algérie la soutiendra. Nous n’abandonnerons jamais la Tunisie, n’en déplaise à certaines parties», a-t-il martelé.
Par delà les déclarations des uns et des autres, la question qui se pose dès lors est de savoir quelles sont les véritables raisons voire le non-dit qui ont poussé les Américains et les ultralibéraux européens à hausser le ton contre le pouvoir en place en Tunisie, à œuvrer à le déstabiliser.
Cet angle de vue fera l’objet de notre prochain article.