Parvenir à une sécurité alimentaire et énergétique serait la condition sine qua non pour que les pays arabes puissent faire face à la vague actuelle d’inflation et s’immuniser contre de nouvelles vagues, a affirmé l’économiste et conseiller de l’Institut arabe de planification (Koweït), Moez Labidi.
Dans une note sur “L’augmentation des taux d’inflation dans les pays arabes” publiée par l’Institut arabe de planification, Labidi explique que les fluctuations des prix mondiaux du pétrole, les changements climatiques et les fortes augmentations des prix internationaux des produits alimentaires, associés à des facteurs géopolitiques tels que la crise russo-ukrainienne, ont entraîné une forte augmentation des taux d’inflation dans la plupart des pays du monde, y compris les pays arabes.
“Afin de contenir ces vagues d’inflation, de nombreuses banques centrales ont eu recours à la hausse des taux d’intérêt, mais ce type de politique monétaire pourrait compromettre l’effort de relance qui repose sur la reprise de l’investissement et le rétablissement des équilibres macroéconomiques qui ont été lourdement affectés par la crise pandémique…Les banques centrales se trouvent ainsi, face un double défi entre l’objectif de contrôler l’inflation et celui d’éviter la récession économique”, a-t-il souligné.
Ajoutant que “tant que la sécurité alimentaire et énergétique ne sont pas assurées, l’efficacité des politiques monétaires n’est pas à elle seule suffisante pour limiter les nouvelles vagues d’inflation, et cela quel que soit le degré de crédibilité des Banques centrales. Les économies de la région arabe ont en effet besoin de mettre en place des politiques générales et des plans sectoriels selon une vision stratégique intégrée et cohérente, visant à atteindre la sécurité alimentaire et à accélérer la transition énergétique”.
Selon lui, “pour améliorer la sécurité alimentaire et réduire ses répercussions sur la balance des paiements (pression sur les réserves en devises) et le budget de l’Etat (augmentation des dépenses de compensation), il faut:
– premièrement, adopter une agriculture intelligente face au climat qui vise à transformer les systèmes agricoles pour un meilleur soutien de la sécurité alimentaire (repenser les cultures fortement consommatrices d’eau, inciter les agriculteurs à utiliser des pesticides biologiques, favoriser l’usage de matériel de récolte qui fonctionne a l’énergie solaire , encourager les cultures hors sol, introduire des techniques innovantes pour réduire l’eau consommée et augmenter la productivité, réduire l’utilisation de produits chimiques dans l’agriculture, qu’il s’agisse d’engrais ou de pesticides, et convertir les systèmes d’irrigation traditionnels au goutte-à-goutte ou à la pulvérisation…);
– deuxièmement, il faut orienter la recherche scientifique, en développant des semences (blé, orge, maïs, coton, riz, etc.) moins consommatrices d’eau. Troisièmement, il faut développer la coopération entre les pays disposant de vastes terres agricoles et ceux ayant des excédents financiers élevés”.
Banques centrales et politiques budgétaires publiques
Labidi estime que les Banques centrales ne peuvent, par ailleurs, renforcer l’efficacité de leurs politiques monétaires dans la lutte contre l’inflation sans une coordination totale avec les politiques budgétaires publiques et le développement d’outils non conventionnels.
“Resserrer les politiques monétaires en les limitant à une forte hausse des taux directeurs de manière continuent, sans procéder à des réformes fondamentales, pourrait affaiblir la croissance économique, augmenter le chômage et approfondir la fragilité sociale”;
A contrario, “la baisse hâtive et incessante des taux d’intérêt pourrait entraîner les banques centrales dans une trappe à liquidité et faire perdre toute efficacité à la politique monétaire traditionnelle”.
Nécessité de développer les marchés obligataires
Toujours selon lui, il devient impératif pour les gouvernements de développer les marchés obligataires, afin de favoriser l’émergence d’une courbe des taux, qui serait d’une grande utilité pour dynamiser la gestion du risque de taux d’intérêt et enrichir les politiques monétaires par des outils non conventionnels.
L’économiste considère, par ailleurs, qu’il est impossible de mettre en place des politiques monétaires efficaces de lutte contre l’inflation face à un endettement intérieur élevé, car chaque hausse des taux directeurs resserre l’étau sur les finances publiques, en mettant le budget de l’Etat sous la pression du niveau croissant du service de la dette.
Nécessité d’assainir le climat social…
Face à cette vague d’inflation, Labidi appelle aussi les gouvernements à “assainir le climat social de concert avec les acteurs sociaux, car une inflation élevée augmente le risque de transmission des pressions inflationnistes vers d’autres secteurs, ce qui générera une inflation plus durable.
Les Banques centrales sont appelées à relever les niveaux de vigilance afin d’éviter de sombrer dans la spirale ” hausse des prix – hausse des salaires “.
Les gouvernements sont tenus, à leur tour, d’agir de concert avec les acteurs sociaux pour que la hausse des prix ne débouche sur des revendications d’augmentations salariales qui ne tiennent pas compte des équilibres financiers de l’Etat “.
Et de conclure : “les Banques centrales des pays arabes sont aussi appelées à renouveler leurs politiques de communication, face à l’incertitude croissante nourrie par la multiplication des chocs économiques et extra-économiques et la montée de l’irrationalité dans le discours économique. Elles sont appelées à repenser leurs politiques de communication, afin de pouvoir réussir l’ancrage des anticipations économiques et d’assurer une meilleure compréhension des décisions de politique monétaire par les acteurs économiques”.