L’impact du stress hydrique peut coûter au pays entre 0,3 et 0,4 point de croissance en 2023, affirme l’économiste Ridha Ckhkondali, dans une interview accordée à l’agence TAP, reprenant ainsi les craintes exprimées par la Banque centrale de Tunisie (BCT) relatives à l’impact du stress hydrique sur la croissance économique du pays.
En effet, le Conseil d’administration de la BCT, réuni le 22 mars 2022, a rappelé que l’inflation s’est maintenue sur une tendance haussière pour atteindre les 9,8% en glissement annuel, en novembre 2022, contre 6,4% en novembre 2021.
Cette évolution, due essentiellement à l’envolée des prix internationaux des produits de base et de l’énergie, aux répercussions du stress hydrique et à l’ajustement à la hausse de certains prix administrés tels que le carburant, a revêtu un caractère généralisé très préoccupant.
Question : Le Conseil d’administration de la BCT a lié certains volets de la croissance au stress hydrique. Comment vous expliquer cette relation ?
Ridha Ckhkondali : Les changements climatiques à l’échelle mondiale ont paralysé l’approvisionnement alimentaire et la production agricole, notamment les produits de consommation, causant ainsi l’augmentation de leurs prix, vu la baisse de la production mondiale et l’endommagement des chaînes d’approvisionnement des produits agricoles.
En Tunisie cette conjoncture a contribué à la hausse des prix et la baisse des réserves en devises du pays, lesquelles (réserves) ont atteint la barre de 95 jours d’importation, d’où la nécessité de mobiliser davantage de ressources en devises.
Par ailleurs, la situation n’a cessé de s’aggraver en l’absence de la conclusion de l’accord avec le Fonds monétaire international (FMI) pour mobiliser 1,9 milliard de dollars.
Un autre problème est à l’origine de cette situation. La Tunisie, un pays importateur de produits alimentaires, n’a pas élaboré suffisamment de stratégies pour faire face au changement climatique, d’autant plus que la production agricole est basée sur les eaux de pluies collectées dans les barrages.
La Tunisie devrait revoir ses priorités et hisser la question agricole au rang des priorités urgentes. Le pays est surpassé en termes d’impulsion du secteur agricole dont la situation s’est aggravée après la crise de Covid-19 et la guerre russo-ukrainienne.
La Tunisie n’a pas élaboré suffisamment de stratégies pour faire face au changement climatique
En se référant à ce qui s’est passé auparavant, comment le stress hydrique peut-il exercer une pression sur les rouages de l’économie nationale ?
La sécheresse réduit les réserves d’eau au niveau des barrages, ce qui pousse l’Etat à adopter une politique de rationalisation de l’eau tout en accordant la priorité au secteur de l’eau potable plutôt que l’irrigation des cultures, ce qui provoque automatiquement une baisse de la production locale de plusieurs produits de base, tels que les céréales, les légumes et les fruits.
Pour combler cette pénurie, l’Etat est obligé d’importer ses besoins de l’étranger qui impactera nécessairement ses réserves en devises, en particulier, dans un pays comme la Tunisie, qui prévoit de conclure un accord avec le FMI destiné à mobiliser des fonds supplémentaires pour le budget de 2023.
C’est pour cette raison que les inquiétudes du Conseil d’administration de la BCT au sujet de la croissance économique et sa subordination à plusieurs facteurs, dont le stress hydrique, restent réelles, compte tenu du recul des réserves d’eau et le déficit croissant en pluies.
La Tunisie peut négocier avec la Banque mondiale et la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures afin de mobiliser des financements destinés à renforcer sa sécurité hydrique
Quelles solutions pour sortir de cette crise ?
L’Etat doit nécessairement intervenir dans le secteur agricole en mettant en place des politiques pour réduire les coûts et assurer le secteur contre les pressions climatiques et géostratégiques.
Les décideurs et les professionnels doivent éloigner le secteur agricole des tiraillements politiques et identifier les opportunités à même d’ouvrir le secteur agricole aux investissements étrangers pour faire face au problème du stockage d’eau à travers la réhabilitation des barrages et la construction de nouveaux ouvrages pour stocker les pluies pendant les saisons pluvieuses.
La Tunisie, qui enregistre des difficultés de financement extérieur pour les projets d’eau, peut négocier avec la Banque mondiale (BM) et d’autres banques régionales – telle que la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII) – afin de mobiliser des financements destinés à renforcer sa sécurité hydrique et assurer, ainsi, la relance économique du pays.