TebbouneL’Algérie entreprendrait une démarche auprès des pays arabes donateurs en vue d’un appui financier à la Tunisie, comme solution alternative à l’accord du FMI. Quelle issue et quelle portée à une telle initiative ?

Lundi 27 mars 2023, le quotidien algérien Al Watan rapportait que le président Abdelmajid Tebboune, lancerait une initiative d’appui financier au bénéfice de la Tunisie. Cela porterait sur une enveloppe de 3 à 4 milliards de dollars américains. Et le chef de l’Etat algérien entend y parvenir en réalisant une syndication entre plusieurs pays arabes donateurs.

L’opération pourrait être bouclée au courant du mois de ramadan, soit avant la tombée du crédit qatari de 500 millions de dollars dont l’échéance est au mois d’avril prochain.

Cette proposition, si elle aboutissait, soulèverait une question cruciale sur l’opportunité autant que la viabilité de la création d’un marché arabe de la dette. Utopie ou réalité ?

La Tunisie sous l’emprise d’une crise de trésorerie étouffante

Faisons le point de la situation de la crise de la dette tunisienne. Le pays est en crise ultra sévère de trésorerie. Cela peut le conduire à un probable défaut de paiement. La suite serait d’aller devant le Club de Paris.

Cependant, nos principaux partenaires et même certains de nos voisins craignent que ce crash financier se prolonge par une onde de choc d’agitation sociale et politique. Et que, in fine, la situation ne puisse être sous contrôle. C’est la raison de tout le tohu-bohu, à l’international, que l’on observe actuellement autour de la survenue d’un éventuel effondrement en Tunisie.

Au pied du mur, la Tunisie est contrainte d’arracher un accord de financement au FMI. Et ce crédit ne couvre pas la totalité des besoins de financement du pays. Toutefois, il ouvrirait la vanne des crédits bilatéraux comme avec la France et l’Italie, sans compter qu’il libèrerait l’accès au marché de la dette. De la sorte, la Tunisie se préserverait d’une crise financière que tous s’accordent à croire qu’elle peut lui être fatale et pourrait même renouer avec la reprise.

Et comme disait Jacques Brel, « Et même si ce n’est pas sûr, c’est quand même peut-être ».

L’intransigeance des experts du FMI peut prendre l’allure d’un diktat de capitulation. Les réformes et l’amorce des réformes, sinon rien.

Les répercussions de l’accord du Fonds

La Tunisie a bien fait preuve de bonne volonté en amorçant le démantèlement des subventions avec la libération raisonnée du prix des carburants. Et par chance, ce tournant a été négocié sans soulever de contestation sociale, pour le moment. Mais la pierre d’achoppement de l’accord concerne le sort du secteur public. Et l’inflexibilité des experts du Fonds est perçue comme une volonté de pousser la Tunisie à mettre genou à terre et de s’en délester. Le gouvernement tunisien épaissit le mystère, n’osant s’ouvrir de la question à l’opinion tunisienne.

Il est vrai que les gouvernements qui ont précédé ont pris des engagements et ne s’y sont pas conformés. Il y a eu parjure financier, c’est d’accord. Cependant, on peut reprocher aux experts du Fonds leur négligence. Ils ont bien accordé un premier crédit au gouvernement de la Troïka sans s’assurer de sa causalité. Il y a tout lieu de penser que les experts ne se sont pas enquis de l’objet du crédit, laissant au gouvernement de l’époque sa libre affectation.

L’on ne dira pas que là est l’origine du mal, mais on ne peut s’empêcher de penser que c’est une des raisons qui ont conduit au surendettement de la Tunisie et à la dégradation de la situation du secteur public.

De facto, la fermeté du Fonds peut être perçue comme un “chantage“, laisse dire, en substance, l’article de notre confrère Al Watan. Et dans ce bras de fer, l’Algérie souhaite apporter autant une issue de secours qu’une sortie honorable.

L’initiative algérienne offre une voie alternative à la Tunisie qui peut trouver un écho favorable auprès du “’Club“ des pays arabes donateurs. La somme est si modique en considération des moyens financiers des pays donateurs, outre que la circonstance plaide pour un accord, a priori.

Al Watan cite une liste de trois pays, à savoir l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Qatar. Nous regrettons que le Koweït n’ait pas été cité, pourtant un pays qui a une bourse active et serait réceptif à l’idée de la promotion d’une place financière arabe.

Utopie ou réalité ?

En cas où l’initiative algérienne aboutirait, elle ferait coup double. Du côté tactique, elle raffermirait la solidité du tandem Alger-Tunis. Du côté stratégique, elle activerait le ressort d’une intégration financière, qui reste toujours une perspective plausible.

Rappelons que l’Algérie, si elle le voulait elle pourrait, à elle seule, réunir le montant estimé des 4 milliards de dollars. Toutefois une syndication conjointe réveillerait d’autres réflexes unionistes. C’est de bon augure de montrer dans ce contexte de crise internationale que les pays arabes demeurent un bloc qui peut se réanimer.

Cela reste toujours une idée neuve, un projet mobilisateur. Et puis, en filigrane, un certain bouclier de sécurité financière pour commencer et qui peut évoluer dans une direction stratégique. L’originalité de la situation est qu’une problématique d’intégration financière peut prendre forme, à l’occasion. D’un côté il existe des pays arabes largement excédentaires, et de l’autre des pays présentant des besoins financiers.

Ces conditions préfigurent le cadre de fonctionnement d’un marché. Que reste-t-il pour le faire émerger ?

Deux conditions seraient nécessaires, selon nous. La première est la garantie de bonnes pratiques, et en la matière, il est possible de mettre sur pied une structure de ratings pour la zone arabe.

La seconde est plus complexe mais tellement libératrice, à savoir la mise sur pied d’un système monétaire arabe*. Ces deux obstacles dépassés, on peut se laisser aller à rêver car un marché “commodities“ (marchandises) pourrait en dériver, ce qui accroîtrait les échanges commerciaux intra zone, profilant dans son sillage la perspective d’une intégration économique.

Par fait d’itération positive, cette initiative peut faire resurgir une voie positive pour tous. Et qui ne manque ni de cohérence ni de réalisme.

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*Quand Jalloul Ayed, alors ministre des Finances du gouvernement BCE, candidatait à la présidence de la BAD, nous avons évoqué, dans un entretien pour notre journal (wmc), cette éventualité et sa réponse, comme vous pouvez le vérifier, dans le texte de l’interview qu’il nous a accordée abondait dans ce sens.