Du 10 au 16 avril 2023, le groupe de la Banque mondiale et le Fonds monétaire international tiendront leurs Réunions du printemps à Washington avec pour gros titre : « Comment relever au mieux ces défis et favoriser la croissance, l’équité et la prospérité pour tous ? ».

1,6% de croissance au quatrième trimestre 2022, 10,4% d’inflation au mois de février 2023 et un taux de chômage de 15,2% ! On ne peut pas dire, 12 ans après le fameux soulèvement populaire qui a renversé le régime Ben Ali, que les choses vont mieux ou que le chômage des diplômés, fer de lance des fomenteurs du prétendu printemps tunisien, ait été résorbé.

Face à cet état des choses, quelles sont les chances de la Tunisie de sortir indemne du marasme économique dans lequel elle baigne depuis 2011 et plus précisément après que les gouvernement du butin de guerre ont vampirisé ses finances ?

Les indicateurs économiques sont au rouge, et à ce jour, personne ne sait si la lumière jaillira un jour et quand. « Le blocage est total, aujourd’hui dans notre pays, et il semble bien que les étrangers soient plus conscients que nous de la gravité de la situation. Le FMI ne signera aucun accord avec la Tunisie tant qu’il ne s’est pas assuré de l’effectivité de l’application des réformes », affirme un expert économique qui préfère garder l’anonymat.

La délégation tunisienne à Washington dans les réunions du printemps des institutions de Bretton Woods à Washington sera conduite par Samir Saïed, ministre de l’Economie et de la Planification, et, bien évidemment, Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque centrale, sera de la partie.

Samir Saïed et Marouane El Abassi pourront-ils convaincre le FMI d’accorder le prêt à la Tunisie ? Sont-ils partis avec de nouveaux arguments, un plaidoyer solide et des engagements fermes pour le lancement effectif et efficient des réformes ?

Au FMI, certains observateurs affirment que l’équipe de négociation chargée du dossier Tunisie a été rappelée à l’ordre, et que « des nouveaux punch lign ont été donnés pour la suite des négociations ».

Jihad Azzour, administrateur du FMI, chargé du dossier Tunisie, se départira-t-il de sa raideur stalinienne pour s’ouvrir à des solutions qui prennent en considération la particularité socioéconomique d’un pays mal gouverné tout au long d’une décennie ?

Européens et Italiens en tête en sont, pourtant, conscients, et pour cause, ils seraient les plus touchés par l’immigration illégale si la Tunisie tombe.

“Nous devons regarder l’Afrique avec des lunettes africaines et non européennes”, appelle Tajani

S’adressant tout récemment à la presse étrangère à Rome, le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani, a appelé à l’application des réformes en Tunisie, mais dit être contre le fait d’abandonner le peuple tunisien qui souffre. A ce titre, l’Italie a exprimé sa volonté d’aider les Tunisiens à sortir de ses difficultés économiques et finance les entreprises tunisiennes à hauteur de 110 millions d’euros.

L’Italie appelle aussi à changer de posture face à l’Afrique en respectant ses spécificités socioculturelles. « Nous devons regarder l’Afrique avec des lunettes africaines et non des lunettes européennes. Nous devons insister sur les réformes mais ne pas commettre l’erreur commise avec le printemps arabe, alors que les Frères musulmans se trouvaient dans les rangs des manifestants », déclare Tajani.

Pendant ce temps, que font les Tunisiens ?

C’est d’un véritable déficit de discernement que souffre la Tunisie au plus haut de la pyramide de l’Etat.

Car comment un pays rongé par l’inflation, par des déficits jumeaux structurels, endetté à hauteur de 80% du PIB et traînant plus d’une centaine d’entreprises publiques qui épuisent les finances de l’Etat, reste autant sourd à la nécessité d’engager des réformes profondes pour sortir de l’ornière économique épuisante dans laquelle il se débat.

Pire, l’Etat ne respecte même pas les lois qu’il a, lui-même, établies pour réussir un tel défi.

Dans la loi de finances 2023, on parle de cash-transfers pour les familles les plus défavorisées, on parle de la réduction des subventions, et pour preuve, la baisse des budgets alloués aux ministères de l’Industrie et du Commerce, mais dans la réalité, que nenni, rien de cela n’est appliqué alors que nous entamons le deuxième trimestre de l’année 2023 sans aucune avancée sur le plan économique.

La loi 89-9 sur les entreprises publiques adoptée par le conseil des ministres n’a pas encore été promulguée, et on se doute que le blocage vient du président de la République, ce qui donne l’impression que l’Etat a deux têtes qui ne réfléchissent pas de la même manière et ne suivent pas la même voie. Ce qui est inquiétant est que nous n’avons pas connaissance d’un conseiller hautement qualifié en économie dans le cercle très proche du président et qui pourrait le convaincre que pour bien servir la population, il faut développer l’économie et pas par des mesures populistes ou des discours attisant le rejet des créateurs de richesses.

Au train où vont les choses et en l’absence d’un accord définitif avec le FMI, la Tunisie risque fort la cessation de paiement.

Pour précision, la Tunisie devrait rembourser 9 milliards de dinars d’ici la fin de l’année, il en faudrait autant pour boucler le budget 2022, pas encore bouclé, sans oublier le déficit commercial qui ne pourra pas être couvert par les transferts du TRE ou encore le secteur touristique.

Comment combler le déficit courant généralement couvert par des emprunts à l’extérieur sachant qu’il y a un principal de la dette extérieure que nous devons rembourser ?

A l’échelle nationale, il y a risque que l’on ne puisse plus importer du carburant, des médicaments et des céréales, et au point où en sont les choses, la prime touristique pourrait aussi être réduite. Après tout, il y a des priorités à respecter.

L’Etat se débat mais jusqu’à quand ?

Pour l’instant, l’Etat tunisien se bat et essaye de convaincre ses partenaires de la justesse d’une démarche prudente concernant les réformes. Il est aussi en train de négocier le report des échéances de remboursement des prêts. C’est ce qui a, d’ores et déjà, été fait avec le Qatar. Mais comment le faire avec le marché financier international où il y a des millions d’emprunteurs ?

Mais le dénouement reste tributaire d’un accord définitif avec le FMI qui ouvre les portes vers une levée de fonds à l’international et rassure les partenaires de la Tunisie.

A situation exceptionnelle, peut-être que l’Etat tunisien choisira des mesures encore plus exceptionnelles au risque de changer ses alliances politiques et économiques traditionnelles. Se tourner vers la Chine qui se présente en tant que prêteur possible, mais à quel prix ?

Profiter des réunions du printemps pour finaliser l’accord de prêt avec le FMI est également une possibilité, à condition que le président de la République envisage de changer de posture et réétudie avec plus d’ouverture, le programme de réformes présenté par son propre gouvernement au Fonds. Mais cela nous paraît difficile quoique possible.

Possible, primo, parce que le président d’un pays en détresse doit regarder les choses avec l’œil du visionnaire en étant pleinement conscient des conséquences du blocage de certaines réformes sur le présent et l’avenir économique du pays.

Possible, secundo, parce que le président est allé vers l’approbation de lois même quand il ne les approuvait pas comme la loi des finances 2022.

Possible, tertio, parce que lorsque l’on veut sauver le peuple, il faut commencer par sauver l’économie et adopter les solutions proposées par des compétences confirmées.

Et maintenant monsieur le Président, vous qui décidez de presque tout, et maintenant, qu’allons-nous faire ?