« Aujourd’hui plus que jamais, l’urgence pour le peuple tunisien est socioéconomique ». La déclaration est du président de la République, Kaïs Saïed, « révélée » lors de sa rencontre en décembre avec Najla Bouden, cheffe du gouvernement, à l’occasion de la remise du projet de loi de finances qu’il a enfin accepté de parapher.
Quel bonheur de voir le président de la République réaliser l’importance de la chose socioéconomique, du reste indispensable pour la stabilité politique de tous les pays et garante du maintien des régimes en place partout dans le monde !
Partant de cette soudaine prise de conscience, le président de la République pourrait peut-être donner un coup de pouce « légal » à travers les fameux décrets présidentiels pour secouer la léthargie d’une administration publique qui freine et bloque irrationnellement des projets, dont les fonds sous forme de prêts ou de dons sont disponibles et s’élèveraient à plus de 4 milliards de dollars.
Il s’agit des fonds dont la Tunisie, confrontée aux divers refus des fonds internationaux, ceux du FMI en premier, a grandement besoin. Le FMI pourrait bien, s’il n’y avait pas d’accord final dans les prochaines semaines, être suivi par d’autres bailleurs si aucun effort sérieux n’est fourni pour récupérer le terrain perdu et si aucun engagement n’est respecté.
Dans pareilles circonstances, quels autres choix pour le pays que nous sommes devenus que de compter sur ce qui est disponible, outre les impôts et taxes pesant de plus en plus lourd sur aussi bien les particuliers que le secteur privé ?
Un grand coup de hache dans les process adoptés à ce jour pour la réalisation des projets publics, dans les lois, les procédures et les réglementations désuètes et paralysantes, c’est de cela qu’à besoin le pays, et c’est ce qui pourrait, en partie, sauver l’économie.
Pour cela, faute d’un Etat stratège, il faudrait peut-être passer à un Etat entrepreneur et ordonnateur pour sauver les meubles et commencer par finaliser des projets utiles pour le pays et pour les contribuables.
Loin d’espérer voir un jour des investissements publics dans les entreprises, le gouvernement Bouden pourrait peut-être œuvrer à achever les projets bloqués pour des raisons inconcevables et inacceptables dans la situation d’un pays en grandes difficultés financières.
L’aménagement du réseau central et de la station d’interconnexion Place Barcelone devenu un vœu pieux
Nous nous proposons, dans une série d’articles, de mettre en lumière le suivi de projets publics structurants financés dans le cadre des partenariats internationaux et dont la plupart n’ont pas été menés à terme.
Nous consacrons cette première partie au projet d’aménagement du réseau central et du réseau d’interconnexion de transports collectifs Place Barcelone devenu un vœu pieux.
Ce projet de réaménagement et de rénovation devait permettre de fluidifier la circulation dans le centre-ville en implantant une nouvelle voie de métro et en améliorant les infrastructures des stations de Bab Al-Khadra, Al-Joumhouriya et la Place Barcelone.
Le montant total de l’investissement s’élève à 310 millions de dinars (MDT). La durée contractuelle avec l’AFD (Agence française de développement) pour la réalisation du projet est de près de 7 ans (7/04/2017 – 31/12/2024).
Le financement de l’AFD est réparti comme suit : 75 millions d’euros sous forme de prêt et un don 650 000 euros. Aucun dinar n’aurait été, à ce jour, retiré du montant de prêt, alors que 15,4 % du don ont été exploités pour faire des études, ajoutés à 11 % du montant de 6,2 millions d’euros offerts par l’Union européenne et dont on ne pourrait plus profiter si les délais de réalisation sont prescrits.
Ce qui est aujourd’hui en partie le cas, puisqu’à cause des retards accusés dans la réalisation des études et le démarrage du projet, le surcoût du prêt se situerait entre 4 et 5 millions d’euros. Le coût d’annulation de l’accord s’élève pour sa part à 0,7 million d’euros.
Voyons maintenant les raisons des blocages :
- Les études techniques pour la préparation du dossier d’appel d’offres ont été stoppées à cause de la réserve émise par l’Ordre des architectes sur les modalités de l’appel d’offres classant le projet en tant que “bâtiment civil“ ;
- Le non ferme de l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL) à l’étude actualisée sur les impacts environnementaux pour les années 2016-2017 ;
- L’absence d’une étude foncière quant à la vocation du terrain ;
- La volonté de garder la vocation de la Place Barcelone en tant qu’espace vert ;
- L’intervention de la mission de l’Agence française, effectuée au mois de juillet 2022, qui a confirmé les entraves au lancement du projet dans sa version actuelle et a proposé d’annuler l’accord de financement et des financements pour de nouvelles études ;
- La proposition du ministère du Transport de revoir toutes les études relatives au projet appuyé en cela par le ministère de l’Economie et de la Planification et l’AFD considérant qu’il n’est pas viable.
Partant de ces constats, les pouvoirs publics pourraient bien s’orienter vers l’annulation du prêt en cours et vers le lancement de nouvelles études financées grâce au don de l’AFD et de l’Union européenne. On veillerait, cette fois-ci, à prendre en compte la configuration du réseau routier et ferroviaire actuel dans le choix des termes de référence pour l’élaboration de la nouvelle étude. Il aura donc fallu 5 ans pour arriver à cette conclusion.
Au vu des faits décrits plus haut, les questions qui se posent sont les suivantes :
– Comment les compétences administratives de la Tunisie ont pu lancer un appel à proposition pour un projet dont l’objectif, au vu de la réalité du terrain, ne pouvait pas être atteignable ?
– Comment peut-on s’aventurer à investir en temps, ressources humaines et argent sans avoir auparavant un plan de base définissant toutes les étapes du projet et étudiant tous les obstacles visibles et non visibles ?
– Comment l’équipe représentant les différents intervenants, dont le ministère du Transport, la SNTRI, la SNCFT, le ministère des Domaine de l’Etat et des Affaires foncières, le ministère de la Culture, l’APAL ont pu laisser la situation s’envenimer depuis 2017 et jusqu’en 2022 pour qu’arrive enfin une équipe de l’AFD appelant à réviser le projet de bout en bout ?
Que de temps et de fonds publics perdus en tergiversations, en allers-retours entre différentes administrations, en négociations stériles avec des corps professionnels pour que 5 ans après on estime qu’il vaut mieux annuler le prêt AFD avec ce qui s’en suit comme pénalités et revoir tout le processus depuis l’idée du projet, jusqu’à l’étude !
La faute à qui ? Aux lois en vigueur ? A une administration sclérosée et frileuse ? Ou au fait d’avoir écarté les compétences des sphères décisionnelles ?
Ce projet figure parmi beaucoup d’autres, conçus, financés et qui n’avancent pas. Nous en citerons d’autres.
A suivre !
Amel Belhadj Ali