Les fortes divergences de lecture des bureaux et institutions d’analyse financière concernant les obligations souveraines de la Tunisie reflètent un manque d’outils objectifs d’évaluation aux mains de l’industrie financière et ouvrent la voie à l’influence qui sert des agendas financiers internationaux.
Face à l’ambiguïté qui entoure les rapports élaborés par les différentes institutions internationales et par les agences de notation sur les obligations souveraines de la Tunisie, l’agence TAP tente de clarifier davantage cette question, en mettant l’accent notamment sur les différentes approches d’analyses et d’évaluation.
A rappeler que les obligations souveraines de la Tunisie cotées en devises sur le marché financier international inscrivent une forte baisse, amorcée depuis le 6 mars 2023. En termes de prix, les obligations d’échéance 2026 et 2027 cotent à leurs plus bas historiques, respectivement à 50,5% et 53,6%.
Une obligation souveraine est une obligation émise à moyen/long terme par un Etat dans une devise autre que la sienne et qui prévoit le remboursement à 100% du capital à l’échéance, selon le dico du commerce international.
Plusieurs facteurs qui influent sur le cours des obligations
L’expert économique et ancien ministre du Commerce, Mohsen Hassan, explique qu’une partie de la dette extérieure s’inscrit dans le cadre des emprunts obligataires, à travers l’émission des obligations sur le marché international.
Il précise, dans ce cadre, que la valeur des obligations sur le marché international varie, soit en hausse ou en baisse, selon plusieurs facteurs liés à la capacité de l’Etat à rembourser ces obligations, dont la notation souveraine.
Ainsi, les indicateurs économiques dans une économie (taux de croissance, avoirs en devises, déficit de la balance courante et du budget, taux d’endettement extérieur, chômage), influencent la valeur des obligations, soit vers la hausse ou vers la baisse, du fait que les investisseurs décident sur la base de ces indicateurs.
Des rapports contradictoires
Un rapport publié en avril 2018 par l’agence de presse internationale Reuters a révélé que la valeur des obligations tunisiennes en dollar, qui sont des obligations d’endettement garanties par l’Etat sur les marchés internationaux, a chuté au plus bas niveau jamais atteint.
Et d’expliquer cette régression par la décision prise par les autorités tunisiennes d’interdire les réunions aux sièges du parti politique Ennahdha.
Le même rapport précise que la valeur nominale de la majorité des obligations a baissé de moitié, après une régression oscillante entre 0,2 et 1,3 cents (1 cent =1 dollar), soit près de 3,06 dinars, selon la dernière mise à jour sur le site de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Selon Reuters, la BCT émet des obligations à cause de craintes de défaut de paiement, mais cette lecture ne corrobore pas celle de la Banque d’investissement américaine JP Morgan. En effet, cette banque souligne que les obligations tunisiennes sont demandées par les investisseurs, étant donné que les avoirs en devises sont suffisants pour couvrir le déficit financier même si le pays ne parvient pas à conclure un accord avec le FMI.
La Banque américaine estime, toutefois, que les pressions financières pourraient influencer les efforts des autorités, appelant à l’impératif de concentrer les efforts pour réduire le déficit commercial et celui des paiements et garantir la pérennité de l’économie sur le long terme.
La banque a, également, souligné que la valeur des obligations tunisiennes demeure attractive, sauf que son rendement reste lié aux réformes.
Il y a lieu de rappeler que la question de la baisse de la valeur des obligations tunisiennes a déjà été soulevée. Selon des données publiées par des sources financières, les obligations tunisiennes libellées en devises ont régressé d’environ 4,6 cents, après les propos du président de la République, Kaïs Saied, sur l’accord avec le FMI portant sur le plan de financement de 1,9 milliard de dollars.
De même, les données du site “Tradeweb” ont révélé que les émissions tunisiennes libellées en euros ont subi une énorme baisse, car la valeur des obligations d’échéance février 2024 a baissé à environ 67 cents par euro, soit le niveau le plus bas enregistré depuis octobre 2022.
Ces données ont également montré une baisse des obligations tunisiennes libellées en dollars de près de 3,5 cents pour qu’elles soient vendues à près de 50 cents par dollar.
Des nouveaux refuges
L’apparition de nouveaux acteurs internationaux comme le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a radicalement changé le système financier international dans lequel sont apparus de nouveaux concurrents aux pays occidentaux.
Cette nouvelle conjoncture a poussé plusieurs parties à réclamer, lors des réunions de printemps de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, une réforme du système de Bretton Woods afin de garantir son adéquation aux nouvelles donnes géostratégiques dans le monde.
S’agissant de la Tunisie, plusieurs parties étrangères (agences de notation notamment) et nationales, comme la BCT, les ministères de l’Economie et des Finances, œuvrent à convaincre l’opinion publique tunisienne du fait qu’il n’y a pas d’autres alternatives à l’accord avec le FMI pour équilibrer les finances publiques, permettre au pays d’honorer ses engagements et améliorer la valeur de ses obligations souveraines sur les marchés financiers internationaux.
Toutefois, plusieurs facteurs, spécialement le niveau actuel des réserves de changes du pays plutôt “rassurant”, outre les opportunités de contracter des crédits bilatéraux et l’impact éventuel de l’amnistie fiscale, réfutent ces thèses appuyant l’idée qu’il est impossible pour la Tunisie d’en finir avec les institutions de Brettons Woods, qui ont déjà perdu beaucoup de leur influence, ainsi que leurs parts dans le financement des économies des pays notamment en Afrique et au Moyen-Orient.
L’épouvantail du défaut de payement
Plusieurs études ont révélé que les intérêts politiques et économiques dictent la position des agences de notation et des banques qui font pression sur la Tunisie pour signer un accord avec le FMI. Et de rappeler que le pays occupe une position stratégique qui attire tant les nouveaux groupements économiques régionaux que les pays occidentaux.
Des évaluations et des comparaisons
Certains experts considèrent que le dossier relatif à la capacité de la Tunisie à honorer les échéances de ses dettes est devenu un sujet politique, notamment pour les agences de notation et certaines banques internationales, lesquelles publient, chaque semaine, un rapport sur la Tunisie en le comparant avec des pays en situation fragile.
Les mêmes analystes soulignent qu’il n’y a pas d’explication pour toute cette focalisation sur la situation de la Tunisie et ses obligations souveraines, la qualifiant (focalisation) de “campagne dépourvue de toute approche scientifique d’évaluation”.
Il y a lieu de rappeler que le président tunisien avait fustigé les “diktats” du FMI et des prêteurs internationaux, indiquant que l’alternative pour les Tunisiens serait de compter sur eux-mêmes, en mettant en place un nouveau modèle de financement basé sur le renforcement des ressources propres, lesquelles (ressources propres) ont enregistré une nette augmentation, notamment au niveau fiscal, de +3,5 milliards de dinars en 2022.
La position exprimée par le chef de l’Etat tunisien sur les dangers de l’austérité imposée par les cercles du milieu financier international rappelle ses effets dévastateurs sur de nombreux pays d’Amérique latine et d’Asie, et explique aussi la position des puissances occidentales, désirant préserver leurs influences sur la Tunisie à travers leurs banques et leurs pôles financiers en mettant tout en œuvre en vue d’éviter au pays de se tourner vers de nouveaux partenaires économiques.