Cette fois ce n’était guère nécessaire de lasser ses chaussures de randonneur pour se lancer sur les pistes sinueuses et escarpées de Henchir Faouara menant au Djebel Semmama au nord-ouest tunisien (gouvernorat de Kasserine) où naissait, il y’a déjà 11 ans, la première édition de la Fête des Bergers, une aventure à dimension humaine qui, guidée par l’auteur du ” Silences des Hyènes, Adnane Helali, est devenue au bout de quelques années un véritable projet d’inclusion sociétal soutenu par l’engagement fort de plusieurs parties qui y ont cru pour se mobiliser et l’adhésion de la population de prime abord.
Le 2 Mai 2023, à l’occasion du vernissage de l’exposition ” Nuit étoilée de Semmama “, les bergers et bergères de cette région de Sbeitla, devenus au fil des années des agitateurs-animateurs culturels de leur région accompagnés d’une ruche d’artistes venus un peu de partout, ont été les invités de marque dans les quartiers de l’ambassade de Suisse en Tunisie pour célébrer ensemble le lancement des premières esquisses des séjours immersifs ” Sur la route de Semmama “, première action du programme ” TACIR” : Talents- Arts-Créativité-Inclusion-Recherche.
Un projet d’inclusion sociétal pour raconter Semmama autrement
Avec le soutien de la Coopération Suisse, partenaire stratégique, le programme TACIR mené en collaboration avec le Centre Culturel des Arts et Métiers de Djebel Semmama (CCAM) et le Centre culturel CIRTA pour la culture et la jeunesse au Kef est une initiative de l’association de multimédia et de l’audiovisuel Amavi, qui vient de prendre forme.
Et pour raconter Semmama autrement, une assistance cosmopolite -diplomates, tissu associatif, acteurs culturels, etc-, était au rendez-vous pour découvrir les fruits des rencontres, d’échanges et de créations inspirées de récits de vie restitués dans les œuvres exposées ou à travers un spectacle déambulatoire interprété par plusieurs voix mais parlant tous un langage universel, celui de la résilience : créer pour exister, résister pour vivre.
Avant de presser les pas pour suivre ce parcours artistique métissé mené par des artistes confirmés en provenance de sept pays de trois continents -Belgique, Chili, Espagne, Pakistan, Mexique, Argentine et la Suisse-, l’ambassadeur de Suisse en Tunisie, Josef Philipp Renggli, a souligné que cet événement s’inscrit dans le cadre des projets de coopération avec la Tunisie, qui est un pays prioritaire pour la Suisse notamment dans le secteur culturel. L’organisation d’un tel événement en dehors de Semmama qui a connu des attentats terroristes durant ces dix dernières années permettra à ceux qui ne vivent pas dans les hauteurs des cimes de poser un regard plus commode sur cette région qui regorge de richesses, de talents et qui a réussi avec la volonté de sa population à en faire un lieu de vie, de culture et d’espoir.
La culture n’est-elle pas ” cette expression pour lutter sans les armes, pour rêver sans dormir, pour nous ouvrir une fenêtre à tout ce qu’on ignore en passant notre temps à lire des rapports “, c’est par ces propos que la directrice du Département Développement et de la coopération suisse (DDC) Patricia Danzi en visite en Tunisie, a présenté l’évènement.
Un jumelage métaphorique qui devient réel
Prenant la parole, la présidente d’Amavi, Chiraz Laatiri a tenu à souligner que le programme TACIR vise à contribuer à l’inclusion sociale en permettant à des jeunes d’accéder à la créativité, et ce à travers l’accompagnement des projets créatifs, la formation des jeunes aux métiers de l’image, la stimulation de la culture entrepreneuriale et le soutien des initiatives innovantes.
De ce fait, avec la ” Nuit étoilée de Semmama “, la créativité prend son envol pour démarrer une nouvelle résidence itinérante avec cette première étape à Tunis a-t-elle ajouté.
Né de la conviction que dans un contexte de crise multiple en Tunisie, l’accès équitable à la culture et à la créativité est certainement un levier d’inclusion sociale et d’insertion professionnelle, TACIR peut modestement se prévaloir d’être considéré une Task-Force dans le secteur des industries culturelles et créatives (ICC), et en matière d’accompagnement de jeunes porteurs de projets de vie -des talents créatifs qu’ils soient diplômés ou autodidactes- où il y’a création, renouvellement esthétique et innovation.
Ce programme “engagé”, dit-elle, qui vient d’être accueilli par l’inspirant univers de CCAM Djebel Semmama et servi par l’engagement d’Adnen Helali qui demeure un modèle d’un artiste qui a réussi à transformer le paysage culturel à Kasserine, se poursuivra en 2024 à Gabes, Redeyef et Sidi Bouzid et en 2025 à Tozeur.
Derrière cette aventure, le porte-drapeau des bergers oubliés et des acteurs culturels de montagne, Adnen Helali, a relevé que les 11 éditions de la Fête des bergers marquent cet engagement fort à continuer à fêter la vie à Semmama et que l’espoir existe à travers ce jumelage métaphorique qui devient réel entre Semmama et les Alpes suisses mais aussi d’autres montagnes pour ne citer que la fameuse Vallée de la Hunza au Pakistan d’où est venu spécialement le flutiste Niaz Hunzai que le public pourra découvrir en concert le samedi 6 mai à la maison de la culture Ibn Rachiq.
Un Patchwork signé par 7 pays, 3 continents en prélude au périple du printemps
Ce qui a pu être réalisé ces derniers temps avec le soutien de la Coopération Suisse, a-t-il mentionné, est le fruit de ce large cercle de partenariat et d’amitié ayant permis de vivre des expériences uniques qui ont servi à construire pour cet événement un prologue qui n’est que l’aboutissement d’une résidence entre les bergers de Semmama et les artistes étrangers pour tisser autour des ” Tresses d’alfa ” les graines de l’amitié.
Invités à parcourir, le regard vif et l’oreille attentive, les différentes étapes de l’exposition où des sonorités multiples, des voix campagnardes, des rythmes folkloriques et jazzy, rythment les pas, les présents ont déambulé l’air conquis les différents lieux de l’ambassade, transformés en quelques heures en des circuits d’art. Des chansons pastorales, des notes chantées de voix de bergers ou de chanteurs confirmés, des sonorités de la ” gasba ” (Flute traditionnelle tunisienne), de la guitare, des percussions, font ressentir dans ce spectacle hybride, les gémissements de la terre qui souffre, de la mère qui enfante, d’âmes qui implorent à Dieu de guider les hommes sur la voie de la paix.
Pour réaliser ce patchwork, le flutiste chilien David Gutierrez, le pakistanais Niaz Hunzai, le jazzman mexicain Fernando Sanchez, la cantatrice espagnole Esther Farga, l’artiste belge Dran Xu II se sont associés au percussionniste suisse Juri Cainero, fondateur de la compagnie ONYRIKON, pour présenter l’oeuvre ” M’rachines ” dont les interprètes ne sont autres que des jeunes de Semmama.
Dans les quartiers de la diplomatie suisse à Tunis, la montagne enchantée de Semmama continue les 5 et 6 mai 2023 (14H-16H) de laisser ses traces dans l’exposition graphique “Transhumance”, où Khaled Khayati retrace les parcours des Troubadours du Djebel. Et aussi “Trig El Photo”, une exposition photographique imaginée par Mohamed Dabbabi, un enfant de la montagne aux côtés de créations artisanales des femmes de Semmama.
Entre Halfa, laine, crochet, poterie, bois, les différents produits des reines de la colline cadrent avec le “Land’art Halfa Klee/ Tons croisés” du jeune artiste espagnol Edgar Massegu qui s’est inspiré de l’œuvre de Paul Klee “Chameaux dans le paysage d’arbres” pour le monter.
En attendant que le public aille admirer ce travail transdisciplinaire baptisé “Nuit étoilée de Semmama” où se serrent les mains de Semmama, des Pyrénées et des Alpes suisses, avec des créations en halfa inspirées du tableau ” Nuit étoilée ” de Van Gogh, les bergers et les artistes ont pris hier 3 mai 2023 la route pour parfumer l’album de leurs voyages par de nouvelles senteurs dans une nouvelle destination “Tozeur” avec le périple du printemps ” Trig El Hattaya ” : une caravane avec de nouvelles rencontres plurielles où l’amour de la musique, de la rime et du rythme autour des musiques du monde seront au rendez-vous jusqau’au 7 Mai 2023 avec un grand nombres d’escales notamment à Gafsa, Kasserine, Hydra, Jendouba, Bou Arada, Dougga, Zaghouan, Siliana.