Dans un pays qui a toujours considéré l’éducation comme une priorité, il est étrange de constater que l’État est resté impuissant face à la rétention des notes des élèves pendant plusieurs mois au cours de l’année scolaire en cours. Ces mois d’attente ont privé les élèves de toute idée de leurs performances et des appréciations de leurs enseignants concernant leurs examens. De plus, une partie du corps enseignant s’insurge contre un accord entre le gouvernement et le syndicat visant à satisfaire les revendications salariales d’ici 2026. Une situation hallucinante !
Dans un pays où l’éducation a toujours été considérée comme une priorité, il est préoccupant de constater la détérioration des systèmes éducatifs. Lorsque les syndicats et une partie importante du corps enseignant deviennent complices de cette détérioration, quelle qu’en soit la justification, la menace devient plus grave.
Ce sont les futurs dirigeants du pays qui en pâtissent, ainsi que ses institutions et son économie. L’absence de compétences et les niveaux d’instruction et de compétences techniques insuffisants chez les nouvelles générations représentent une atteinte à la sécurité de l’État. En prenant en otages les enfants du pays pour des raisons principalement financières, nous hypothéquons l’avenir de toute une nation.
Bien que les revendications syndicales puissent être méritées ou légitimes, utiliser les élèves comme moyen de pression et soumettre l’État et les parents au chantage est contraire à l’éthique et indigne de ceux qui sont responsables de la formation des futures élites du pays.
Nelson Mandela disait : “L’éducation est une arme puissante pour faire évoluer les mentalités et transcender les différences”. Cependant, à mesure que les choses évoluent, cette arme, qui a permis à la Tunisie de se distinguer sur la scène internationale par la qualité de son système éducatif, a perdu de sa valeur et de sa qualité, et ne sert plus à grand-chose.
Depuis des décennies, cet acquis majeur de l’indépendance perd de son éclat. Ce déclin n’est certainement pas dû au développement de l’enseignement privé, qui est devenu aujourd’hui la planche de salut pour les parents de la classe moyenne, prêts à faire des sacrifices financiers pour offrir à leurs enfants une bonne éducation dans des établissements où les enseignants sont financièrement pénalisés en cas d’absence.
Les classes les plus modestes ne parviennent plus à bénéficier de l’ascenseur social en raison du manque de vision à l’échelle de l’État, de sa lâcheté et de la corruption de certains syndicalistes, dont certains ont inscrit leurs propres enfants dans des écoles privées, entraînant ainsi le déclin d’un système éducatif qui, autrefois, offrait aux plus démunis la possibilité de réaliser ce que leurs parents n’avaient pas pu accomplir.
À moins d’entreprendre une véritable réforme de l’éducation, de la maternelle à l’enseignement supérieur, en passant par le secondaire et la formation professionnelle, la Tunisie sera confrontée dans les prochaines décennies à un manque de compétences économiques et à une absence d’éducation entrepreneuriale.
Un gros budget et peu d’efficience !
Depuis l’indépendance, il y a eu confusion entre la qualité de l’éducation et le montant des budgets consacrés à l’éducation nationale considérée comme un secteur prioritaire en Tunisie. C’est ce secteur qui a reçu, lors de la dernière décennie la plus grande part du budget des secteurs sociaux, avec une moyenne de 22%. Les résultats préliminaires de 2021 montrent que les dépenses d’éducation ont atteint 28%du budget de l’Etat. Ce qui correspond à l’objectif de 20% de l’Éducation pour tous.
Bien que le niveau des dépenses soit élevé, il reste des progrès à faire au niveau de l’efficience, c’est ce qui ressort d’une étude conduite par le ministère des Finance en partenariat avec l’UNICEF, Join SDG Fund et Genesis. Les experts ont relevé que les ressources consacrées au secteur de l’éducation sont en majorité allouées aux traitements et salaires. « En 2019, les salaires et traitements représentaient 83% du total des dépenses d’éducation. Cela laisse peu de ressources disponibles pour soutenir d’autres coûts réguliers, tels que d’autres dépenses courantes comme l’entretien des infrastructures, les autres ressources éducatives et les investissements. La Tunisie pourrait donc réaliser des gains d’efficacité en travaillant sur la réaffectation des fonds ».
L’enseignement secondaire !
C’est l’enseignement secondaire qui reçoit la part la plus importante du budget de l’éducation, selon l’étude, avec 46% en 2021.
L’enseignement primaire reçoit une part plus faible : seulement 27 % en 2021. Ce qui est considérablement inférieur à la recommandation du Partenariat mondial pour l’éducation qui appelle à consacrer 50% du budget total à l’enseignement primaire.
“L’enseignement primaire est sous-financé alors qu’il devrait être une priorité. Le secteur de l’éducation s’illustre par une déconnexion entre les dépenses et la qualité. L’augmentation du nombre de diplômés ne s’est pas accompagnée d’une amélioration de la qualité. Il faut reconnaître que les combats des corps enseignants et leurs syndicats dans leur grande majorité n’ont pas été axés sur les infrastructures et les moyens requis pour améliorer le cadre éducatif et assurer un mieux-être aux élèves.”
Selon les mesures internationales telles que le Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves (PISA) et les Tendances Internationales du Suivi des acquis des élèves (TIMSS), la Tunisie se classe 66e sur 70 pays participants ! La plupart des étudiants obtiennent des résultats inférieurs au niveau des compétences, avec une nette dégradation entre 2012 et 2015.
En outre, la part du budget de l’enseignement supérieur (27 % en 2021) semble important par rapport à sa faible efficience, illustrée par le taux élevé de chômage des diplômés (30,1 % en 2020).
Le droit à l’éducation est constitutionnalisé en Tunisie mais qu’en est-il de la qualité de l’enseignement ? Et à quoi servirait-il de consacrer des budgets colossaux à un enseignement très approximatif ?
Les questions qui se posent aujourd’hui sont : est-ce que les programmes pour l’année en cours ont été effectués ou pas ? Et quelles sont les répercussions de l’inachèvement des programmes sur le degré de connaissances des élèves ?
Auquel cas, ne nous étonnons pas que les détenteurs du bac se retrouvent à l’université démunis de la maîtrise des langues, y compris l’arabe, et d’un enseignement-apprentissage constructif.
Source : Analyse budgétaire : Education, période 2010-2021.Les auteurs principaux de ces rapports sont Dr Lucia Corball, Hannah Rowett, Tomas Lievens (Genesis Analytics) et Dr Marwen Hkiri.