Celui que l’on surnommait ” Al Moujahed al Akbar ” (Le combattant suprême), Bourguiba, demeure omniprésent dans les images comme dans l’imaginaire de toutes les personnes, de l’ancienne comme de la nouvelle génération.
Des figures politiques ayant côtoyé Bourguiba de très près, des penseurs, des académiciens et des citoyens étaient présents, le samedi 3 juin, à une table ronde autour de “Bourguiba Aujourd’hui “, organisée aux Archives Nationales de Tunisie (ANT), et diffusée en streaming.
Des souvenirs, des confessions et des reproches ont marqué cette rencontre assez spéciale où l’humain a rejoint le politique dans une sorte de déclaration d’amour éternelle pour un homme patriote réputé pour sa grande culture, sa sagesse, son charisme et son attachement à ses concitoyens.
Les témoignages ont levé le voile sur des moments inoubliables que seuls ceux qui l’ont vécu peuvent ressentir l’intensité. Bourguiba, le président, l’orateur, l’intellectuel, le visionnaire. ” Al Moujahed al akbar ” était là avec tous ses états, sa vitalité, ses qualités, ses défauts, ses moments de doute ou de faiblesse, en un laps de temps résumant le parcours assez riche et unique d’un homme d’exception à plus d’un titre.
Bourguiba, un héritage intarissable
“Ma vie a été marquée par sa politique”, parlant notamment du Code du Statut Personnel (CSP) qui a révolutionné les codes sociaux et qui l’a conduit à être en rupture par rapport à la tradition, a avancé l’intellectuelle et féministe Faouzia Charfi dans un témoignage sur l’héritage de Bourguiba.
La démarche d’un politicien qui a osé la rupture sur deux grandes décisions, dit-elle, motivé par le fait qu’il croyait beaucoup à la Science : la détermination des fêtes religieuses et des mois sacrés par une méthode scientifique basée sur les calculs astronomiques (23 février 1960) et le choix du calendrier grégorien (loi 24 juillet 1965) qui s’inscrivait dans la tradition d’Atatürk qui avait adopté ce calendrier en 1926.
Parallèlement se cache une autre facette du régime bourguibien. L’ancienne secrétaire d’Etat a émis ses réserves quant à la relation de Bourguiba avec le concept de la modernité. ” Dès les années de l’indépendance, un certain aspect de ce que pourrait être la Tunisie, – la pluralité-, a été omis “.
S’agissant de la Constitution adoptée après l’indépendance en 1956, elle regrette le fait d’avoir ” écarté la pluralité dans le pays, en rapport avec les minorités religieuses ainsi que la composante ethnique, citant la communauté berbère qui s’est manifesté après 2011 et qui a été complètement occultée. ”
Entre Bourguiba et Sukarno
La réputation de Bourguiba ayant franchi les frontières trouve son écho auprès du géant asiatique, l’Indonésie, à travers un témoignage fort et émouvant de Zuhairi Misrawi, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la république d’Indonésie en Tunisie.
S’exprimant avec un bel accent en arabe littéraire, le diplomate est revenu sur l’amitié ayant réuni l’ancien président Sukarno et Bourguiba dont les portraits occupent chaque coin de l’ambassade.
Grand admirateur de l’œuvre de Bourguiba, il évoque un homme qui avait réussi à sceller des liens d’amitié éternels entre les peuples tunisien et indonésien et ce depuis les années 50 et sa visite à Jakarta avant même l’indépendance de la Tunisie. Entre Bourguiba et Sukarno, une longue histoire d’amitié basée sur les valeurs du respect, du travail et du patriotisme, a déclaré Misrawi.
Bourguiba était selon le diplomate, l’incarnation ” des grandes valeurs humaines, des principes, des philosophies et des valeurs morales et de l’amitié”.
” Bourguiba appartient à toute la Nation ”
Habib Bourguiba (3 août 1903 – 6 avril 2000) était au cœur de tous les hommages du 1er au 3 juin 2023 dans un colloque international intitulé “Habib Bourguiba, le fondateur ” dont les actes seront publiés dans un livre.
Pour le président de l’Académie Beit Al-Hikma, Mahmoud Ben Romdhane, l’intérêt pour ce colloque a dépassé toutes les attentes. Il a estimé ” un grand évènement pour notre pays jamais organisé durant les douze dernières années qui a été aussi respecté et important à la fois avec la contribution des divers partenaires.
” Notre Académie tenait à ressusciter la mémoire de ce fondateur qui a été occulté pendant 35 ans, dans ce colloque axé sur deux fondamentaux. Bourguiba appartient à toute la Nation, dit-il, et il a fallu adopter la diversité dans les points de vue y compris ceux qui se sont opposés à lui, dans le cadre d’une rencontre qui soit digne du niveau d’une académie, en prenant de la distance vis-à-vis du personnage et en l’abordant d’un angle académique “.
Un pari réussi, a affirmé Ben Romdhane, à la lumière du niveau des conférences et interventions ainsi que des débats avant de conclure : ” c’était notre manière de lui rendre hommage posthume et je pense qu’il aurait aimé entendre ce qui a été dit dans toute sa diversité y compris dans sa remise en cause, au moins dans certains moments de sa vie et de sa politique “.
“Bourguiba de retour” documentaire de Hichem Ben Ammar, sorti en 2017, a été projeté à la fin du colloque. Fiction ou réalité, ce retour semblait inévitable pour une bonne partie des Tunisiens qui n’arrivent pas à faire le deuil d’un président parti dans l’indifférence totale, sous son successeur.