Dans leurs rapports sur les projections de croissance en Tunisie pour l’année 2023, les trois principaux bailleurs de fonds de la Tunisie, en l’occurrence le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), ont non seulement révisé à la baisse leurs prévisions initiales mais ont conditionné les taux à réaliser au cours de cet exercice à la validation de l’accord technique conclu, le 15 octobre 2022, avec le FMI pour l’obtention de facilités lesquelles sont estimées à 1,9 milliard de dollars.
Dans son dernier rapport sur les perspectives de l’économie mondiale du mois d’avril 2023, le FMI a révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour la Tunisie à 1,3% pour l’année 2023, contre 2,5% en 2022 et table sur une hausse à 1,9% en 2024.
Pour les analystes, les prévisions du FMI pour la Tunisie sont à mettre en perspective avec les estimations de croissance de l’économie mondiale, de 2,8% en 2023 (après 3,4% en 2022) et de 3% en 2023, des pays émergents et en développement de 3,9% en 2023 (après 4% en 2022) et de 4,2% en 2024.
Le FMI entretient le flou
Au sujet de la poursuite des négociations avec la Tunisie, les responsables du Fonds maintiennent le flou. Dans une déclaration faite sur la chaîne Al Arabya, en marge des assises du printemps des institutions de Brettons Woods, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva (15 avril 2023), a interpellé les responsables tunisiens en ces termes : « nous lançons un appel aux autorités tunisiennes pour qu’elles fassent le pas qui reste à faire pour le soumettre au conseil d’administration du Fonds ».
Autre signe de possible reprise des négociations avec le FMI. Le directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds, Jihad Azour, a annoncé (…) qu’« une délégation du FMI rencontrera la ministre des Finances, Sihem Nemsia, et le gouverneur de la BCT, Marouane Abassi, pour s’informer sur les nouvelles décisions après la suspension des négociations à propos de la mise en application de réformes ».
Aucune date précise n’a été fixée. Il s’agit toujours de vagues supputations.
La Banque mondiale et la BERD plus pédagogues
Pour la Banque mondiale, la Tunisie devrait réaliser une croissance du PIB de 2,3% en 2023 à condition que des réformes structurelles “suffisamment ambitieuses” soient adoptées, indique l’institution dans un bulletin de conjoncture consacré à la Tunisie et publié en mars 2023.
Ces prévisions supposent la finalisation de l’accord avec le Fonds monétaire international (FMI) au cours du premier semestre de 2023 et la mobilisation d’un financement suffisant pour couvrir les besoins extérieurs et budgétaires, souligne la BM dans son rapport intitulé “Réformer les subventions énergétiques pour une économie durable” (Printemps 2023).
Elles supposent, également, la concrétisation des réformes fiscales dans la loi de finances 2023 dont celles relatives aux subventions et à l’élimination des obstacles entravant la concurrence.
Plus exhaustive, la Banque mondiale a indiqué que ces prévisions sont basées sur le taux de croissance des deux derniers trimestres de 2022, période présentant des conditions similaires à celles susceptibles de prévaloir en 2023, en termes de prix des matières premières et d’incertitude autour des conditions de financement.
Le taux de croissance prévu pour 2023 est également aligné sur le taux de croissance de long terme d’avant Covid-19 (2011-2019).
Et pour parer à toute éventualité, dans son rapport, l’institution financière internationale a estimé que ces prévisions demeurent exposées “à des risques significatifs à la baisse liés au rythme d’implémentation des réformes structurelles et à l’évolution des conditions de financement”.
A son tour, dans un rapport publié au mois de février 2023 sur les perspectives économiques régionales, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a révisé à la baisse ses prévisions de croissance économique pour la Tunisie, à 2,5% en 2023, contre 2,9% prévus dans son rapport publié en septembre 2022.
La BERD estime que les principaux risques pesant sur les perspectives de la Tunisie découlent du retard pris dans la mise en oeuvre des réformes, de la détérioration de la situation politique, de la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie et de «la faiblesse de la demande de l’Europe », principal partenaire économique de la Tunisie.
La conclusion définitive d’un accord avec le Fonds Monétaire International (FMI) pourrait fournir un financement et une assistance technique « indispensables » à la Tunisie et « renforcer sa crédibilité », afin de pouvoir « s’attaquer » aux réformes nécessaires, estime la Banque.
Enormes divergences
Par-delà les déclarations officielles des trois bailleurs de fonds, ce qui retient l’attention c’est la divergence des taux et l’écart entre les projections du FMI (1,3%) et celles de la Banque mondiale (2,3%) et de la BERD (2,5%). Ces divergences portent sur plus d’un point de croissance.
Est-il besoin de rappeler qu’un point de croissance c’est entre 15 et 20 000 emplois à créer, ce qui est loin d’être négligeable pour un pays comme la Tunisie confronté à un taux de chômage très élevé (15%).
Par ailleurs, la tendance de la Banque mondiale et de la BERD à conditionner tout octroi d’aide à la Tunisie au déblocage du prêt du FMI relève du verrouillage du système financier international et son corollaire, l’instrumentalisation des crédits à des fins politiques et géostratégiques. C’est ce qui expliquerait, en grande partie, l’émergence, à travers le monde, d’institutions concurrentes comme celles qui sont en train d’être mises en place dans le cadre des BRICS.