En dépit des alertes incessantes de citoyens par des appels mobiles et sur les ondes des radios de la place, le spectacle des canalisations d’eau potable éventrées, et son corollaire, l’eau qui coule des heures et des heures, parfois des jours et des jours, sans qu’il y ait une intervention des services d’eau du ministère de l’agriculture et de la SONEDE est devenu, hélas, un phénomène banal.
Interpellé un jour par les médias sur cette question, un haut responsable de ce sinistre ministère a essayé d’expliquer, avec humour noir, le phénomène par cette maxime attribuée au chimiste français Antoine lavoisier « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Selon lui, cette eau qui coule n’est pas du tout perdue, comme on a l’impression de le croire, elle va recharger d’une manière ou d’une autre les nappes souterraines qui constituent 80% des ressources en eau du pays.
Renseignement pris, à défaut de moyens financiers, ce ministère, et à travers lui la SONEDE, ne peut ni réparer ni sous-traiter les travaux de réparation auprès d’entrepreneurs privés parce qu’il ne peut pas les payer. Depuis une dizaine d’années les entreprises publiques se sont forgé la mauvaise réputation d’être de très mauvais payeurs.
Difficultés financières
Selon Raoudha Gafrej, ingénieure, Docteur en sciences de la terre, universitaire et consultante, cette incapacité des services du ministère de l’agriculture à réparer, dans les temps et avec la célérité requise, les canalisations endommagées est due à la gestion hasardeuse du secteur de l’eau. Concrètement, elle est due à trois principaux facteurs.
- Le premier, d’après elle, est à percevoir à travers l’absence de fonds de financements réguliers du secteur de l’eau. La tarification actuellement en vigueur que ce soit pour l’eau destinée à l’irrigation ou celle dédiée à l’eau potable est inappropriée et improductive. Elle est en dessous du coût de la mobilisation de l’eau et des charges d’exploitation et de maintenance. De ce fait, elle génère trop de gaspillage et de pertes d’eau.
Et l’experte d’ajouter : « Il n’est pas besoin de rappeler ici qu’à défaut de disponibilité de budget dédié exclusivement à l’entretien, les structures en charge de l’eau ont d’énormes difficultés à faire face, dans les temps, à une détérioration avancée et continue des infrastructures et des services dont la conséquence est l’augmentation des pertes d’eau ».
- Le deuxième indice, la mauvaise administration du secteur de l’eau réside dans la subvention de l’eau. « Ce choix n’a favorisé, jusque-là, a-t-elle dit, que le gaspillage de l’eau et la sous-valorisation de cet élément de vie. Pour justifier cette politique, le gouvernement a toujours prétendu qu’il cible particulièrement les personnes démunies ».
- Le troisième facteur a trait à l’absence d’un plan pour le financement de l’eau sur une période de 15 à 20 ans. « Une telle stratégie est nécessaire. Elle a pour objectif de doter le secteur de l’eau de moyens financiers conséquents devant lui permettre de faire face, en temps opportun, aux charges d’exploitation et des crises qui surviennent de temps à autre », a-t-elle dit.
La SONEDE en est consciente mais…
Par-delà ces éclairages, le ministère de l’agriculture et la SONEDE sont, heureusement, conscients de la situation. Ils ont en principe tout prévu dans le cadre d’une stratégie d’ici à l’horizon 2050 « Eau 50 ». Cette stratégie a prévu entre autres une révision du « Code des Eaux », la stabilisation de la demande en eau et un recouvrement adéquat des frais de fonctionnement, ce qui doit nous faire oublier cette difficulté à financer les travaux de maintenance et de réparation. L’idéal serait toutefois de passer, tout de suite, en mode d’action et de ne pas rester dans le théorique. A bon entendeur.