En visite, les 19, 20 et 21 juillet 2015, en Tunisie pour afficher sa solidarité avec le pays, gravement touché, à l’époque, par le terrorisme, l’ancien président de la France, Nicolas Sarkozy, avait lâché une déclaration à forte connotation géostratégique qui s’est vérifiée avec le temps. Il avait déclaré à l’adresse des responsables tunisiens : « La Tunisie est frontalière avec l’Algérie et avec la Libye. Ce n’est pas nouveau. Vous n’avez pas choisi votre emplacement ».
L’ancien chef d’Etat français insinuait que les malheurs qu’a connus la Tunisie, ces dernières années, particulièrement en matière de terrorisme, sont liés à son emplacement géographique et à son voisinage avec deux pays riches l’Algérie et la Libye.
Cette déclaration a fortement froissé, à l’époque, les Algériens et suscité une avalanche de réactions des médias algériens qui ont tiré à boulets rouges sur l’ancien président français. Quant aux libyens embourbés, à cette période, dans une guerre civile n’ont pas daigné y répondre, du moins de manière pouvant attirer l’attention.
La déclaration de Sarkozy n’est pas anodine
Pourtant, si on regarde de près cette déclaration, elle est loin d’être anodine et insignifiante. Elle comporte, quelque part, des vérités qu’il est difficile de nier ou d’occulter. Abstraction faite des déconvenues historiques de Sarkozy avec les deux pays, ce qui pourrait expliquer l’agressivité de sa déclaration, il faut reconnaître, cependant, que l’instabilité structurelle que connaissent les deux pays voisins a beaucoup impacté négativement la Tunisie.
A titre indicatif, à l’origine des difficultés que connaissent, actuellement, les finances publiques tunisiennes avec des caisses pratiquement vides, figure en grande partie l’effort budgétaire supplémentaire engagé, depuis 2012, pour lutter contre le terrorisme opéré par des djihadistes basés à la frontière avec l’Algérie et la Libye.
La Tunisie, qui avait protégé le flanc-est de l’Algérie, durant la décennie de plomb (guerre civile des années 90), la Tunisie qui avait accueilli, en 2011, plus d’un million de réfugiés libyens fuyant la guerre, n’a pas trouvé, auprès de ses voisins, le même esprit de solidarité et de coopération quand elle a été confrontée au fléau du terrorisme.
Il n’est pas normal que les encadreurs des terroristes tunisiens sanctuarisés sur les hauteurs ouest de la Tunisie soient tous des Algériens. D’ailleurs, c’est seulement, lorsque les chefs du groupe terroriste algérien, Kataeb Okba Ibn Nafaa, Khaled Chaieb alias Lokman Abou Sakhr et son frère Mourad ben Hammadi Chayeb, ont été abattus, respectivement, en 2015 et 2019, au centre ouest de la Tunisie dans des opérations anti-terroristes que les choses ont commencé à se calmer sur le flanc ouest de la Tunisie.
Du côté libyen, tout le monde a encore à l’esprit la bataille de Ben guerdane au cours de laquelle des terroristes entraînés en Libye ont tenté, au mois de mars 2015, de créer, dans ce village de contrebandiers, un émirat terroriste daechi.
Concernant particulièrement, la Libye les historiens tunisiens, tout autant que l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) devraient cogiter un jour sur cette tendance belliqueuse de la Libye vis-à–vis de la Tunisie. Est-il besoin de rappeler ici qu’avant la bataille de Ben Guerdane, la première agression perpétrée contre la Tunisie remonte à l’année 80 lorsqu’un commando de tunisiens entraînés en Libye avait attaqué la ville minière de Gafsa.
La porosité des frontières avec les pays voisins inacceptable pour la Tunisie
L’Algérie et la Libye n’ont pas été également coopératifs en matière de traitement de la problématique des migrants du sub-sahara. Ils donnent l’impression qu’ils ne contrôlent pas assez leurs frontières avec la Tunisie.
Sinon comment expliquer que la Tunisie compte, aujourd’hui, environ 60 mille migrants subsahariens introduits clandestinement dans le pays alors que le pays n’a aucune frontière avec les pays émetteurs de ces migrants : Soudan, Mali, Congo, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire….
Ces migrants, qui posent aujourd’hui de sérieux problèmes à une Tunisie en récession économique avancée, n’ont pu arriver à Sfax et ailleurs qu’à travers les frontières ouest avec l’Algérie et la frontière sud est avec la Libye et à un degré moindre par la mer.
Plus grave, ils n’ont pu le faire qu’avec la complicité de trafiquants puissants et de passeurs expérimentées qui connaissent bien le Sahara, à l’instar de gangs du sud de la Libye et du sud de l’Algérie.
Ainsi, des rapports sur la traite des êtres humains font état de l’activisme inquiétant au sud de l’Algérie de passeurs touaregs puissants disposant de millier d’hommes de main.
Morale de l’histoire : pour des raisons diverses, la plus importante serait le souci de stabilité de leurs communautés au sud, les deux pays voisins semblent fermer les yeux sur la mobilité dont jouissent les migrants aux frontières avec la Tunisie.
La Tunisie doit compter sur elle-même
Cette situation ne peut être qu’inacceptable pour la Tunisie qui se trouve ainsi confrontée à un problème qui n’est pas, totalement, le sien. Elle subit injustement seule les externalités négatives de la migration sub-saharienne alors que les deux pays voisins jouissent des externalités positives en s’en débarrassant par tous les moyens et en exploitant la relocalisation des échanges au sud de la méditerranée pour vendre au prix fort leurs énergies à l’Europe.
Ainsi l’Union européenne qui a décidé d’accorder des miettes à la Tunisie (environ 100 Millions d’euros) pour protéger son flanc sud contre les migrants, la Libye et l’Algérie sont en train de concocter des accords énergétiques juteux avec les pays du Nord de la méditerranée.
Pour ne citer que le cas de l’Italie, l’office d’hydrocarbures italien ENI et la compagnie pétrolière libyenne NOC ont conclu, en janvier dernier, un accord gazier de 8 milliards de dollars, ce qui représente le plus gros investissement dans le secteur énergétique libyen, depuis plus de deux décennies.
Le même groupe énergétique italien (ENI) a conclu, au cours de la même période, avec la SONATRACH algérienne, un accord pour l’augmentation du pompage de gaz vers l’Italie, pour atteindre 28 milliards de mètres cubes d’ici 2024. Ce qui est énorme.
Cela pour dire finalement que la Tunisie n’a d’autre choix que d’être vigilante à ses frontières et de ne compter que sur elle-même. Au regard du potentiel de production dont elle dispose elle a les moyens pour s’en tirer. A cette fin, contrairement à ce que pensent l’Union européenne et les institutions de Bretton woods, la Tunisie n’a pas besoin de réformes, elle a besoin d’une transformation absolue. A bon entendeur.