La scène s’est passée au quartier dit chic d’Ennasr. Attablé à un café, mon attention a été attirée par le comportement d’une femme «barbecha», ouvrière indépendante qui vit du ramassage des plastiques et autres produits recyclables.
Cette femme énergique se déplaçait d’une poubelle à une autre pour ramasser des bouteilles d’eau minérale vides et les entasser dans des sacs qu’elle transportait sur son dos.
A un moment donné, la femme, après avoir enfoui sa tête dans une grande poubelle, face à un marchand de légumes et fruits, elle en sort, souriante, des fruits à la main, apparemment des pêches. Elle les essuya furtivement de la main avant de les ingurgiter goulûment. La femme avait, apparemment, faim, très faim même au regard de la manière avec laquelle elle avait avalé les fruits. Elle a trouvé dans cette poubelle de quoi assouvir, un tant soit peu, sa faim.
Cette scène m’a beaucoup interpellé. Elle m’a révolté dans un premier temps dans la mesure où cette femme qui fait un travail exténuant et extrêmement utile pour la communauté n’est pas en mesure de se nourrir décemment. Pis, elle ne dispose pas d’une couverture sociale. C’est simplement injuste et révoltant.
Dans un second temps, elle m’a remis à l’esprit une initiative humanitaire hypermédiatisée à l’actif d’une ONG caritative américaine.
Lors de la période d’extrême précarité que les Américains avaient connue au temps du confinement imposé par la pandémie du Corona virus, cette ONG a eu l’idée de monter des grandes surfaces de fortune approvisionnées à partir des invendus des différents commerces (marchands de légumes, supérettes, hypermarchés…) et de les fournir, gratuitement, aux plus démunis, et ce dans la dignité. Ces derniers peuvent ainsi s’y procurer, gratuitement, toutes sortes de produits nécessaires pour survivre.
L’initiative peut être calquée en Tunisie
En Tunisie, au regard de l’énorme gaspillage des produits alimentaires et de cette tendance à jeter dans les poubelles des produits encore comestibles, il y a là une opportunité pour les collecter, les laver et les présenter dans de bonnes conditions aux personnes qui en ont besoin.
Sur le terrain, parmi les structures qui peuvent s’inspirer de l’initiative de l’ONG caritative américaine, il y a lieu de signaler le réseau des 18 ONG et structures professionnelles tunisiennes qui ont signé, en 2019, une charte pour la lutte contre le gaspillage alimentaire. L’objectif étant, non seulement, d’assurer un suivi continu de l’ampleur du gaspillage alimentaire en Tunisie mais également de le transformer en une opportunité pour nourrir d’importants pans de personnes en situation précaire.
L’enjeu est énorme lorsqu’on sait que les statistiques sur la dilapidation de produits alimentaires dans le pays sont alarmants.
Selon l’Institut national de la consommation (INC), près de 680 000 quintaux de pain, soit plus de 10% du pain fabriqué dans les boulangeries, d’une valeur de 100 millions de dinars (MDT), sont annuellement jetés dans les poubelles.
Le gaspillage touche également 12% des aliments préparés dans les hôtels et 16% des repas dans les restaurants.
Quant aux grandes surfaces, elles se débarrassent de l’équivalent de 2,8 millions de dinars d’aliments.
C’est le gaspillage alimentaire des familles tunisiennes qui préoccupe le plus. Il est estimé à 572 MDT par an, soit 5% des dépenses totales alimentaires, selon les chiffres publiés par l’Institut national de la consommation. Ce chiffre est d’autant plus alarmant que le nombre de personnes sous-alimentées s’élèverait à 500 000 personnes.