Les revenus du travail ont atteint les 3,9 milliards de dinars à fin juin 2023. Ces revenus transférés par les Tunisiens de l’étranger conjugués aux recettes touristiques qui ont atteint 1,7 milliard de dinars à fin juin ont pu couvrir le service de la dette et sauver « l’honneur » de la Tunisie, si on peut dire. Le pays a, à ce jour respecté ses engagements internationaux et n’a pas failli mais jusqu’à quand pourra-t-il résister en l’absence d’une véritable volonté de réformes et d’un accord avec le FMI ouvrant les portes des marchés financiers internationaux ?
« La nouvelle politique économique rappelle furieusement la fameuse formule du « ni-ni » popularisée en 1988 par F. Mitterrand. Sauf, que la doctrine économique de K. Saïed ne se limite pas aux nationalisations-privatisations, mais englobe tout le champ de l’économique. Une « K-Saïdonomics » qui exclut toute réforme mais aussi tout retour au jour d’avant. Une posture qui prône un changement qui ne change rien et où la politique de l’après est la poursuite et même l’aggravation de celle de l’avant » commente l’économiste Hechmi Alaya dans son dernier édito d’Ecoweek.
La « K-Saïdonomics » pourrait être illustrée par l’absence d’une politique économique publique, le rejet de tout plan de réforme structurel s’attaquant aux maux de l’économie nationale et en prime les dizaines d’entreprises publiques qui vampirisent les finances publiques, une administration sclérosée, des lois désuètes et handicapantes, un investissement public presque nul et l’incapacité de mettre en place un véritable plan de bataille pour orienter les subventions vers ceux qui les méritent réellement afin de réduire le budget énorme alloué à la compensation.
Ben Ali, faisait du social à tout va, tolérant une contrebande « sociale » aux frontières et créant les chantiers fictifs financés par la CPG, mise en grandes difficultés, pour avoir employé des milliers de travailleurs censés planter des arbres à Metlaoui, Redeyef et tout autour du bassin mais qui ont été improductifs. Ben Ali n’a pas eu le courage de lancer de véritables réformes économiques de peur des révoltes après le traumatisme des événements du bassin minier de 2008, il en a payé les frais par sa destitution et la chute de son régime et avec lui la Tunisie et ses institutions fragiles.
Aujourd’hui Kais Saied applique une seule politique, du moins celle apparente, celle du Non, du niet, du no, à toute réforme pouvant porter un risque minime de rébellion sociale ! Ceci aux dépens des fondamentaux économiques dans un contexte de grandes difficultés financières, d’absence d’IDE, d’un recul des investissements nationaux et de l’augmentation du taux de chômage de plus de 16% selon l’INS.
L’année 2023 devrait se terminer avec un taux de croissance de 1,9 % tout en espérant un tassement de l’inflation aujourd’hui de 9,3 %.
A ce jour, le gouvernement Bouden peine à susciter une dynamique économique bénéfique à travers le renforcement de l’investissement privé, la consolidation des finances publiques, le rétablissement de la confiance avec le secteur privé et l’amélioration des performances des entreprises publiques, et ce n’est pas faute d’avoir essayé selon ses proches : « Le gouvernement fait de grands efforts pour initier une relance mais la tâche n’est pas aisée ».
C’est presqu’une mission impossible en l’absence de visibilité et en présence d’un doute persistant quant à la capacité du gouvernement de concrétiser son plan d’action économique 2023-2027 déployé au début de l’année. Il faut reconnaître que les niet successives du président s’agissant du prêt FMI vital en ce moment pour la Tunisie n’est rassurant pour aucun acteur économique !
Et maintenant monsieur le Président ? Qu’allez-vous faire ?
Compter sur la réconciliation pénale ? Imposer plus les sociétés et les plus riches ?
Les indicateurs économiques restent au rouge !
Les indicateurs économiques restent dans le rouge, même avec l’accroissement de 26,6% des investissements déclarés dans l’Industrie durant les 5 premiers mois de l’année, car déclaration ne rime pas avec réalisation. L’augmentation relative des exportations de 10% soit 31 271 MD et l’amélioration des scores du tourisme et du revenu travail permettront peut-être à la Tunisie de faire reculer le spectre du défaut de paiement mais jusqu’à quand ?
Il est aujourd’hui admis que la Tunisie honorera ses dettes extérieures en 2023 mais en l’absence d’un accord avec le FMI, en l’absence du lancement d’un véritable plan de réformes et du rétablissement de la confiance avec les investisseurs nationaux et internationaux et en présence d’une politique fiscale restrictive pénalisant les investissements et des incertitudes politiques, il ne faut pas s’attendre à ce que le pays puisse s’en sortir en 2024 ! Dans l’attente, c’est un tsunami de pénuries qu’il s’agisse de biens de consommation courante, de produits de base ou de médicaments !
Le risque élevé de surendettement limite l’accès au financement extérieur et tant que l’Etat n’enverra pas un signal positif aux investisseurs par la signature d’un accord avec le FMI, il n’est pas dit que le pays sortira de l’ornière dans laquelle il se débat depuis des années, quelquefois à cause de l’incompétence et de l’opportunisme politique de ses dirigeants et d’autres par ignorance de la chose économique. Or, pour stabiliser le cadre macroéconomique, la Tunisie devrait, selon la BAD, se doter d’une stratégie de réduction de la dette souveraine à moyen terme, mettre en œuvre un plan de restructuration des entreprises publiques et réduire les dettes extérieures garanties par l’État.
L’Etat tunisien a, depuis l’indépendance, été successivement, planificateur, dirigiste, développeur et protecteur, libéral et régulateur. Aujourd’hui, nous ne voyons plus l’Etat jouer l’un de ces rôles !
Un Etat qui, estime Hechmi Alaya, ne peut plus compter sur les flux d’investissements étrangers : « ces derniers comblaient plus des deux-tiers en moyenne (71,2%) du déficit avant 2011 ; ils n’en ont couvert que 20,3% (en moyenne) ces cinq dernières années cependant que le recours à la dette extérieure qui représentait 21,3% du déficit courant avant 2011, a explosé à plus de 81,8% au cours des cinq dernières années. Aussi, pour faire face à ses approvisionnements en produits sensibles de première nécessité (céréales, carburants et médicaments), assurer le service de sa dette et permettre à ses usines de tourner, la Tunisie ne peut compter sur ses propres ressources. Elle ne peut compter sur ses -maigres- avoirs de réserve (moins de 100 jours d’importations depuis le début de l’année) au risque de déclencher une dégringolade du dinar qui aggraverait la fuite des capitaux et le creusement du déficit extérieur. Tout comme elle ne peut se dispenser du recours à l’emprunt extérieur. Un recours inenvisageable aujourd’hui en l’absence du feu vert du FMI. C’est dire donc, que même en saisissant la perche tendue par l’Union européenne, la Tunisie encourt désormais un risque réellement le défaut de paiement »
Et maintenant, monsieur le Président, que comptez-vous faire ?