Après un long suspense lassant, nous savons, aujourd’hui, un peu plus sur la fameuse « initiative de salut » que le nouveau quartet se propose de concocter pour trouver une issue à la crise multiforme dans laquelle se débat la Tunisie. Gros plan sur une initiative qui risque de créer, au regard de son orientation, plus de problèmes au pays.
Les grandes lignes de la première mouture de cette initiative intitulée «la Tunisie de l’avenir» viennent d’être transmises pour un ultime droit de regard aux quatre ONG composant ce quartet, en l’occurrence, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), l’Ordre national des avocats tunisiens (ONAT) et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES).
Les chantiers proposés
Selon nos informations, l’initiative propose, à court terme, quatre chantiers :
- La mise en place d’une instance supérieure de réforme dotée de larges prérogatives dont celle de contrôler le gouvernement,
- La confection d’une nouvelle Constitution et sa soumission à un référendum,
- La formation d’un gouvernement politique de transition composé de 15 ministres,
- L’Organisation, au mois de mars 2024, d’élections générales, présidentielle, législatives et municipales.
A moyen terme, elle suggère en vrac un pacte républicain devant garantir, selon le quartet, la civilité de l’Etat, un nouveau contrat social et un nouveau modèle de développement géré par un Etat à vocation sociale.
Toutes ces réformes devraient consacrer, de manière transversale, l’indépendance de la justice, la neutralité des forces porteuses d’armes (armée, police, garde nationale…), la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et juridique) et le respect des libertés.
Sur le long terme, l’initiative suggère l’instauration d’un dialogue national permanent dans la cadre d’une nouvelle institution : « le forum de la Tunisie de l’avenir ».
Peuvent participer à ce dialogue les partis politiques, les organisations nationales, les associations et le reste des composants de la société civile, et ce, après avoir adhéré au pacte républicain.
Et pour ne rien oublier, sur le plan électoral, le quartet plaide pour le retour à la loi électorale de 2011. Selon une nouvelle loi électorale adoptée par le président Kaïs Saïed, en septembre dernier, les Tunisiens ont élu, lors des élections législatives de décembre 2022, leurs députés individuellement et non plus en votant pour une liste présentée par un parti politique, un changement qui a affaibli l’influence des formations politiques.
Sur le plan procédural, la centrale syndicale, UGTT, dont le secrétaire général, Noureddine Taboubi a rappelé, le 3 juillet 2023, l’attachement du quartet, à cette « initiative de salut », a été chargée de choisir le moment pour l’annoncer officiellement.
L’initiative fait fi de la légalité des pouvoirs en place
Quant à l’acceptabilité de cette initiative par l’opinion publique, au regard de son contenu à priori provocateur et belliqueux, elle n’a aucune chance de passer, et ce, pour deux raisons.
- La première a trait au fait qu’elle ne tient aucunement compte des deux pouvoirs légaux dans le pays : le parlement et la présidence de la république, tous deux élus démocratiquement.
- S’agissant de l’Assemblée ds représentants du peuple (ARP), c’est-à-dire du pouvoir législatif, à aucun moment, le document de l’initiative n’a jugé utile d’évoquer son rôle dans ce que le quartet appelle la nouvelle transition démocratique.
- Concernant, la présidence de la république, le document ne l’a citée qu’en tant que simple destinataire, parmi d’autres, du document de l’initiative. « L’initiative sera présentée à la présidence de la République, en faisant abstraction du traitement positif ou négatif qui lui sera réservé », a-t-on remarqué.
Morale de l’histoire : cette initiative, en plus du fait qu’elle est loin d’être révolutionnaire, est, à priori, un acte d’annonce d’une rupture avec l’équipe au pouvoir.
A priori, l’initiative est mort-née
Sans être un devin, cette initiative sera perçue par le Chef de l’Etat Kaïes Saïed comme une manœuvre visant à restaurer les acteurs de la décennie noire et à chahuter sur le processus de réformes qu’il a engagé depuis le 25 juillet 2021.
La deuxième raison de l’éventuel rejet de cette initiative consiste en la non-crédibilité du quartet qui n’a aucun ancrage dans la population. Mention spéciale ici pour la mauvaise perception qu’a l’opinion publique de la centrale syndicale accusée d’être à l’origine de tous les blocages dans le pays.
Conséquence : l’initiative du quartet, loin de résoudre la polycrise que vit le pays, annonce un bras de fer avec le pouvoir en place. Affaire à suivre.