Le mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global, signé dimanche 16 juillet 2023, par la Tunisie et l’Union européenne (UE) est, à priori, un une bonne affaire pour la diplomatie tunisienne. Il vient consacrer une avancée significative et qualitative de la coopération entre les deux partenaires, particulièrement, au regard de l’abandon de certains dossiers litigieux.
Cette évolution est perceptible à travers la volonté des deux partenaires d’abandonner l’asymétrie en défaveur de la Tunisie qui a caractérisé les accords conclus, antérieurement, à la hâte et dans des circonstances peu claires.
Est-il besoin de rappeler, à ce propos, que l’Accord d’association conclu, en 1995, pour la libération des échanges des produits manufacturés s’est traduit, depuis son application en 2008, par un manque à gagner pour la Tunisie de 2 à 3 points de croissance ?
C’est justement dans cette perspective d’équilibrer le partenariat entre Tunis et Bruxelles que le mémorandum n’évoque nulle part trois grands projets structurants vis-à-vis desquels les Tunisiens ont émis d’importantes et de sérieuses réserves.
L’ALECA serait enterré ?
Ainsi, dans le domaine de l’agriculture, européens et tunisiens ont évité de parler, dans ce mémorandum, du projet de l’Accord de libre-échange complet et approfondi connu sous l’acronyme “ALECA“.
Cet accord est par excellence asymétrique. Il met face à face une agriculture tunisienne traditionnelle, sous mécanisée et sous développée et une agriculture européenne ultra moderne à l’heure de l’agriculture de précision 4.0.
Conséquence : on n’entendra plus parler, semble-t-il, de cet accord que deux ambassadeurs européens, l’espagnole Laura Baeza et le corse Patrice Bergamini ont essayé, une décennie durant, de défendre vainement comme un projet d’intégration et non comme un accord de libre échange commercial.
Vers une alternative tuniso-européenne pour faire oublier l’Open sky
Le deuxième projet d’accord asymétrique abandonné concerne l’Open Sky, traité sur le ciel ouvert. Cette déréglementation aérienne, objet d’une convention paraphée à la hâte, en 2017, par l’ancien premier ministre Youssef Chahed avec l’Union européenne (UE), était considérée par Tunisair, tout comme les transporteurs aériens privés tunisiens, comme une sérieuse menace pour leur pérennité, et ce pour une raison principale.
Cette dernière réside dans le fait que la Tunisie n’avait pas vraiment besoin de l’ouverture de son ciel en ce sens où ce ciel est déjà largement ouvert. A titre indicatif, en matière de charter, la Tunisie a libéralisé cette activité depuis les années 70. Ainsi, toute compagnie aérienne désireuse d’opérer en charter sur la Tunisie est autorisée à le faire quel que soit son pavillon d’origine et sans restriction de fréquences.
C’est pourquoi toute mesure visant à ouvrir davantage le ciel tunisien à de puissantes compagnies étrangères ne ferait que marginaliser le pavillon national lequel ne peut pas, objectivement, tenir la concurrence.
Il faut reconnaître que pour dissuader toute renégociation sur cette question, le Président Kaies Saïed avait pris les devants. Il a exprimé, le 30 juin 2023, en recevant le ministre du transport et le PDG de Tunisair «un refus net de la mise en place en Tunisie de l’open Sky».
Comme alternative à cette ouverture du ciel tunisien, « les deux partenaires vont s’employer, lit-on dans le document du mémorandum, d’améliorer les moyens d’augmenter le trafic aérien à destination et en provenance de la Tunisie, tout en préservant la flexibilité de la Tunisie pour s’adapter à un marché de plus en plus compétitif. Les parties envisagent d’examiner les conditions de la signature d’un accord global de transport aérien (CATA) au bénéfice du tourisme et de la connectivité ».
La Tunisie ne sera pas le garde chiourne de l’Europe
Le troisième projet litigieux concerne la tendance de Bruxelles à convaincre, depuis des années, la Tunisie, moyennant une aide financière, à devenir un site pour retenir et abriter les migrants. Ce projet est également tombé à l’eau. La Tunisie a refusé de jouer « le garde chiourne de l’Europe ». Le document du mémorandum est clair sur ce sujet
« La Tunisie réitère sa position de ne pas être un pays d’installation de migrants en situation irrégulière. Elle réaffirme également sa position de ne garder que ses propres frontières », note le document.
L’UE européenne reconnaît la légitimité de Kaïes Saïed
Dans le domaine politique, l’Union européenne donne l’impression qu’elle est revenue à une nouvelle approche et meilleure vision stratégique globale de la Tunisie de Kaïed Saïed.
Contrairement à ce qu’avait fait au lendemain du coup de force constitutionnel du 21 juillet 2021, le Vice-président de la Commission européenne Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Joseph Borell, le team européen qui s’est déplacé, à Tunis, pour assister à la signature du mémorandum, en l’occurrence la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, et le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte a évité de parler de putsch constitutionnel en Tunisie et de retour à la démocratie et des institutions de 2014.
Cela signifie que l’union européenne s’est mobilisée au plus haut niveau pour reconnaître la légitimité de la démocrature du locataire du palais de Carthage au grand dam d’une opposition de plus en plus décrédibilisée.
Abou Sarra