Comment assurer à l’école tunisienne une place de choix dans la société de la connaissance et du savoir ? C’est sur ce chantier que veut plancher Mohamed Ali Boughdiri, ministre de l’Education nationale. La Tunisie a plus que jamais besoin d’une réforme éducative parce que l’insertion économique et sociale ne peut se faire sans un cursus scolaire et une formation qui non seulement répondent aux besoins et exigences du marché du travail mais les anticipent.
Mohamed Ali Boughdiri, ministre de l’Education nationale l’explique dans la troisième partie de l’entretien accordé au WMC.
La Tunisie a beaucoup perdu par des choix qui n’ont pas été les plus pertinents dans l’éducation nationale. Comptez-vous y remédier ?
Nul ne doute aujourd’hui de la nécessité de réformer l’école. Nous ambitionnons une école performante qui dote les élèves de connaissances de base consistantes et qui leur permet d’accéder aux outils fondamentaux du savoir. Nous nous engagerons sur la voie de la réforme parce que c’est vital pour un pays comme la Tunisie qui a pu s’imposer sur l’échiquier scientifique et économique international par la qualité de ses ressources humaines. Le 21ème siècle est celui de l’intelligence artificielle, de la nanotechnologie, de l’industrie 4.0 et 5.0 et il va falloir armer les futures générations par la connaissance pour qu’elles puissent y trouver leur place.
Réformer l’école est vital pour la Tunisie sur l’échiquier international
Toute réforme ne pourra réussir sans l’adhésion du corps des enseignants et des moyens financiers énorme outre des choix stratégiques et un plan de réforme pertinents, qu’en est-il en ce qui vous concerne ?
C’est l’évidence même. Les corps enseignants sont nos partenaires et le fait que nous ayons quelques différends ne veut pas dire que nous ne voulons pas le meilleur pour les élèves. Et dans les syndicats, il y a des personnes éclairées et d’une grande perspicacité qui sont aussi des amis. Je connais leurs capacités, et je ne doute pas qu’ils se joindront à nous dans nos efforts d’améliorer le rendu des institutions scolaires, nous associerons également les parents. Ensemble nous réformerons l’école et nous améliorerons la qualité de vie des enseignants. Nous comptons à ce propos offrir aux enseignants des logements à des prix accessibles. Il y aura les cités des enseignants sur tout le territoire national. Nous coordonnerons avec tous les gouvernorats pour assurer la réussite de cette opération.
Nous sommes dans l’approche participative et c’est pour cela que nous avons réussi l’organisation des concours nationaux cette année.
Les ministères de la Défense nationale, de l’Intérieur et de la Femme et de l’Enfance nous ont épaulés lors du déroulement des examens et ont sécurisé tout le processus. Nous avons fait notre possible pour réduire les fuites et que ce soit les plus méritants qui réussissent.
L’exemplarité est une valeur à renforcer dans les structures éducatives
A ce propos, dans l’intérêt des candidats, nous appelons les parents à ne pas être des parties prenantes dans les fraudes. Je vous donne un exemple : une bachelière, a utilisé le téléphone portable de son père et a photographié le sujet de philosophie qu’elle a envoyé à une autre personne qui devait traiter le sujet à sa place. Fort heureusement, les services spéciaux des cybercrimes s’en sont rendus compte à temps. Vous savez que personne, cette année, n’a eu les résultats du bac avant le jour J. Le président lui-même dont la fille passe le bac a attendu les messages téléphoniques annonçant les résultats, les hauts cadres du ministère aussi. L’exemplarité, c’est une valeur que nous voulons renforcer dans les structures éducatives.
Quelles sont les grandes lignes du projet de réforme, où en est l’école tunisienne qui figurait parmi les meilleures au monde ?
Tout d’abord, nous allons rétablir l’Ecole normale supérieure pour la formation des instituteurs et des institutrices. La création du Conseil supérieur de l’Education qui sera présidé par M. Kais Saied, président de la République sera le laboratoire des réformes.
Le Président veut conduire des réformes profondes et lancera une consultation nationale pour impliquer les citoyens dans la transformation de l’Ecole tunisienne. Il veut aller loin et estime que l’école doit reprendre son rôle dans le développement de l’art, du cinéma et d’une culture citoyenne.
Nous espérons recréer les cinéclubs dans nos institutions scolaires ainsi que les clubs de théâtre et de musique pour forger l’esprit de nos jeunes. Il y a aussi un autre chantier important, celui de l’amélioration des infrastructures et de la numérisation de nos écoles.
Nous avons mis sur les rails un projet pour doter 3 000 écoles primaires de fibre optique et les travaux ont déjà démarré. Nous mettrons en place des applications numériques pour les programmes scolaires, l’accompagnement et le suivi de l’élève. 5.000 établissements scolaires parmi 6.000 sont concernés. Nous comptons introduire dans l’école publique l’année préparatoire afin de donner à ceux et celles qui fréquentent l’école publique les mêmes chances que ceux et celles qui fréquentent l’école privée.
Une école de qualité est le fondement d’un avenir prometteur
Quand est-ce que la mise en place des réformes aura lieu ?
Une partie est programmée pour les années 23-24-25, et une autre sur une décennie qui démarre en 2023. Les plans sont actuellement prêts. Nous savons de combien d’enseignants, nous aurons besoin en 2030, combien de nouveaux départements et combien d’écoles. La direction générale de la planification déploie de grands efforts et est en train d’effectuer un travail formidable. Tout est prêt pour la mise en œuvre.
Au niveau des programmes, vous avez évoqué le retour de l’Ecole normale supérieure pour les institutrices et les instituteurs considérée comme l’un des établissements d’enseignement les plus performants. C’est pour quand son ouverture ?
Cette école est déjà en place à travers le modèle des instituts des Sciences de l’Education et nombre d’enseignants commenceront à travailler cette année. Ils sont prioritaires au niveau des recrutements. Il est important d’investir dans la qualité de l’enseignement dispensé dans les écoles primaires. Si c’est bien conçu, si l’élève est formé comme il se doit, il n’aura rien à craindre ensuite.
Au niveau des langues, il y a une baisse importante de la maîtrise de la langue qu’il s’agisse de l’arabe, du Français ou bien de l’Anglais, et cela a provoqué un grand clivage entre ceux qui ont étudié sont dans les écoles privées et ceux qui sont dans le public.
La langue est le canal à travers lequel on transmet la connaissance dans l’éducation formelle mais aussi en dehors des institutions scolaires, d’où son importance. Mais pour que l’élève maîtrise la langue, il doit l’aimer et c’est à l’enseignant de la lui faire aimer. En ce qui nous concerne nous avons lancé des programmes pour développer l’apprentissage en arabe et en français ainsi que l’anglais et l’italien, compte tenu de la proximité géographique et aussi de l’histoire commune entre la Tunisie et l’Italie.
Qu’en est-il des écoles professionnelles et de l’école de la deuxième chance ?
L’école de la deuxième chance sera généralisée car jusqu’à présent nous n’avons que trois écoles, il y a en ce moment même des équipes qui planchent sur la mise en place de cursus destinés aux établissements scolaires professionnels. Nous ferons appel à des retraités pour assurer les différentes formations. Pour nous, il est vital de donner aux élèves qui préfèrent les cursus courts professionnels à des études longues d’acquérir le savoir dans les filières où leurs compétences peuvent être mieux mises en valeur. Notre objectif est de rétablir l’amour et l’attachement à l’école publique en mettant en avant ses atouts et sa capacité à assurer un avenir digne aux adultes de demain.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali