Un regard d’ensemble, ces derniers temps, sur les activités de la cheffe du gouvernement Nejla Bouden montre une intense activité de la première des ministres. Les conseils des ministres et les réunions ministérielles restreintes se succèdent à un rythme infernal. Tous les dossiers chauds sont examinés ; phosphate, change, énergies vertes, transport, céréales, entreprises publiques, dessalement d’eau de mer….
Et pourtant à regarder de près, il n’y a aucun résultat concret. Tout donne l’impression que Nejla Bouden s’agite plus qu’elle ne gouverne. Elle donne l’image de quelqu’un qui fait plus des ronds dans l’eau que de prendre des mesures pouvant paver le terrain à des actions concrètes devant rejaillir sur l’amélioration du quotidien des Tunisiens.
Des ronds dans l’eau
Les communiqués insipides qui sanctionnent ces réunions de « fonctionnaires d’autres temps » en sont une parfaite illustration. Nous sommes tentés de dire que ces réunions préparent plus le terrain pour une future équipe gouvernementale que pour servir, en urgence, la population. Des rumeurs prêtent à Kaïes Saied un projet de remaniement, du gouvernement.
Le problème c’est qu’il y a des dossiers qui ne peuvent pas attendre. Parmi ces dernières figures en bonne place celui du phosphate.
Dopé, depuis une année, par la flambée des prix à l’export, ce marché pourtant sûr et fort de réserves qui peuvent être exploitées, jusqu’au siècle prochain, aurait dû faire l’objet d’une attention particulière et non de cogitations sans lendemain.
Le phosphate tunisien est l’un des meilleurs au monde, mais il est mal exploité
Le quadruplement du prix du phosphate, une opportunité
Au regard des difficultés que rencontre le pays pour disposer des réserves de devises nécessaires pour payer les importations, les exportations de ce minerai et des produits dérivés auraient pu les atténuer.
Est-il besoin de rappeler que le prix de la tonne métrique de phosphate vient de quadrupler en trois ans, passant de 83 dollars en février 2021 à 345 dollars en mars 2023.
Plus intéressant encore, pour les analystes du secteur, cette tendance à la hausse devrait se poursuivre en raison de l’augmentation, d’ici 2024, de la consommation mondiale d’engrais phosphatés dont l’un des composants essentiels est le phosphate.
En effet, d’après les projections de l’’Institut d’études géologiques des États-Unis (US Geological Survey), organisme gouvernemental américain qui se consacre aux sciences de la terre, cette consommation devrait augmenter de manière très sensible d’ici cette échéance. L’Asie et l’Amérique du Sud représenteront la majorité de cette croissance en demande de phosphate.
La situation du secteur du phosphate en Tunisie est critique
En tant que pays producteur et exportateur de phosphate, ce trend haussier du cours de ce produit minier à l’export devrait intéresser la Tunisie et la motiver pour relancer la production. En principe !
Seulement, l’incompétence, l’irresponsabilité et l’immobilisme, trois sports favoris de nos gouvernants, n’ont pas permis au pays de tirer profit de cette opportunité.
Pour Kaïs Saied : la situation ne peut pas durer
Même le Président Kaies Saied n’a pas pu faire mieux que sa cheffe de gouvernement, et ce, en dépit d’une visite inopinée effectuée, le 13 juin 2023, à Redeyef pour s’informer de visu de la situation. Mieux, présidant, le 26 avril 2023, une réunion du conseil de sécurité nationale consacrée à la production de phosphate, le chef de l’Etat s’est contentée comme à l’accoutumée d’une envolée lyrique sans lendemain.
Il a déclaré à ce sujet « notre or est par terre alors que le pays souffre d’une situation financière difficile […] Le phosphate tunisien est l’un des meilleurs au monde et il faut trouver une solution rapide à ce problème. La situation ne peut pas durer ainsi. Ceci peut représenter une grande partie des caisses de l’État afin que nous ne soyons pas obligés d’emprunter de l’étranger et afin que l’économie tunisienne se rétablisse. Nous avons hérité de plusieurs écueils, mais il faut y mettre un terme ».
Le chef de l’Etat n’a pas dit comment on peut y parvenir. En plus clair, il n’a pas donné de recette alors qu’il dispose de tous les moyens légaux et institutionnels pour imposer l’ordre dans ce secteur et relancer la production. Connaissant bien sa tactique, il s’y prépare.
L’avenir du phosphate tunisien est incertain
La mauvaise gouvernance de la CPG, principal talon d’Achille du secteur
Quant aux blocages qui empêchent la relance de la production du secteur, l’Observatoire Raqabah a pointé du doigt, dans une analyse publiée début juillet 2023, la mauvaise gouvernance de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG). L’ONG accuse la direction générale de l’entreprise publique de maquiller les chiffres et de diffuser des fake news sur ses trois principales activités : extraction, production et commercialisation.
Cette thèse de manipulation des chiffres est étayée par l’expert Radhi Meddeb. Dans un entretien avec un magazine de la place, il a révélé que «la CPG prétend avoir fait 4 millions de tonnes en 2021, mais ce qu’on ne dit pas c’est que, dans ces 4 millions de tonnes, il y a des quantités qui ont été produites depuis longtemps et qui sont stockées entre Redeif et Oum Larayes. On n’a fait que les charger dans les trains. En principe, ces quantités stockées ne doivent pas être assimilée à de la production réalisée en 2021.
Morale de l’histoire : pour l’Observatoire, « les principales causes de la situation critique à laquelle l’entreprise est confrontée sont le manque de contrôle, la mauvaise gouvernance et l’absence d’une vision claire en ce qui concerne les nominations aux postes de décision ».
En ce qui nous concerne, nous pensons que c’est tout simplement affligeant et scandaleux de voir l’exécutif faire preuve d’impuissance face à ce problème. Logiquement, un marché aussi sûr et aussi rentable comme celui des phosphates doit bénéficier, en urgence, de toutes les attentions.
Malheureusement, nous sommes dans une logique de non-sens et non de bon sens