« Toute catastrophe doit avoir son bouc émissaire ». L’écrivain Serge Brussolo ne croyait pas si bien dire s’agissant de l’Affaire Moez Chakchouk, ancien PDG de la Poste tunisienne et ex-ministre du Transport. Moez Chakchouk serait en fait la victime de son propre zèle et de son engagement en faveur de l’Etat tunisien et de ses intérêts.
L’ancien ministre auparavant aussi PDG de l’ATI a brillé depuis qu’il a intégré la fonction publique par un professionnalisme et une honnêteté qui le pénalisent aujourd’hui. Dans l’affaire ci-présente opposant l’institution de la Poste à la Douane, c’est la personne physique qu’on a également choisi de pénaliser et c’est la tête de Moez Chakchouk qu’on a décidé de faire tomber alors que la période où « l’infraction » a eu lieu, trois PDG se sont succédé à la tête de la Poste et que la découverte du délit de change ou du blanchiment d’argent comme on se plaît à dire, a eu lieu grâce à lui.
Ceci, il faut le reconnaître, serait le tribut des hauts commis de l’Etat qui n’auraient pas de protecteurs politiques ! Moez Chakchouk est un indépendant, un électron libre, c’est un péché mortel dans la Tunisie « démocratique et juste », du ce sont ses avoirs qui ont été gelés, la poste a été épargnée, ses prédécesseurs aussi !
Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de rage n’est-ce pas ?
Pour bien comprendre l’affaire Moez Chakchouk, il faut remonter 20 ans en arrière. Aux années 2000, la Banque africaine de développement a été relocalisée à Tunis à la suite du déclenchement de la guerre civile en Côte d’ivoire.
A l’époque, parmi les opérations financières dispensées par la poste, figurait le mandat électronique minute introduit à l’échelle nationale qui permettait d’envoyer des sommes d’argent d’une manière quasi-instantanée à partir de n’importe quel bureau de poste en toute sécurité et sans recours à aucun support papier. Le système était numérisé et a réussi faisant du réseau postal le premier et le seul réseau de transferts financiers instantanés en Tunisie.
L’installation de la BAD en Tunisie a incité l’Etat tunisien à octroyer des avantages aux personnels de la BAD s’agissant des transferts d’argent à l’international. Ceci pour leur permettre d’envoyer de l’argent efficacement et en toute sécurité à leurs familles qui ne disposent pas de comptes bancaires (cash to cash).
Le produit Western Union, reconnu à l’international, a été sollicité et la solution western union furent totalement intégrés uniquement dans le système de la Poste nationale, soit une opération complexe et extrêmement sophistiquée que les ingénieurs tunisiens avaient parfaitement réussie, preuve de leur grande compétence. Ce fût un partenariat exemplaire.
Après la poste, certaines banques tunisiennes ont, elles aussi, fait appel à la solution Western Union. Ce fût fait mais seulement pour des transferts à partir de l’étranger conformément à la réglementation. Le transfert de devises, comme établi, exige l’autorisation de la BCT après approbation du dossier.
Les banques transfèrent de compte à compte, la Poste du cash to cash
Les banques opèrent pour tout ce qui est transferts de compte à compte toujours après soumission des demandes à la BCT. En revanche, grâce à l’intégration totale du Western Union dans le système de la Poste à laquelle l’opérateur américain a donné l’exclusivité, on peut transférer et recevoir du cash. Un plus considérable par rapport aux banques avec toutefois un bémol : les montants ne sont pas très importants, ils ne peuvent pas dépasser les 1000, 2000 ou 3000 $ par opération.
Ceci, bien entendu toujours dans le respect de la réglementation de change.
Qu’est ce qui a changé ?
L’arrivée de la BAD en Tunisie a imposé des exceptions au système des autorisations via la BCT.
Comment?
Tous les transferts de devises via la Poste nationale doivent se faire après dépôt de dossiers et autorisation de la BCT sauf pour les personnels de la BAD mais aussi pour les TRE qui ont déclaré les montants en devises à l’entrée sur le sol national et qui veulent récupérer une partie de la somme à leur retour au pays de résidence.
Pour la BAD, l’exception consiste en la possibilité pour les employés de la banque de transférer des montants à leurs famille cash to cash sans recourir à une autorisation de la BCT.
L’opération financière ne pouvant se faire que par le biais postal, un bureau de poste a été ouvert dans les locaux de la BAD à Tunis pour faciliter la vie aux employés qui n’auront pas à se déplacer ailleurs et subir les longues files d’attentes. Les transferts se faisaient de manière automatique à travers ce bureau. Rares étaient les transferts effectués à travers d’autres bureaux de poste.
Reste que dans le déroulement de toutes ces opérations de transferts d’argent cash, il y a eu un amalgame chez les agents de la Poste tunisienne entre employés de la BAD et simples diplomates africains. Ces derniers qui n’ont rien à voir avec la BAD ont profité de l’exception accordée à la Banque pour se mettre eux aussi à envoyer de l’argent cash to cash à leurs familles.
Tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où la BAD s’est réinstallée à Abidjan. La logique aurait été que le montant des transferts diminue considérablement.
Toutefois, lorsque Moez Chakchouk a été nommé à la poste en 2015, il s’est rendu compte lors des opérations d’inspection des transferts d’argent que les montants étaient élevés malgré les garde fous institutionnels dont ceux de la BCT.
Inexplicable et injustifié !
L’objectif premier du premier décideur de l’époque, était de revoir le fonctionnement du bureau de poste sis à l’ancien siège de la BAD qui ne fonctionnait plus comme auparavant pour optimiser son rendement. L’état des lieux a montré qu’il y avait péril en la demeure et que des opérations illégales de transfert d’argent avaient lieu.
Le drame que vit à posteriori aujourd’hui Moez Chakchouk trouve son origine dans les investigations ouvertes par ses services d’inspection pour découvrir l’origine des malversations. Il y a aussi la possibilité que l’accord même signé entre la BCT et la Poste nationale n’a pas été verrouillé suffisamment pour fermer la porte à toute velléité de contournement des lois en vigueur ou de malversations.
La suite dans un prochain article.
Amel Belhadj Ali