Dans la première partie de cet article consacré à l’affaire Moez Chakchouk intitulé « Moez Chakchouk, victime de son propre zèle », nous avions essayé de faire un petit rappel historique sur les raisons qui ont permis les transferts de devises à travers les bureaux de la poste sans autorisations préalables de la BCT. Dans cette deuxième partie, nous essayerons d’expliquer succinctement le déroulement de l’enquête et comprendre les raisons derrière la mise en accusation de Moez Chakchouk.
Moez Chakchouk a comparu devant la justice, a vu ses avoirs gelés, non parce qu’il a lui-même commis une infraction mais parce qu’il est le représentant légal de la Poste tunisienne.
Mais revenons au récit de l’affaire du « blanchiment d’argent » à travers les services postaux !
Après le départ de la BAD de la Tunisie dont le nombre d’employés avoisinait les 1900, on s’attendait à ce que les montants des transferts décroissent. Mais non, l’équipe dirigeante de la Poste en 2016 a relevé le maintien et même l’augmentation des montants en devises transférés vers l’international mais qui ne passaient pas par le bureau de la poste sis à la BAD dont l’activité a baissé. Un bureau qu’on voulait restructurer pour optimiser son rendement.
Une enquête a été déclenchée et plusieurs bureaux de poste ont dû subir des contrôles minutieux de la part des inspecteurs des services postaux, dont le bureau de l’Aéroport, de la Marsa, Carthage et nombre d’autres.
L’inspection approfondie a identifié un trafic de devises dans deux bureaux de poste où on a relevé énormément de fausses déclarations. Dont celles de TRE qui disposent grâce à la complicité de certains agents postaux de fausses déclarations stipulant qu’ils ont échangé des devises contre la monnaie locale alors qu’il n’en ait rien. Ensuite, ils récupèrent prétendument les devises qu’ils n’ont jamais importés.
En 2015, année de la nomination de Moez Chakchouk à la tête de la Poste tunisienne, il y a un fait notable : la promulgation d’une loi très importante en Tunisie : la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent. Cette loi était venue à point pour donner à la justice les moyens de sévir contre tout trafic de devises ou financement de terrorisme. Par cette loi, les banques et la Poste nationale devaient obligatoirement mettre en place un système de conformité. La poste fût la première à avoir procédé à l’élaboration du programme de lutte contre le blanchiment de capitaux.
Et c’est grâce à une mise en œuvre efficace du programme de conformité que ses services ont, au bout de quelques mois, découvert un groupe d’Africains qui transféraient régulièrement dans l’illégalité de grosses sommes en devises à partir d’un seul bureau de poste lequel a été confondu pour s’être adonné au trafic de devises.
Délit de résistance !
Les agents postaux qui ont profité de la faille du système impliqués dans le trafic ont été sanctionnés. Certains ont été virés et des plaintes ont été déposées contre d’autres devant les tribunaux.
La BCT avisée des dépassements a procédé à un audit des comptes de la Poste tunisienne sur 4 années (2012-2016) et en est arrivé au montant de 1.000 MD. Les services postaux ont été invités à donner les informations détaillées sur les acteurs des transferts et ceux qui en profitaient dans les pays de destination. La réponse de la Poste a été : le système western Union ne le permet pas. En tant qu’émetteur la Poste n’a pas les moyens d’avoir les détails sur les bénéficiaires des mandats et malgré son insistance auprès de son partenaire Western Union, la réponse a été un niet définitif car il s’agit de la protection des données personnelles sauf décision de justice.
Moez Chakchouk aurait-il dû rompre son contrat avec Western Union ? Peut-être que oui. Mais convaincu d’avoir pris toutes les dispositions pour pallier les erreurs du système postal de transfert et sûr de son intégrité, il a tenu tête à ceux qui, semble-t-il, souhaitaient l’annulation du partenariat avec la firme américaine. Son premier crime? ça serait un délit de résistance !
Les auditeurs de la BCT auxquels les dirigeants de la Poste ont remis eux-mêmes les chiffres n’ont pas classé les montants par catégories de bénéficiaires. Il n’y a pas eu de précisions quant aux auteurs des transferts : employés de la BAD, TRE, diplomates africains ou autres. On n’a pas différencié les transferts frauduleux de ceux réguliers.
Le rapport envoyé mécaniquement aux services de douanes en 2018 alors que Moez Chakchouk venait tout juste d’être nommé en tant que premier tunisien responsable communication et information à l’UNESCO.
Le rapport a été à l’origine du déclenchement d’une affaire pour « blanchiment d’argent » et de la comparution du PDG de la Poste devant la justice. L’information a été relayée par les médias et a fait tache d’huile. L’opinion publique conditionnée depuis 2011 par les discours de lutte contre la corruption menés par des politiciens haineux, rancuniers et vindicatifs a fait le reste.
Moez Chakchouk a-t-il mené lui-même les opérations frauduleuses de transfert d’argent ? Non. A-t-il été soudoyé pour autoriser ces opérations ? Non. A-t-il couvert les coupables ? Non. A-t-il informé la BCT des transferts illégaux ? Oui.
Mais il fallait qu’une tête tombe. Les têtes n’ont pas été celles de ceux qui l’ont précédé puisque la période du contrôle couvre les années 2012-2013-2014, années où il n’était pas lui-même PDG et elles n’ont pas été non plus celles des responsables directs des services du transfert.
Aucune présomption d’innocence ! Le chemin de croix vient tout juste de commencer pour Moez Chakchouk ! La coqueluche du tout Tunis est devenu le paria de la machine douanière et judiciaire. A-t-il été la victime de l’Etat profond qui protège les siens et jette les électrons libres ou les indépendants en pâture à toutes les injustices ?
Georges Duby disait « Le mal social ne réside pas d’abord dans l’inégalité, mais dans les atteintes que les injustices portent à la dignité humaine ».
Espérons que ceux qui tiennent aujourd’hui dans leurs mains le sort de tout un pays prennent conscience de l’importance de la justice dans la préservation de la dignité des Tunisiens.
Amel Belhadj Ali