Pluies diluviennes, incendies, sécheresses, tempêtes, ouragans, canicule, des phénomènes naturels qui ne cessent de s’accroitre à cause du réchauffement climatique. Mère nature est fâchée contre l’homme destructeur. La Méditerranée avec ses 46.000 km² de littoral, est la plus grande mer semi-fermée au monde. Foyer de biodiversité, la grande bleue, qui abrite plus de 10.000 espèces, risque fort à cause des dérapages humains.
Est-ce rattrapable ? A l’Union pour la Méditerranée, on y croit et on fait tout pour préserver l’écosystème méditerranéen. Ci-après la deuxième partie de l’entretien avec Grammenos Mastrojeni, depuis 2019 secrétaire général adjoint de l’UPM.
Quel rôle peut jouer l’UPM sur le plan pratique, dans la restauration de la nature comme vous l’avez dit précédemment. Y’a-t-il implication des ONG, des lignes de financement pour soutenir des actions telles l’arborisation ?
C’est ce à quoi nous nous attelons. Notre organisation fait en sorte de mettre ensemble des acteurs dans la société civile, des décideurs publics et des financeurs. Nous ne parlons pas qu’aux Etats, nous parlons aussi à la société civile, aux institutions financières, aux industriels, au secteur privé et nous lançons des projets concrets.
Mais il ne s’agit pas de grands financements à fonds perdus. Nous appuyons les projets utiles pour l’ensemble des pays méditerranéens. Des projets qui rapportent de l’argent aussi.
Il y a l’exemple de l’agriculture régénérative qui peut rapporter plus que l’agriculture traditionnelle. C’est une agriculture dont l’objectif premier est de renforcer naturellement la qualité des sols et restaurer leur fertilité.
Le même cercle vicieux que nous vivons avec la construction systématique des barrages, nous le vivons aussi avec l’air conditionné. Il fait chaud, donc en cherchant la fraicheur, nous utilisons l’air conditionné et nous produisons du CO2. Il est pourtant plus simple de récupérer l’architecture traditionnelle, pour favoriser la performance énergétique de nos logements en y conservant la chaleur en hiver et la fraicheur en été.
C’est la régulation thermique aujourd’hui au cœur des enjeux en matière d’architecture durable. Si nous plantons plus d’arbre dans les villes, nous n’aurons plus besoin de l’air conditionnée à l’intérieur de nos logements.
Pouvons-nous généraliser ces orientations dans toute la région méditerranéenne ? Ce sont des opérations difficiles à monter si nous voulons en faire un projet global. Pour plus d’efficience, nous observons et nous appuyons les initiatives que nous estimons utiles pour la préservation de l’équilibre écologique de la région.
Nous adoptons l’approche culturelle pour pouvoir agir sur terrain dans le respect des spécificités des pays et des dissemblances entre eux. A un niveau politique, on prend les décisions à portée structurelle mais c’est la transformation sur terrain qui importe beaucoup plus. Il s’agit de travailler sur les réalités locales.
Au milieu des années 2000, l’Europe a commencé à mettre en place des stratégies visant la réduction de sa dépendance au gaz russe, à l’époque, on commençait aussi à prendre conscience des conséquences sanitaires, écologiques et humanitaires du réchauffement climatique. Il a pourtant fallu le Covid19 et la guerre russo-ukrainienne pour que l’on passe à la quatrième vitesse dans le développement des énergies renouvelables. Les choses pourraient changer pour le mieux d’après vous ?
Tout est rattrapable, fort heureusement. Quelquefois, on se dit Il y a quelques choses de bizarre dans ce qui nous arrive mais c’est révélateur à plus d’un titre. A chaque fois que nous faisons le choix de la durabilité, nous créons de la souveraineté et nous nous débarrassons des dépendances.
Il y a une raison systémique à tout cela. La nature a réparti les richesses de façon équitable. Si nous misons sur le potentiel qu’elle nous offre, nous nous libérerons automatiquement de la dépendance.
Il a fallu une crise aussi triste que celle du conflit en Ukraine pour que nous nous rendions compte de cela. Mais cela ne concerne pas uniquement l’Europe, c’est une règle générale. Si nous valorisons notre territoire et les richesses qu’il recèle, nous nous débarrassons de toute forme d’esclavage, qu’il s’agisse de l’esclavage économique, commercial ou technologique.
La guerre n’a pas seulement affecté l’approvisionnement en gaz mais aussi l’approvisionnement des pays en denrées alimentaires dont les céréales. Quelle est votre stratégie pour soutenir les pays méditerranéens dans leurs efforts pour réduire leur dépendance en la matière ?
Nous n’avions pas pensé en termes de dépendance internationale et nous n’en imaginions pas les répercussions à l’échelle des Etats. Mais il y a des exemples. La Tunisie a déjà payé le prix de cette dynamique. Rappelez-vous le printemps arabe qui a ses raisons sociopolitiques et historiques mais qui a été accéléré par une hausse des prix des denrées alimentaires, causée par les changements climatiques.
C’est pour cette raison qu’il faut compter sur soi-même et mettre tout en œuvre pour assurer sa sécurité alimentaire. Pour notre part, nous sommes conscients de l’importance d’un environnement bâti sur la justice, l’indépendance de la décision nationale et la liberté.
Nous cherchons à créer une dynamique vertueuse partagée par l’ensemble des pays pour qu’ils soient autonomes et qu’ils comptent sur leurs propres ressources pour être plus riches et plus résilients.
Est-ce que vous pensez que l’Union Pour la Méditerranée (UPM), peut organiser dans un pays du sud un grand évènement sur le réchauffement climatique et son incidence sur l’équilibre écologique ?
Nous le faisons régulièrement. L’année dernière, pour la première fois dans l’histoire des négociations climatiques, nous avons réuni tous les Etats membres et les autres porteurs d’intérêts et on a eu un pavillon de la Méditerranée à la COP, ce que nous referons différemment cette année.
La Méditerranée n’existait pas dans les négociations alors que c’est une zone très fragile. Dans le système des Nations-Unies, la Méditerranée est concernée par trois types de négociations et est dispatché sur trois groupes : la commission Europe, la commission Afrique du Nord et la commission Est de l’Europe.
Cela veut dire que la Méditerranée censée être une communauté n’existait pas objectivement en une seule entité. L’UPM a rassemblé tout le monde pour la première fois et est allé à la COP pour montrer que la gravité de la situation n’est pas que régionale, elle est aussi globale.
Si la Méditerranée s’écroule ce sont les pays riverains faisant partie des trois continents qui se partagent la mer qui en paieront les frais. Nous avons aussi tenu à informer les membres de la COP que nous avons des solutions que personne d’autres n’a étudié pour montrer qu’ensemble nous pouvons résister à tout et résoudre les problématiques existantes dans notre région.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali