Signe du manque de vision de nos ministres, Ils ne parlent, qu’occasionnellement de l’évolution démographique du pays, le plus souvent lors du recensement général de la population. Pourtant, la démographie est une question transversale. Elle constitue un élément basique à prendre en considération pour la confection de toute stratégie future, que cette dernière soit sectorielle ou macroéconomique.
Focalisés sur la crise que connaissent les finances publiques, nos ministres n’ont pas remarqué que la population tunisienne est en train de vieillir à un rythme rapide et que, si rien n’est fait, cette nouvelle donne risque d’impacter les équilibres macro-économiques du pays.
Quand Kaïes Saïed découvre accidentellement le vieillissement
Jusqu’ici la seule personnalité politique à en avoir évoqué, accidentellement, le symptôme, c’est le président Kaïes Saïed quand il s’était pris aux migrants, au mois de février dernier. Il avait déclaré, en réaction à l’arrivée de flux de migrants de plus en plus importants dans le pays, que « ces personnes faisaient partie d’un complot visant à modifier la composition démographique du pays nord-africain, dont la culture est principalement arabo-musulmane ».
En fait, le chef de l’Etat ignorait, semble-t-il,
Que ces flux migratoires était un indice du vieillissement de la population tunisienne et son corollaire, la manifestation du besoin du pays d’une main d’œuvre étrangère.
Cette tendance est développée exhaustivement dans deux documents : une étude publiée, en décembre 2022. Intitulée « La Tunisie en 2050 : Population, démographie et prospective” – décembre 2022 par les chercheurs tunisiens Karim Ben Kahla et Kais Hammami et un rapport publié, en avril 2023, par la Banque Mondiale sur le développement dans le monde se rapportant aux migrants, réfugiés et sociétés.
Globalement, les deux documents citent la Tunisie parmi d’autres nations (Turquie, Mexique, Thaïlande…) où « le pourcentage d’adultes en âge de travailler à tendance à diminuer fortement ». Ils ajoutent que « ces pays pourraient bientôt avoir besoin de plus de travailleurs étrangers parce que leur population n’augmente plus ».
D’après l’étude « La Tunisie en 2050 : Population, démographie et prospective », il est dit : « au rythme actuel des naissances, la Tunisie aura besoin de faire appel à des immigrés à l’horizon 2025 ». « D’ailleurs, ce phénomène a déjà démarré avec l’africanisation actuelle du grand Tunis », note l’étude.
D’autres indices illustrent le vieillissement de la population
Abstraction faite de ces deux références, trois autres indices illustrent le vieillissement de la population tunisienne.
Premier indice, l’allongement du célibat. Selon une enquête de l’Office national de la famille et de la population (Onfp), publiée en 2020, « plus de 2,4 millions de jeunes femmes entre 34 et 45 ans ne sont pas mariées soit 60% de la population féminine, ce taux passe à 81% pour les hommes de la même tranche d’âge ».
De nos jours, on se marie de plus en plus à un âge avancé en raison notamment des études pour les deux sexes. En Tunisie, qui demeure qu’on le veuille ou non un pays conservateur, on ne s’oppose plus à l’idée de retarder l’âge de mariage.
Le deuxième indice concerne la taille moyenne des ménages. Celle-ci est passée à 3,9, c’est-à-dire en dessous de la taille moyenne dans le monde.
Le troisième porte sur l’indice synthétique de fécondité (ISF) qui a régressé ces dernières années en raison de plusieurs facteurs. Il est passé à 2,2 enfants par femme en 2016, à 2 en 2020 pour descendre encore plus en 2021. Il est actuellement de 1,8.
Ces statistiques nous rapprochent de celles enregistrées en Europe. Le seuil est de 1,7 pour la France. Il ne permet plus le renouvellement des générations dans notre pays. Le seuil doit être équivalent, au minimum, à 2,05 enfants par femme pour le remplacement des générations.
Cela pour dire que la Tunisie, pays en développement, a des problèmes démographiques similaires à ceux d’un pays industrialisé, voire riche.
Cette nouvelle donne démographique qui serait perceptible à travers le vieillissement de la population ne sera pas sans effet sur la société mais aussi sur l’économie du pays. Ce sera le thème du prochain article.
Abou SARRA