Ces derniers jours, le vol d’une agence bancaire à Kairouan, par un enfant de 10 ans a défrayé la chronique et suscité beaucoup d’émoi dans l’opinion publique. L’enfant, qui a subtilisé 4 mille dinars, devait être arrêté, ensuite, par la police avant d’être libéré et remis à ses parents en raison de son âge. Maintenu en état de liberté, l’enfant devra comparaître ultérieurement devant la justice.
Ce vol, perpétré par un gosse oisif, né en 2013, est loin d’être un simple fait divers. Il vient jeter la lumière sur un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur, au fil des années, celui du décrochage scolaire.
Le décrochage scolaire, un phénomène qui s’amplifie
Selon le chiffre le plus récent cité par le ministre des Affaires sociales, Malek Zahi, à l’occasion de la célébration le 8 septembre 2023, de la journée mondiale de l’alphabétisation, quelque 65.000 décrochages scolaires sont enregistrés chaque année en Tunisie.
D’après d’autres sources, ce chiffre serait plus élevé. Il dépasserait les 100 mille par an, et ce, sur une longue période de plus de quarante ans.
Ces jeunes non-qualifiés, seraient environ un million lâchés dans la nature, selon Maher Ben Dhia, ancien ministre de la Jeunesse et du Sport dans le gouvernement de Habib Essid.
Sans encadrement et sans accompagnement de qualification, ces jeunes oisifs qui abandonnent leur scolarité, se trouvent, souvent, en face de quatre possibilités : la débrouillardise et la survie au quotidien, la criminalité et la drogue, la migration clandestine avec tout ce qu’elle comporte comme risques et le jihad islamiste et ses atrocités.
Le Cash attire les décrochés de l’enseignement
Il y a cinq ans, la canadienne Mme Leila Pieters, coordonnatrice résidente du Système des Nations unies en Tunisie, avait enquêté sur le décrochage scolaire en Tunisie.
Pour Mme Pieters, « le phénomène de décrochage touche particulièrement les garçons. Un total de plus de 100 mille abandonnent chaque année leur scolarité pour diverses raisons. Ces garçons, soucieux d’autonomie financière, sont attirés par le cash et le trafic qu’offre facilement le secteur informel (30 à 35% de l’économie du pays)».
Leila Pieters considère que la Tunisie a un problème avec ses garçons. « Il y a trop de garçons, dit-elle. 50% des enfants qui interrompent leur scolarité sont des garçons. Dans certaines régions, il y a certes un problème de filles mais le gros problème réside dans les garçons lesquels, en pleine crise d’adolescence, ont des problèmes de communication, de conflit de génération et d’accrochage à la drogue ».
Par-delà ces éclairages, la question qui se pose dès lors est de savoir qui est responsable de ce gâchis humain.
La responsabilité revient à la déficience du système éducatif
Interpellé sur cette question, un responsable régional du ministère de la Famille et de l’Enfance, pour se déresponsabiliser, s’est contenté de pointer du doigt les parents, notant que son département aurait même enclenché une enquête pour négligence d’un mineur visant, particulièrement, le père et la mère. Ces derniers seraient selon nos informations pauvres et analphabètes.
Abstraction faite de cette tendance des officiels à fuir leur responsabilité et à occulter les véritables raisons, nous pensons que s’il y a un responsable à l’origine de l’exacerbation du décrochage scolaire, c’est bien la déficience du système éducatif en Tunisie, un système à double vitesse qui sert plus les riches que les pauvres.
En l’absence de logistique et d’encadrement familial et pédagogique appropriés, les enfants issus de milieux pauvres ont beaucoup de peine à se frayer une place dans la société. La seule issue qui leur est offerte est la délinquance.
Espérons que la réforme du système éducatif en cours avec la mise en place du Conseil supérieur de l’éducation saura apporter des réponses convaincantes aux dérapages non contrôlés de ce secteur.
Abou SARRA