Nombreux sont les acteurs économiques tunisiens qui appellent à l’établissement d’un bouclier fiscal dans notre pays. Pour précision, le bouclier fiscal est une disposition fiscale qui plafonne l’imposition globale du contribuable. La mesure viserait à jouer le rôle de « garde-fou » à un système fiscal dans lequel le cumul de différents impôts peut atteindre des niveaux excessifs.
Le bouclier fiscal n’a pas que des édiles, il a aussi des détracteurs qui estiment que cette mesure profite uniquement aux riches. Toutefois, l’art de bien légiférer réside dans la capacité du législateur à être dans le juste milieu. Le bouclier fiscal, dans ce cas, pourrait œuvrer à instituer des limites et des plafonds pour moraliser les opérations financières et commerciales afin d’éviter les abus et les dépassements tout en préservant les intérêts de l’Etat. Il s’agit de protéger opérateurs économiques et simples citoyens des injustices et de s’acquitter de ses devoirs et obligations envers l’Etat.
Beaucoup de pays ont mis en place le bouclier fiscal pour ne pas alourdir les charges sur le contribuable. Prenons l’exemple d’une personne dont le revenu imposable est de 100.000 Dt par an. Cette personne a vendu un bien immobilier sur lequel elle a réalisé une plus-value de 15.000 dinars. Elle a aussi acheté un terrain sur lequel elle a payé des droits d’enregistrement de 60.000 dinars.
L’impôt sur le revenu imposable étant de 30.525 mille dinars, le total des impôts payés (I.R et droits d’enregistrement + l’impôt sur la plus-value) seraient de 105.525 dinars, dépassant ainsi le revenu réalisé. Cela fait un taux très élevé d’impôts. Par souci d’équité, le taux d’imposition global ne devrait pas dépasser le revenu réalisé, c’est pour cette raison que certains pays estiment qu’en tout état de cause, l’ensemble des impôts sur une année ne doit pas dépasser 45 ou 50 % du revenu de la personne la même année.
La nécessité d’un bouclier financier pour soutenir les entreprises tunisiennes face à des taux d’intérêt exorbitants
Les entreprises tunisiennes subissent des prélèvements obligatoires insupportables ce qui, en partie, explique la faillite de centaines de PME depuis 2010. Entre 2010 et 2020, le ratio de la pression des prélèvements obligatoires*(PPO : impôt + sécurité sociale) a augmenté de 7,1% pour se situer à 34,3% soit plus que le double de la moyenne de 30 pays africains et équivalent à la moyenne des pays riches de l’OCDE.
Si on exclut la PPO grevant les salariés ainsi que les impôts indirects pour compter uniquement la PPO des seules entreprises, on constatera qu’à elle seule, celle-ci, se situe autour de 24%, ce qui d’après un expert-comptable, qui préfère taire son nom, est lourdement pénalisant pour l’entreprise et menace sérieusement son développement.
Ceci dans un pays, où les entreprises ne sont pas accompagnées par des politiques d’Etat visant à les sauver si besoin est, comme cela se passe partout dans le monde sans oublier les campagnes de diabolisation systématiques faisant de l’entreprise l’ennemi public numéro 1.
L’Etat non solvable : une menace sur le tissu entrepreneurial !
Comptons sur nous-mêmes ! Des mots qui devraient nous émerveiller si l’Etat avait mis un programme de relance économique conséquent et avait mis en place un cadre législatif adéquat encourageant pour Le tissu entrepreneurial et en prime industriel et si l’Etat lui-même donnait l’exemple en s’acquittant de ses dettes envers les entreprises !
Les mots sonnent faux lorsque compter sur nous-mêmes revient à dire que nous devons augmenter de nouveau les impôts ou pénaliser les nantis, entreprises et simples contribuables sans édifier et sans construire ou lorsque nous réduisons les dettes en privant la population de médicament ou d’importants produits alimentaires de base !
Les entreprises en Tunisie, ne souffrent pas seulement d’un taux impôts trop élevé mais aussi d’intérêts bancaires exorbitants. D’où l’importance aussi de la mise en place d’un bouclier financier dans un pays où les commissions, les agios, les intérêts et les coûts des services rendus sont supérieurs à la moyenne internationale et représentent une part importante des découverts. Il y aurait mêmes des cas d’entreprises où les charges financières représentent plusieurs fois le chiffre d’affaires.
La pression fiscale excessive en Tunisie, un frein au développement des PME
Selon une étude présentée, devant Marouane El Abbassi, gouverneur de la Banque centrale, lors d’une manifestation organisée par l’Ordre des Experts comptables (section régionale de Sfax) en 2022, le produit net bancaire (PNB) en Tunisie est réparti entre 52% de marge d’intérêt et 21,8% de commission, une grande différence avec le Maroc, où la commission est de 15%, ce qui est considéré également comme élevé.
Les entreprises tunisiennes estiment les exigences des banques drastiques. Le rapport de l’IACE réalisé en 2016 sur l’inclusion bancaire et financière révèle une perception négative à l’égard des banques. Les chiffres ne sont pas encourageants pour le développement de l’entreprise à savoir l’exigence de garantie, les taux d’intérêt et les commissions. Il y aurait même des banques qui exigeraient des garanties qui valent 3 fois le montant des prêts accordés, c’est beaucoup.
Dans le même temps les banques tunisiennes, subissent aussi le dictat de l’Etat leur principal partenaire et qui exigerait régulièrement des prêts pour pallier son déficit budgétaire, ce qui prive les entreprises de ressources financières importantes utiles pour le développement de leurs activités.
L’insolvabilité de l’État en TUNISIE : un fardeau financier pour les entreprises
Les entreprises sont aussi victimes de l’insolvabilité de l’Etat. Ainsi outre les crédits d’impôts, l’Etat doit à nombre d’entreprises des subventions, primes et compensations, ceci sans parler des dû des entreprises publiques.
En 2022, l’Etat était endetté à hauteur de 800 MD avec le secteur du BTP, 320 MD avec le secteur laitier et 250 MD avec le secteur de la boulangerie.
Les conséquences de l’insolvabilité de l’Etat sont très lourdes sur les entreprises qui n’arrivent pas, elles-mêmes, à honorer leurs engagements financiers.
Chèques impayés en Tunisie : un délit en augmentation avec des conséquences graves pour les entrepreneurs
Alors que l’on parle d’une nouvelle loi dépénalisant les chèques impayés rappelons que le nombre d’affaires en justice est passé de 213.000 avant Covid à 822.000 post covid. Précisons aussi que sur les 24.350 détenus, 7.400 ont été emprisonnés pour chèques impayés et que 450.000 personnes sont recherchées pour chèques impayés et 10.000 ont fui le pays à cause de ce délit !
Parmi les détenus, nombreux sont les entrepreneurs qui ont émis des chèques sans pouvoir les honorer.
C’est énorme, c’est insupportable pour un tissu entrepreneurial orphelin, fragilisé par l’absence de politiques encourageantes de l’Etat depuis 2011 et souffrant d’un contexte géopolitique international incertain.
Amel Belhadj Ali