Les oasis de Gafsa qui couvrent environ 3 000 hectares, soit 5% de la superficie totale des oasis dans toute la Tunisie, ont des difficultés considérables pour survivre face aux défis auxquels elles sont confrontées, selon la revue semestrielle de la justice environnementale publiée par le FTDES (Forum tunisien des droits économiques et sociaux).
“Le secteur oasien de cette région souffre de plusieurs problèmes, dont l’impact négatif du changement climatique et la succession d’années de sécheresse qui constituent le défi le plus important. Cette sécheresse est due à la rareté des précipitations, à l’épuisement des ressources en eau, ainsi qu’à la forte salinité de l’eau et du sol qui en résulte. L’expansion urbaine, la pollution causée par les activités industrielles, ainsi que le modèle agricole adopté, caractérisé par la monoculture, sont également des facteurs qui ont contribué à aggraver les risques auxquels ce secteur fait face”.
“Les résultats des études prospectives sur le changement climatique prédisent que le sud de la Tunisie sera gravement affecté par le changement climatique. Les températures augmenteront de 1,9 degré Celsius d’ici 2030 et de 2,7 degrés Celsius d’ici 2050, tandis que les pluies devraient connaître une diminution de 9% d’ici 2030 et d’environ 17% en 2050”.
“Les oasis tunisiennes risquent d’être gravement touchées par le changement climatique, d’autant plus que l’épuisement des ressources en eau souterraine entraînera une baisse grandissante au niveau des nappes phréatiques, une détérioration de leur qualité et des coûts élevés de pompage”.
Appui à l’exportation : la politique de l’Etat a-t-elle aggravé la destruction du secteur oasien?
Malgré son importance économique pour les agriculteurs de la région de Gabès, l’oasis est confrontée à des menaces qui compromettent sa biodiversité et sa durabilité en raison de la politique de subventions à l’exportation du pays. En effet, les défaillances institutionnelles, juridiques et organisationnelles de l’Etat entravent de plus en plus la bonne gouvernance de ce système agricole, considère le FTDES.
“La Tunisie encourage depuis des années la culture de la variété “Deglet Noor” à des fins purement lucratives relatives à l’engagement du pays sur la voie du commerce international des produits agricoles. Toutefois, il est à souligner que les dattes Noor nécessitent d’énormes quantités d’eau et sont plus sensibles aux maladies que les autres variétés. Il est donc devenu impératif que l’Etat revoit sa politique dans le secteur oasien pour adopter de nouvelles stratégies qui permettent de réaliser des profits économiques, tout en épargnant l’équilibre écologique”, relève-t-il
L’Oasis de Gafsa : patrimoine environnemental et humain
“L’oasis de Gafsa a été classée par la FAO comme Système Ingénieux du Patrimoine Agricole Mondial (SIPAM) qui doit être préservé pour les générations futures. Cela est dû à la richesse du patrimoine matériel et immatériel relatif à la biodiversité et à son importance pour atteindre la sécurité alimentaire dans la région, ainsi qu’à l’utilisation efficace des sols et à la rationalisation de la consommation d’eau”, selon Noureddine Nasr, ingénieur agronome et chercheur spécialisé en géographie rurale.
“Le gouvernorat de Gafsa est caractérisé par des oasis continentales qui sont concentrées dans les délégations de Gafsa Sud, Legsar et Legtar pour former une ceinture qui protège l’environnement et empêche la progression du désert. Il abrite également, des milliers d’oliviers, de vignes et de palmiers. Grâce aux ressources en eau et à la qualité des sols de la région, l’agriculture y est possible depuis des décennies. Ce qui rend l’oasis de Gafsa unique, c’est son association avec les villes (agriculture urbaine), favorisant l’intégration de l’élevage. Il s’agit essentiellement d’une agriculture familiale basée sur des pratiques agroécologiques. La conduite agricole adoptée depuis l’Antiquité est celle ” multicouche “; les cultures sont réparties sur 3 étages. Au niveau le plus bas, on trouve les céréales et les légumes, au deuxième niveau, des arbres fruitiers tels que les oliviers et les abricotiers et enfin, la couche supérieure est constituée de palmiers dattiers qui fournissent de l’ombre aux niveaux inférieurs”.
“Le système oasien joue un rôle capital sur le plan environnemental en luttant contre la désertification, en préservant l’équilibre écologique et en conservant la biodiversité dans les zones désertiques. En plus, il fournit de l’oxygène aux villes et à leurs régions voisines.
L’oasis de Gafsa joue aussi, un rôle économique important en fournissant des emplois et en améliorant la sécurité alimentaire grâce à la production abondante de dattes”.
“Cependant, l’oasis de Gafsa fait partie des zones touchées par les effets du changement climatique, qui la menacent de plus en plus. Sa productivité a considérablement diminué, le manque d’eau a affecté la richesse des produits oasiens et a engendré une prolifération des oasis monocouches. En outre, il est nécessaire de souligner la dégradation croissante de ces zones oasiennes en raison de l’exploitation excessive et irrationnelle des ressources en eau. Ces ressources rares sont soumises à une pression énorme. De plus, la pression démographique a contribué à l’expansion urbaine croissante et à la construction anarchique, au détriment des espaces oasiens”.
” Il est également crucial de prendre en compte le dilemme de la fragmentation des exploitations et de la faible superficie d’exploitation résultant de l’héritage, ainsi que la perte de la valeur commerciale des cultures et des variétés de dattes, en particulier avec l’émergence de nouvelles variétés plus adaptées au marché. La fatigue et la salinisation des sols sont aussi des facteurs supplémentaires à prendre en considération” avertit le FTDES.
Selon Samah Ben Shaaban, chercheuse spécialisée en biologie et entomologie, l’augmentation record des températures due au changement climatique a engendré l’émergence de ravageurs agricoles tels que l’araignée de poussière.
Soutenir les systèmes agricoles multicouches
La situation actuelle du secteur oasien requiert le soutien des systèmes agricoles multicouches, car des études ont démontré leur résilience et leur capacité à résister aux changements climatiques et ce, contrairement aux oasis modernes qui dépendent uniquement de palmiers de la variété Deglet Noor, comme nous l’a confirmé Noureddine Nasr. Il faut également adopter des pratiques d’irrigation intelligentes qui fournissent aux palmiers et aux différentes cultures de l’oasis la quantité d’eau nécessaire, à chaque étape de son cycle de vie.
Lors du Forum régional de la justice environnementale à Gafsa en 2021, le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux a souligné l’importance d’appliquer les lois et la législation relatives au secteur oasien, en particulier la loi sur l’abandon. Il a également appelé à intensifier le contrôle sur les constructions anarchiques dans les terres agricoles et à lutter contre l’étalement urbain au détriment des zones oasiennes. Cela s’ajoute à la promotion de la culture de variétés de dattes qui consomment moins d’eau, tout en préservant le sol, un élément crucial de l’oasis, et en éliminant toutes les pratiques conduisant à sa détérioration, telles que la pollution industrielle et les gaz toxiques provenant des institutions spécialisées dans les industries extractives à l’instar de la Compagnie des Phosphates de Gafsa et du Groupe chimique.
En outre, il est recommandé de revenir à l’adoption de l’ancien modèle d’oasis, capable de s’adapter aux changements climatiques.
Les défenseurs de l’environnement exigent également l’activation des dispositions de la Charte nationale pour la protection et le développement des oasis en Tunisie. Cette déclaration nationale vise à reconnaître et considérer le système oasien dans toutes ses dimensions environnementales, sociales, économiques et culturelles.
Face à ces défis, la Tunisie devrait adopter et mettre en oeuvre une vision du développement durable afin de préserver les richesses oasiennes et rechercher des véritables alternatives pour soutenir les agriculteurs, face aux défis posés par l’activité agricole au sein des oasis et l’adaptation aux changements climatiques, préconise le FTDES.