Qui l’eut cru ? La Tunisie qui avait fait, dans les années 60, de la planification des naissances sa politique majeure pour se développer est, de nos jours contrainte, de faire du rétropédalage et d’encourager par tous les moyens la nuptialité et la constitution de noyaux familiaux. Et pour cause. La population tunisienne est en train de vieillir à un rythme rapide et préoccupant.
Le constat des démographes est clair à ce propos. Si des réformes structurelles ne sont pas entreprises pour regénérer, dans les temps, la population, le vieillissement des Tunisiens risque de plomber le développement et de créer des déséquilibres intergénérationnels.
Le célibat, un phénomène de plus en plus préoccupant
Parmi les facteurs qui sont à l’origine du vieillissement de la population figure en bonne place l’allongement du célibat à cause entre autres de la précarité de la vie.
Est-il besoin de rappeler à ce propos ce chiffre officiel effrayant : « plus de 2,4millions de jeunes femmes entre 34 et 45 ans ne sont pas mariées soit 60% de la population féminine, ce taux passe à 81% pour les hommes de la même tranche d’âge ».
Ce chiffre a été révélé par une enquête publiée en 2020 par l’Office national de la famille et de la population (Onfp).
L’Etat appelé à réagir tant qu’il est temps
Face à une situation si grave, l’Etat est appelé à faire de l’évolution démographique sa priorité et à mettre en place, à cette fin, des mécanismes institutionnels et législatifs devant aider à créer un environnement favorable au mariage et à la naissance des enfants.
Dans cette perspective, l’Etat est invité à intégrer les considérations démographiques des politiques et des stratégies publiques. Des stratégies qui devraient non seulement s’adapter aux changements démographiques, mais tenter de produire de nouveaux équilibres en prenant en compte aussi bien les aspects institutionnels, qu’organisationnels et culturels.
Selon l’étude « La Tunisie en 2050 : Population, démographie et prospective », étude effectuée par deux chercheurs tunisiens Karim Ben Kahla et Kais Hammami « l’action de l’Etat doit se déployer dans trois grandes directions : celle de la croissance maitrisée, celle du développement du capital humain ; celle de la gestion de la mobilité et celle de l’inclusion et de l’autonomisation des personnes âgées ».
Former de nouvelles générations de qualité et de talents
S’agissant du développement du capital humain, l’étude propose d’exploiter à bon escient cette opportunité de vieillissement pour regénérer qualitativement -bien qualitativement- l’homme tunisien. Le but étant de faire l’économie des erreurs du passé.
Dans les détails, l’étude suggère à l’Etat tunisien, non seulement « d’améliorer les services à l’enfance et l’adéquation entre l’offre d’éducation et les futurs besoins du marché du travail, mais également de réviser sa politique de natalité, de développer une nouvelle politique de nuptialité et de soutien aux familles. L’objectif étant d’aider ces dernières à pouvoir sereinement envisager d’avoir plus d’enfants mieux éduqués et d’accompagner les jeunes pour qu’ils puissent fonder des familles ».
L’étude propose aussi l’amélioration de l’acceptabilité et l’attractivité du pays pour ses jeunes.
D’après les chercheurs « la Tunisie devrait mettre en place des politiques d’immigration et d’émigration qui puissent ralentir l’augmentation du rapport de dépendance vieillesse, d’étendre les pressions sur le marché du travail et de développer son capital humain aussi bien qualitativement que quantitativement. Une stratégie de gestion des talents devrait alors être mise en place. Elle permettrait à la Tunisie de se positionner en tant que pôle attractif pour toutes les compétences de tout âge, du sud de l’Europe, de l’Afrique subsaharienne et des autres régions du monde. Il s’agira de mettre en œuvre une politique nationale de gestion, de formation, d’attraction et de rétention/fidélisation des compétences et des intelligences ».
Toujours selon la même source, le vieillissement de la population bien géré et bien encadré pourrait générer moult avantages socio-économiques pour la Tunisie « A moyen terme, notent –ils, la Tunisie devra non seulement limiter la fuite et « l’hémorragie » des cerveaux, mais viser d’inverser cette tendance et faire de la mobilité une source d’enrichissement des compétences ».
Pour une inclusion des personnes âgées
S’agissant de l’inclusion et de l’autonomisation des personnes âgées, ce travail a montré qu’à moins d’une amélioration rapide et substantielle de la productivité du travail, il sera nécessaire de repousser l’âge de départ à la retraite ».
En plus de ces questions de sauvetage des caisses sociales, la Tunisie devrait développer une stratégie du « grand âge » qui permette une meilleure inclusion des personnes âgées, ainsi que la prévention et l’éventuelle prise en charge de la dépendance ».
Les aides aux familles nécessiteuses ayant des personnes âgées à charge augmentées, une meilleure réponse aux maladies chroniques grâce notamment à du personnel d’assistance plus nombreux et mieux formé, des soins à domicile, un développement de la gérontologie, une meilleure implication des personnes âgées dans la vie culturelle et économique de la cité sont autant de pistes à explorer.
« Les associations de retraités des personnes âgées dans la vie culturelle et économique de la cité sont autant de pistes à explorer », relèvent les chercheurs avant d’ajouter : « Les associations de retraités devront également être mieux impliquées dans la prise des décisions qui les concernent de façon que l’allongement de l’espérance de vie des tunisiens soit réellement synonyme d’une meilleure qualité de vie ».
Par-delà les suggestions et propositions de cette étude, la Tunisie, pour peu que ces gouvernants prennent les bonnes décisions et soient à l’écoute des démographes, est à la veille d’une grande révolution multiforme qui pourrait rejaillir positivement sur l’ensemble de la population.
Abou SARRA