Plus de la moitié des pays en développement à faible revenu sont en situation de surendettement ou présentent un risque élevé de surendettement, et environ un cinquième des pays émergents ont émis des obligations souveraines qui s’échangent à des prix fortement décotés, peut-on lire sur le blog du FMI*.

La Tunisie ne fait pas exception quoique de nombreux experts mettent en avant la capacité du pays à honorer ses engagements financiers internationaux arguant, à chaque fois que l’occasion se présente, qu’à ce jour, près de 83% de la dette extérieure tunisienne ont été remboursés.

DetteDéclarations qui suscitent l’indignation de Ezzeddine Saidane, expert financier. « Je suis choqué et peiné par les déclarations d’experts prétendant que les réserves du pays en devises sont satisfaisantes et que les délais pour le paiement de la dette nationale pour les trois prochaines années (2024/2025/2026) seront respectés. Je défie quiconque de faire des prévisions valables sur les trois prochains mois ».

Il est trop facile de prétendre que les stratégies adoptées à ce jour ont permis de réduire les déficits budgétaires et de la balance commerciale, mais la question persistante est comment et par quels moyens. L’Etat n’a tout de même pas fait des tours de magie en l’absence d’une reprise économique réelle.

Les victimes de la réduction sont les biens d’équipement, les matières premières, les produits semi-finis et les produits de consommation subventionnés (Céréales, sucre, Café, huile végétale…). « La réalité est que l’économie va mal, pour preuve les chiffres de l’INS : une croissance de 0,6% en glissement annuel. Pour le deuxième trimestre 2023, il s’agit plutôt de -1,3% par rapport à 2022 ».

Les réserves en devises correspondant à 117 jours d’importation ne reflètent pas la réalité estime M. Saidane parce qu’on déduit du montant « officiel » tous les impayés des entreprises publiques vis-à-vis de leurs fournisseurs étrangers. La pharmacie centrale, à elle seule, doit honorer des factures de l’ordre de 1 milliard de dinars pour l’acquisition de médicaments auprès de laboratoires étrangers. L’année dernière, on parlait de seulement 700 millions de dinars et nombreux ont été les laboratoires internationaux qui ont quitté le pays parce que non payés. Même chose pour l’Office des Céréales, la STIR, l’ETAP et d’autres.

La Tunisie n’a pas réussi à briser le cercle vicieux de l’endettement qu’il soit national ou international, c’est un fait !« L’Etat contracte des prêts en devises qui appartiennent aux dépositaires non-résidents. A quel titre ? Le dernier en date (Ils sont 3) s’élève à 450 millions d’euros qu’il vend à la BCT contre des dinars ».

Le choix de solutions de facilité devenues la règle. S’endetter à gauche et à droite pour pouvoir satisfaire aux besoins vitaux du pays mais jusqu’à quand ?

« Est-il normal que l’Etat contracte un prêt de l’Afreximbank à un taux d’intérêt de 10,28% sur 3 ans pour rembourser l’échéance d’un crédit pris à 3% sur 20 ans. Nous sommes aujourd’hui en train de nous endetter à outrance très cher sur le court terme pour couvrir des dettes pas chères sur le long terme. C’est ce qui s’appelle la fuite en avant ! Et puis il est quand même surprenant de considérer comme un événement majeur que l’Etat s’acquitte de ses dettes ».

A une croissance économique atone, on répond par un endettement outrancier !

En fait, en l’absence de croissance économique, d’investissements, de création de richesses, que la Tunisie continue à honorer ses engagements relèverait du miracle. Les acrobaties de l’Etat pour ne pas perdre la face sont couronnées de succès à ce jour mais pour combien de temps encore ?

Dans un entretien accordé au journal La Presse, Ridha Gouia, professeur en économie mettait en garde contre un endettement à outrance sans aucune croissance économique : « Le niveau de la dette d’un pays est comparé au niveau de son PIB (c’est-à-dire avec le volume de la création de la richesse nationale). Ceci, en dépit des critiques de cet indicateur par quelques analystes financiers. Ce niveau peut fluctuer d’une année à l’autre, mais ce qui est grave, c’est quand ce niveau continue à croître durablement suivant une trajectoire ascendante inhibant les moyens d’accroître l’investissement dans le pays et freinant la création des richesses. Malheureusement, la Tunisie s’est plongée ces dernières années dans un endettement global à deux vitesses : le premier à long terme qui représente près de 75% du stock total de la dette, le second à court terme qui représente, désormais environ 25% du total. Autrement dit, la Tunisie est tombée dans la spirale de l’endettement ».

Continuer sur ce rythme pourrait sauver la donne à court terme mais, une fois tous les recours épuisés, comment le pays pourrait continuer à honorer ses dettes et combler des déficits budgétaire et commercial devenus structurels ?

Pourquoi le mot réformes effraye autant les décideurs politiques du pays ? Faire reculer indéfiniment la réalisation des réformes structurelles indispensables pour la Tunisie en prenant pour prétexte les risques de troubles sociaux ne servira qu’à renvoyer la balle à ceux qui viendront après ! Une attitude qui reflète l’incapacité des uns et des autres à agir en acteurs responsables, audacieux et courageux car plus on attend, plus le poids des réformes sera lourd à porter et le coût élevé pour un peuple épuisé par une transition politique et économique qui s’éternise.

« L’économie tunisienne demeure sous pression. Il est urgent de réformer pour améliorer l’environnement économique et renforcer la concurrence. Les plans du gouvernement visant à diminuer les subventions à l’énergie constituent un pas dans la bonne direction ; il est par ailleurs vital de les mettre en œuvre rapidement et d’adopter des politiques complémentaires propres à assurer les conditions d’une reprise durable », déclarait Alexandre Arrobbio, Directeur Pays de la Banque mondiale au mois de mars dernier !

Ces derniers jours, les cours du pétrole flambent de nouveau. Le prix du baril de pétrole se rapproche désormais de la barre des 100 dollars. Pour la première fois depuis l’été 2022, les cours du pétrole brut américain ont dépassé par moments la marque des 95 dollars. Un indicateur qui sera pris en compte lors de l’établissement de la loi des Finances 2024 sachant que la balance commerciale énergétique de la Tunisie est dramatiquement déficitaire. Au mois de septembre, les importations des produits énergétiques ont connu une augmentation de 17,7% expliquée essentiellement par les achats de gaz algérien et de gasoil russe, selon l’INS.

Pour répondre à ses besoins en matières premières et en produits de première nécessité, la Tunisie recoure à l’endettement. Face à la difficulté de lever des fonds sur le marché international, l’Etat épuise institutions bancaires et financières en contractant des prêts « imposés » à ses conditions !

Tout cela parce que l’Etat tunisien préfère s’endetter plutôt que réformer.

Amel Belhadj Ali

https://www.imf.org/fr/Blogs/Articles/2023/09/13/global-debt-is-returning-to-its-rising-trend