La cabale contre les banques tunisiennes n’en finit pas. Elles sont accusées de tous les maux. A tort ou à juste titre ? Qu’en est-il dans la réalité ? Dans l’entretien ci-après, Ezzeddine Saidane, expert financier, nous parle de confusions dans l’appréciation du rôle et de la mission des banques dans un contexte socioéconomique fragile et un climat d’affaires délétère.
Comment décririez-vous la situation vécue aujourd’hui par les banques ? Une image ternie, d’institutions accusées de malversations sous prétexte qu’elles ont accordé des prêts sur la base d’une garantie personnelle ?
C’est une terrible confusion dans l’interprétation de certaines opérations bancaires tout à fait régulières et légales. Le fait d’accorder un prêt bancaire sur la base d’une garantie personnelle ne constitue pas un crime. C’est une aberration que de le considérer ainsi ! Il y a, d’ailleurs une étude qui a démontré que les crédits donnés sans garanties ont une meilleure performance en termes de taux de remboursement par rapport aux crédits accordés avec garanties.
Quelles en sont les raisons ?
Lorsqu’on accorde un crédit sans garanties, on évalue le risque dans ses moindres détails et on base la décision sur la qualité du projet et les prévisions du cash-flow, pas sur le filet de sécurité fictif que peuvent être les garanties.
Lorsqu’on accorde des prêts sur la base de garanties réelles, on ne s’attarde pas sur la qualité du risque ou la pertinence du projet. Un prêt non remboursé avec garantie coûte plus cher à la banque. Imaginez, en cas de non-remboursement, les délais avant que la justice rende son verdict et que le jugement soit exécuté. Cela peut prendre des années, un minimum de 5 ans.
Les banques ne devraient pas être accusées de malversations pour avoir accordé des prêts avec garanties personnelles, c’est une confusion regrettable
Donc c’est la qualité du risque et l’étude de la qualité du risque qui sont déterminantes. Un credit-man dans une banque est quelqu’un capable d’étudier le risque et non une personne qui exige automatiquement des garanties.
A relever aussi, que la BCT reçoit des rapports hebdomadaires des banques, des rapports décadaires ainsi que des rapport mensuels, trimestriels, semestriels et annuels. Elle tient deux réunions annuelles avec chacune des banques pour examiner les dossiers des crédits et décider du niveau de provisionnement nécessaire et fait le point sur les créances douteuses.
La BCT serait d’après vous la responsable des créances accrochées des banques publiques ?
Je ne porte aucune accusation, je pose juste la question suivante : la banque centrale a-t-elle joué son rôle dans l’inspection et le contrôle des banques pour éviter tout débordement ?
Vous considérez qu’il y a eu des débordements ? Du laxisme ?
C’est l’évidence même ! Le niveau déclaré des créances douteuses ou accrochées dans notre pays est de l’ordre de 15%. Les places financières performantes ne dépassent pas les 2%. D’autres places sont à 4%. A Tunis même, il y a deux institutions financières qui n’ont pas dépassé les 4% pour que l’on sache que c’est possible. Au Maroc, la moyenne nationale est de 3%. Si certaines banques publiques n’ont pas respecté les ratios en matière de créances douteuses, pourquoi la BCT n’a pas mis le holà ?
Les banques publiques sont celles qui souffrent le plus des créances accrochées, peut-être parce qu’elles assument la responsabilité de financer des institutions publiques qui souffrent de difficultés structurelles…
Pourquoi avons-nous encore des banques publiques ?
Certains disent que c’est pour éviter tout risque systémique sur le système financier national
C’est faux ! S’il y a risque systémique en Tunisie, ce sont les banques publiques qui en seraient l’origine. La recapitalisation de la STB, à titre d’exemple, a coûté près d’1 milliard de dinars à l’Etat, cela lui a-t-il permis de remonter réellement la pente ?
Le fait de subir le dictat d’une législation administrative alors qu’elles évoluent dans un environnement hautement compétitif, n’est-il pas un handicap pour les banques publiques ?
Dans ce cas, pourquoi les garder publiques ? Quel est l’intérêt d’avoir une banque qui appartient à l’Etat sachant que ce statut la met dans une situation délicate où il est juge et partie ? Est-ce que les directives de la BCT s’appliquent différemment selon que la banque est publique ou privée ? L’Etat n’a pas besoin de banques pour appliquer ses politiques.
Le risque systémique en Tunisie est lié aux banques publiques, malgré leur importance, elles devraient avoir plus de liberté d’action
L’Etat doit veiller à la mise en place d’un cadre réglementaire performant pour la réalisation de ses politiques. Certains prétendent que les banques publiques sont les bras financiers de l’Etat, c’est faux, voyez le cas de la TFB (Tunisian Foreign Bank), elle a englouti 5 fois son capital et a été 4 fois recapitalisée. Les banques publiques ont besoin de liberté d’action pour être plus performantes, l’Etat ne le leur permet pas !
C’est ce qui rend leur exercice plus difficile que les autres banques. Pire, elles sont victimes d’attaques de la part de tout le monde à tort ? A raison?
Les attaques à l’encontre des banques sont néfastes. Les banques ont besoins d’images de marques étincelantes. Nous n’avons pas besoins de cabales contre elles, nous avons besoins de réformes du système bancaire.
Nous sommes arrivés à un moment où nous avons sévèrement touché aux équilibres des banques et nous leur demandons de faire plus d’efforts. Ceci alors qu’aujourd’hui, leurs équilibres financiers sont menacés.
Les banques ont, en moyenne, prêté 20% sous forme de BTA et de BTC, en crédit direct à l’Etat, sans oublier les devises. Il faut ajouter un autre 20% accordé aux entreprises publiques. Rien que par la BNA, l’Office des Céréales a reçu plus de 5 milliards de dinars en prêts. Quand j’ai 40% de mon portefeuille logé chez un seul client même si ce client est l’Etat, je suis menacé !
Les attaques contre les banques sont néfastes, ce dont nous avons besoin, ce sont des réformes du système bancaire
Dans le même temps, on amasse des dossiers sur des gestions douteuses, devons-nous, nous attendre à un article de loi 96 dédié aux banques ? Le risque est là et les répercussions sur leur gestion peuvent être désastreuses !
Rappelez-vous, le président de la République n’a pas cité que les banques publiques, il a aussi fait allusion aux banques privées considérant les crédits qu’elles accordent comme appartenant à l’Etat ce qui est archifaux et part d’une posture qui dit qu’un crédit sans garantie constitue un crime, ce qui n’est pas, bien entendu, le cas.
Devons-nous aussi considérer tout arrangement avec un client comme un crime ?
Que voulez-vous dire ?
Prenons l’exemple d’une banque qui veut récupérer 100 000 dinars d’un client. Elle a déposé une plainte auprès des tribunaux et a épuisé tous les recours sans succès. Ce client se présente et lui propose un arrangement qui consiste à rembourser 70.000 dinars pour clôturer le dossier. Dans ce genre de cas, la banque a tout intérêt à accepter cette proposition.
Ceci ne constitue pas un crime, ces pratiques existent dans le monde entier. Finalement, le plus important, ce sont les résultats de la banque, qu’il s’agisse de créances accrochées, de fonds collectés, de gestion de la trésorerie, de dividendes, en fait des états financiers qui prouvent sa solidité.
Autre chose, les banques ne gèrent pas l’argent de l’Etat mais plutôt celui des dépositaires et à ce titre, elles doivent être attentives parce que garantes du bon usage de leurs dépôts. Il y a un rapport de confiance impérieux entre une banque et un client. Le rôle des banques ne consiste pas à pallier le déficit budgétaire de l’Etat, ceci n’existe nulle part au monde !
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali