Beaucoup de dossiers sont en suspens en Tunisie. Des ministères sans ministres, des gouvernorats sans gouverneurs, de grandes entreprises sans PDG et cela peut s’étaler sur des semaines, voire des mois. C’est à croire que le pays marche grâce à une bénédiction divine ببركة ربّى comme se plaisent à dire les Tunisiens. Il y a aussi des dizaines de projets de lois qui attendent leur adoption et leur approbation définitive par le Président de la République ou le Parlement. Nous ne savons plus ! Des lois bloquées dont une très importante, celle du code des Changes.
Le 4 janvier 2023, Marouene El Abbassi (Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie – BCT) déclarait Lors d’une conférence de presse « Nous avons finalisé le projet sur la loi de change après concertations avec les ministres concernés. Le projet de loi a été soumis au gouvernement pour avis ».
Depuis, nous avons à maintes reprises entendu parler de la loi relative au code des changes lors des discours officiels ou de simples déclarations par les ministres économiques ou l’ex-Chef de Gouvernement Najla Bouden, mais sans plus.
Que de promesses faites aux startuppers, aux entreprises, mais l’Etat tunisien semble sédaté dès qu’il s’agit de lois pouvant œuvrer pour une relance économique.
- “Le projet de loi sur le code des changes est bloqué depuis des mois, au grand dam des entreprises et des citoyens.”
Et la loi de Change, sensée œuvrer pour la performance de l’entreprise, le développement des startups et le retour de l’investissement a été renvoyée aux calendes grecques.
Alors que le monde fait un saut gigantesque vers le futur grâce à l’intelligence artificielle, la fintech et la nanotechnologie, la Tunisie fait le saut à l’envers orientant son regard vers une économie archaïque. Une économie de subsistance plutôt que de prospérité adossée à une vision populiste presqu’immorale. Inaction et amateurisme caractérisent aujourd’hui les politiques économiques du pays.
La question est : même si la convertibilité du dinar n’est plus d’actualité dans une non-économie, n’est-il pas temps de faciliter la vie des entreprises et de citoyens en souffrance à cause d’une loi qui date d’il y a 47 ans ?
- “La Tunisie fait le saut à l’envers en matière de réglementation des changes, en conservant une loi archaïque de 1976.”
Le premier texte de loi réglementant le change a été promulgué en 1976. Comment depuis on a géré l’évolution du système financier national et international ? Par petites touches, spécialité d’une Tunisie qui n’a jamais vu grand ! Il y a eu donc des décrets édictés pour les petites modifications et des avis de change pour le reste.
Pourtant en 2008/2009, la question de la convertibilité du dinar a été posée avec acuité sur la scène publique. A l’époque, il y avait une véritable réflexion économique de moyen et de longs termes malgré toutes les tares du système Ben Ali.
La question ne se posant plus aujourd’hui face à la dégringolade économique du pays, on attend du nouveau code des changes plus de souplesse par rapport à la détention légale des devises et aussi un cadre réglementaire pour faciliter l’usage des nouvelles technologies dans les transactions financières et bancaires telles l’utilisation des cartes électroniques, les QR codes, la cryptomonnaies, les comptes offshores et ainsi de suite.
C’est quand même une aberration d’exiger d’un résident qui a des parents à l’étranger ou qui de temps en temps assure mission pour le compte d’organismes ou de clients étrangers de rapatrier les devises sous peine d’être sanctionné, alors qu’il peut avoir un compte sur place.
- “Le nouveau code des changes est une nécessité pour la Tunisie, si elle veut relancer son économie.”
Ce compte lui permet de répondre à ses besoins lors de ses déplacements internationaux sans pomper sur les réserves nationales en devises. Ceci sans parler des familles dont les enfants étudient à l’étranger et qui n’ont droit qu’à 3000 DT par mois soit moins de 900 euros. Qui peut subsister avec un montant aussi modique dans une ville européenne ?
Aujourd’hui, ceux qui ont des contrats d’expertise avec l’étranger sont obligés de rapatrier tous leurs honoraires, ceux qui ont des enfants travaillant à l’international et qui veulent ouvrir des comptes à leurs parents pour qu’ils puissent se soigner, faire du shopping ou du tourisme, ne peuvent pas le faire parce que ces derniers risquent de se faire confisquer leurs cartes bancaires internationales à l’aéroport Tunis Carthage !
En revanche, ceux qui vivaient à l’étranger, dissidents politiques ou expatriés économiques ont eu droit à un traitement de faveur après leur retour définitif au pays (décret-loi n° 98-2011 du 24 octobre 2011). Ils ont pu garder leurs comptes et leurs biens financiers là où ils résidaient. Pourquoi ? La mesure a-t-elle été une mesure sur mesure ?
Les conditions mêmes qui autorisent un Tunisien plutôt qu’un autre à disposer d’un compte en devises ne garantissent pas la meilleure transparence quant à la préservation des ressources en devises du pays. Nombreux sont les affairistes qui constituent des entreprises offshores et travaillent pour l’essentiel de leur activité en onshore pour ne pas avoir à subir le dictat de la loi sur le change en Tunisie ou la massue du fisc tunisien.
- “Le code des changes pénalise les entreprises et les citoyens en leur imposant des restrictions inutiles.”
La loi sur le nouveau code des changes si promulguée, devait permettre un développement considérable du nombre de startups en Tunisie. Les startuppers ayant demandé plus de souplesse pour être présents, actifs et efficients à l’international et pour, si besoin est, rémunérer les compétences internationales, desquelles ils peuvent avoir besoin, en devises.
Nul ne doute de l’importance du régime de change pour la croissance économique. Pour ce, il faut que les politiques économiques soient ambitieuses, que les plans de développement sur le moyen et long terme soient clairvoyants et intelligents, que le secteur financier soit solide et bien développé et qu’il y ait une réelle volonté politique de changer les lois désuètes et inadaptées à l’ère du temps.
Il est malheureux de constater qu’aucune de ces conditions n’est réunie pour l’instant en Tunisie.
Et pourtant, ça marche, (sic) ! Mais jusqu’à quand ?
Amel Belhadj Ali