Le mouvement syndical tunisien célébrera, l’année prochaine, son centenaire (1924-2024). En prévision de cet évènement, la Fondation Mohamed Ali Hammi (FMAH) a organisé le 11 novembre 2023, à Tunis, un débat sur le thème « Nécessité de refonder le mouvement syndical tunisien pour une Tunisie meilleure ».
Cette manifestation a été marquée par une conférence donnée par l’historien, Mohamed Lotfi Chebbi, sur l’évolution historique du mouvement syndical tunisien. La période traitée s’étale du 3 décembre 1924, date de la création par Mohamed Ali El Hammi du premier syndicat autonome de l’empire colonial français, la Confédération générale du travail (CGTT) au 20 janvier 1946, date de la création par Farhat Hached de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).
Les deux leaders syndicaux, qui ont marqué le mouvement syndical tunisien, ont eu pour mérite d’avoir eu le courage de créer deux syndicats autonomes, la CGTT et l’UGTT. Pour mémoire, ces deux syndicats sont nés en se détachant de la section tunisienne du syndicat français, la Confédération générale du travail (CGT), alors considérée comme insuffisamment sensible aux aspirations des travailleurs tunisiens.
Auteur de l’ouvrage d’expression arabe « Mohamed Ali Hammi, le météore (Achihab) », l’historien était à son aise pour fournir de précieux éclairages sur le fondateur du syndicalisme tunisien.
Mohamed Ali Hammi, « Che Guevara tunisien »
Concernant l’idéologie du créateur du premier syndicat autonome tunisien, l’historien a révélé que contrairement à l’étiquette que lui collaient les colons, Mohamed Ali Hammi n’était pas « un aventurier communiste » mais un militant d’obédience islamiste membre de la ligue islamiste internationale. Il était directeur de l’union des peuples islamiques révolutionnaire à Berlin. Cet alignement idéologique ne l’a pas empêché d’être partisan du programme du communiste russe Lenine qui prône le droit des nations à disposer d’elles-mêmes et à s’autolibérer.
Pour l’historien Mohamed Lotfi Chaibi, le combat qu’a mené Mohamed Ali Hammi pour la libération du peuple tunisien et l’émancipation de la classe ouvrière du pays rappelle celui du révolutionnaire marxiste-léniniste argentin, Che Guevra .
Globalement, si on a bien compris l’historien, en créant la C.G.T.T Mohamed Ali El Hammi a, accompli une action salutaire qui a eu des effets durables sur l’évolution d’un syndicalisme autonome en Tunisie.
Il a accompli l’exploit d’organiser les ouvriers tunisiens, en dépit d’une législation coloniale interdisant aux autochtones de constituer des syndicats autonomes, et leur a donné confiance en leur capacité de s’organiser et de compter sur eux-mêmes plutôt que sur les Européens pour mener leur combat et concrétiser leur revendication.
Mieux, il a réussi à jeter les fondements idéologiques du mouvement ouvrier tunisien s’articulant sur les principes de l’autonomie, le réformisme et l’idée des coopératives.
Résultat : Mohamed Ali El Hammi est resté dans la conscience collective des Tunisiens un « mythe » et un symbole. La C.G.T.T qu’il a créée, en 2024, a été considérée comme l’acte fondateur de l’action syndicaliste.
Farhat Hached l’unificateur du syndicalisme tunisien
Deuxième moment fort sur lequel l’historien est revenu l’initiative prise par Farhat Hached pour créer, avec d’autres syndicalistes tunisiens, un syndicat tunisien autonome. Il commence par l’Union des syndicats libres du Sud à Sfax, fixant comme priorité la justice sociale, l’égalité entre les travailleurs tunisiens et leurs homologues français et l’indépendance nationale.
Au congrès de l’Union départementale de la CGT, tenu en mars 1944, devant l’incapacité du syndicalisme métropolitain et de ses branches socialistes et communistes à apporter des réponses adaptées aux travailleurs tunisiens, il démissionne de la CGT. Hached et ses camarades leur reprochent d’« ignorer les aspirations légitimes des Tunisiens à l’indépendance nationale ».
Le 20 janvier 1946, le congrès constitutif d’une organisation commune regroupant les syndicats autonomes du Nord et du Sud et la Fédération générale tunisienne du travail fondé en 1936, crée l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).
L’apport de Farhat Hached a consisté à unifier le syndicalisme tunisien de son pays sous la bannière de l’UGTT, dont il est élu secrétaire général à l’unanimité, et à lui donner une notoriété internationale pour renforcer la cause de l’indépendance face au pouvoir colonial français.
Concernant l’idéologie de Farhat Hached l’historien a indiqué qu’il était de gauche, voire « un socialiste patriote » avant d’être un nationaliste. Il n’a pu créer l’UGTT que parce qu’il n’a pas pu être élu au congrès de l’Union départementale de la CGT, tenu en mars 1944.