De longues files d’attentes devant les boulangeries classées pour pouvoir acheter du pain subventionné, on en voit tous les jours que Dieu fait dans le grand Tunis. Non, il ne s’agit pas du tout d’une mystification visant à nuire aux efforts de l’Etat pour répondre aux besoins du marché. Il ne s’agit pas non plus d’une « énième tentative » (sic) de personnes « mal intentionnées » (re-sic)pour mettre des bâtons dans les roues d’un Etat qui réfléchit, planifie et réalise pour que le pays sorte d’une longue récession économique et précarité intellectuelle, (re-re-sic) !
Qu’on ne vienne pas dire que ces pères et mères de famille supportant 20 à 30 minutes d’attente pour acheter du pain jouent la comédie avec pour objectif : narguer la ministre du Commerce et nuire à l’image des premiers décideurs du pays.
Ridicule comme explication ! Et comme on dit en arabe : ربّ عذر أقبح من ذنب, ce que nous pouvons traduire par : « Une excuse pourrait bien être pire qu’un péché ».
La pénurie du pain perdure et on ne peut l’expliquer tout juste par la spéculation ou les mauvaises pratiques des commerçants. C’est choisir la facilité et reconnaître qu’en tant qu’Etat on est incapable de mettre de l’ordre dans un secteur vital pour le pays malgré les innombrables campagnes coercitives visant à sécuriser le marché. C’est reconnaître en tant qu’Etat qu’on ne peut mettre au pas les contrevenants et en prime les spéculateurs et imposer le respect des lois et leur application !
Est-ce si difficile de dire que les importations du blé tendre, servant à la préparation du pain, ont baissé ou que la gestion actuelle de l’approvisionnement du marché n’est pas la meilleure ?
Tant il est vrai que gérer un Etat exige beaucoup de courage, le courage de dire ce qui est et beaucoup de clairvoyance, une clairvoyance qui permet de gérer l’existant sans rejeter la faute sur les autres ce qui n’est pas à la portée de tout le monde !
Parlons chiffres, parlons juste !
En principe…les chiffres ne mentent pas et d’après ceux publiés par l’ONAGRI, il ressort que les importations de blé dur, ont atteint 809,4 mille tonnes sur les dix premiers mois de l’année 2023 soit une augmentation de 83,4% par rapport à l’année 2022. En revanche, les quantités du blé tendre sont à la baisse.
A fin octobre 2022, 1.133 mille tonnes de blé tendre (blé farineux pour le pain) ont été importées. En 2023, la quantité est tombée à 945.7 mille tonnes. Soit une insuffisance de 187,3 mille tonnes représentant – 16,5%.
Et la situation n’est pas près de s’améliorer au vu de la sécheresse qui s’étend sur des mois.
Répondant aux questions de l’Agence TAP au mois de juin 2023, Anis Kharbach, membre du Conseil central de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), avait déclaré que la production nationale de céréales pour l’année en cours, ne dépasserait pas les 2,5 millions de quintaux, dont 1,7 million de quintaux seulement seront collectés. « La récolte est très réduite, et ne couvrirait même pas le besoin en semences » a-t-il affirmé. Si les conditions climatiques restent les mêmes et si la sécheresse perdure, il n’est pas sûr que la Tunisie puisse approvisionner son marché sans accorder la part belle aux importations.
Ceci dans un pays, où la consommation du pain n’a cessé d’évoluer depuis 1985. Elle est passée de 65,7Kg/personne par an à 74 kg par personne et par an en 2018. Soit un accroissement de plus de 12%. En milieu rural, la consommation du pain de boulangerie a presque doublé alors qu’elle a régressé en milieu urbain, en raison d’une offre plus variée de pains spéciaux et une plus grande diversification alimentaire.
Les consommateurs Tunisiens qui ne veulent pas faire la queue pour acheter du pain consentent aujourd’hui à se procurer une baguette à 400 millimes. Les nantis l’achètent à un dinar ou plus selon ses composantes. La subvention de fait a été, par force de pénurie, enlevée à une large frange de la population, pourquoi, dans ce cas, ne pas l’orienter vers les plus nécessiteux et aller vers la vérité des prix ?
La longue litanie du maintien de la compensation n’a plus lieu d’être et c’est la réalité du terrain qui la dément. Les discours consistant à tout expliquer par la spéculation ou les comploteurs, ne sont plus convaincants. Aujourd’hui, il est vital de changer de politique, d’éviter les erreurs passées et d’agir en prenant en considération la dynamique du marché tout en protégeant les classes socioprofessionnelles souffrant de précarité. « L’erreur est humaine, persévérer est diabolique », c’est d’un proverbe latin.