Après les tracasseries et désagréments quotidiens subis par les habitants de Bizerte à cause des multiples pannes du pont mobile qui date des années 80, la bonne nouvelle est tombée en ce début d’année 2024. Le projet du viaduc qui devrait créer une liaison routière permanente entre les deux rives du canal de Bizerte vient de connaître une importante avancée.
Et pour cause. Le ministère de l’équipement et de l’habitat a annoncé, mercredi 3 janvier 2024, que l’entreprise chinoise Sichuan Road & Bridge (Group) Co, Ltd a remporté le marché de conception et de construction de la tranche principale du nouveau Pont fixe de Bizerte. Il s’agit d’un viaduc situé sur le Canal de la ville d’une longueur de 2070 mètres et d’une hauteur de 56 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Selon le département de l’équipement, les travaux de réalisation du viaduc démarreront, le premier trimestre de l’année en cours et dureront 38 mois, soit trois ans et deux mois.
D’après le traqueur de projets régionaux Meed Projects, Sichuan Road & Bridge (Group), qui était en lice avec une autre entreprise chinoise, China Railway Major Bridge Engineering Group, avait soumis l’offre la moins disante, soit 610 millions de dinars contre une offre proposée par sa concurrente de 840 MDT.
Pour mémoire, en octobre 2022, la BEI qui cofinance le projet à hauteur de 123 millions d’euros (M€) aux côtés de la BAD (122 M €) pour un total de 277 M €), avait validé, les résultats d’une première sélection de 8 sur un total de 13 entreprises candidates pour la réalisation du viaduc. Les entreprises qui ont réussi le processus de préqualification du ministère étaient: le Groupe d’ingénierie des grands ponts ferroviaires chinois, Vinci (France) / Tekfen (Turquie), Arab Contractors (Egypte) / Poly Changda (Chine), China Road & Bridge Corporation / China Communications Construction Company / Puentes Y Calzadas Infraestructuras (Espagne), Eiffage (France) / Nurol (Turquie), IHI (Japon), Sichuan Road & Bridge Group (Chine), Ictas (Turquie) / Cimolai (Italie).
Il faut dire qu’en remportant un marché aussi important tel que le pont fixe de Bizerte, l’entreprise chinoise Sichuan Road & Bridge (Group) réalise une percée spectaculaire en Tunisie. Elle vient de paver le terrain pour d’autres entreprises chinoises.
Financement et fiche technique du projet
Par delà ces éclairages, sur le plan technique, le mégaprojet du pont fixe Tunis-Bizerte comporte trois tronçons. La route de liaison sud, lot 1, comprend trois échangeurs. Le viaduc principal (lot 2) est composé de 19 travées.. La route de liaison nord (lot 3), comprend un échangeur.
Sur un marché de plus de 750 MDT seuls 7 MDT reviendront aux tunisiens. La part des entreprises tunisiennes a porté sur la réalisation de routes de liaison nord et sud du Pont principal (viaduc). C’est une route express qui s’étend sur une longueur de 4,7 Km côté sud. Elle sera dotée de trois échangeurs. Le tronçon nord s’étend, lui, sur 2,7 km… Au total, les travaux seront axés sur l’aménagement et le bitumage de 14 Km de routes, en les équipant d’éclairage public, et d’assainissement pour un investissement de 7 MDT.
Dimension stratégique du viaduc, désenclaver la région de Bizerte
Officiellement, le pont fixe a pour objectif principal de décongestionner le centre de la ville de Bizerte et de faciliter le passage de tous types de bateaux dont les grands navires commerciaux lesquels nécessitent, aujourd’hui, une levée systématique du pont mobile actuel.
Il faut reconnaître que Bizerte, dénommée également, Venise africaine, à cause de ses deux canaux qui la traversent, a souffert, des décennies durant, d’un problème d’isolement par rapport au reste du pays. Plusieurs raisons à ce phénomène. Il y a, tout d’abord, sa qualité de zone militaire très importante qui n’a pas laissé de place au développement touristique.
Mais le plus gros frein en termes de développement, notamment économique, reste le fameux pont mobile situé entre l’embouchure de la mer et le lac de Bizerte. Un pont mobile érigé au début des années 80 et qui se lève trois fois par jour pour laisser le passage aux bateaux de marchandises, vers le port commercial. Pendant ce temps là, la circulation dans et tout autour de la ville est bloquée.
Programmé depuis une dizaine d’années voire plus, ce pont fixe va, donc, remplacer le vieux pont mobile avec un surcoût qui pourrait dépasser facilement les 100 MDT en raison du retard qu’a pris ce projet tant attendu par les Bizertins.
Le nouveau pont fixe a également une dimension économique en ce sens où le pont mobile actuel est un vrai frein à l’activité économique de la ville. A titre indicatif, le port commercial n’accueille, actuellement, que 40.000 containers alors qu’il a un potentiel de 100.000 containers, un potentiel qui peut être optimisé facilement grâce au nouveau pont.
Dimension politique
Et pour ne rien oublier, le démarrage des travaux de réalisation au début de 2024 a des relents politiques. C’est une bonne nouvelle pour le Président Kaës Saïed qui sera probablement candidat pour la prochaine élection présidentielle prévue pour fin 2024. Avec cette bonne nouvelle, il a de fortes chances de gagner la sympathie et le soutien de toute la population de la région de Bizerte dont le gouverneur est réputé pour un fervent partisan du Chef de l’Etat.
Ce dernier avait déjà anticipé et saisi, il y a deux ans, tout le bénéfice qu’il pourrait tirer au plan politique de l’accélération de ce projet. C’est dans ce sens qu’il faudrait peut être comprendre, le coup d’envoi qu’il avait donné, le 19 juillet 2022, à la réalisation du premier et du troisième lot du pont suspendu, une initiative dont il récolte en ce début de 2024 les fruits.
Globalement, abstraction faite de toutes ces lectures, le projet de construction du nouveau pont est perçu comme une bouffée d’oxygène pour les Bizertins et l’ouverture de nouvelles perspectives économiques pour la région. Nous ne pouvons que saluer ce type de mégaprojet. Espérons qu’il sera suivi d’autres mégaprojets. Nous avons une pensée particulière pour le port en eaux profonde d’Enfidha et pour la réalisation d’une liaison fixe entre Djerba et le continent par la construction d’un Pont franchissant la mer…
Abou SARRA