Alors que le cabinet britannique Control Risks vient de classer la Tunisie parmi les pays présentant un risque politique moyen à stable, l’agence de notation S&P a publié un rapport d’alerte sur les risques qu’elle présente malgré quelques indicateurs positifs. On y parle croissance économique dérisoire au troisième trimestre (0,7% selon l’INS) de sécheresse et d’une activité en recul de 0,2% durant la même période.
Standard & Poor’s, qui ne jouit pas d’une grande considération auprès des décideurs politiques tunisiens, (sic) prévoit une croissance de 1,9% en 2024 grâce, entre autres, à la reprise, depuis 2022, du secteur touristique qui représente 14 % du PIB. Le nombre de touristes étrangers a augmenté de 135 %.
Une croissance qui ne semble pas avoir « atteint » le secteur minier. Le recul de la production de ressources minières tels le pétrole, le gaz ou le phosphate ne semblent pas avoir alerté les artisans de la lutte contre la corruption. L’une des pires atteintes à l’économie nationale est pourtant le fait de bloquer la machine du phosphate dans un pays qui a grandement besoin de devises. Le gouvernement reste toutefois optimiste et son ambition est de porter la production de phosphate d’une moyenne de 3,5 millions de tonnes métriques (MMt) par an à 5,6 MMt en 2024.
« Jamais l’État tunisien ne va autant emprunter qu’en 2024 et jamais la Tunisie n’aura autant flirté avec le défaut sur sa dette » – Hechmi ALAYA
D’autre part et comme le déplore Hechmi Alaya, éminent économiste, « Jamais l’État tunisien ne va autant emprunter qu’en 2024 et jamais la Tunisie n’aura autant flirté avec le défaut sur sa dette » ce qui ne l’empêche pas de porter très haut l’étendard du rejet de tout compromis avec le FMI.
Conséquence, estime-t-on à S&P, le pays devrait se tourner vers d’autres prêteurs, principalement des souverains étrangers, pour reconduire et emprunter de nouvelles dettes afin de couvrir le déficit extérieur. « Les incertitudes autour de la probabilité d’une restructuration de la dette extérieure restent élevées, puisque le niveau des réserves de change auprès de la banque centrale tunisienne ne couvrait qu’environ quatre mois d’importations en août 2023, alors que la dette extérieure totale représente plus de deux fois les réserves en devises de la Tunisie ».
En 2024, explique Hechmi Alaya, l’Etat envisage d’emprunter plus 28,2 milliards de dinars (MMDT) pour financer un volume de dépenses qui correspond à̀ 44,6% du montant total de richesses que produit le pays (PIB) alors que ses ressources propres ne représentent que 28,0% du PIB.
« Le projet budgétaire 2024 devrait porter le stock de dette de l’Etat à un plus haut historique : 82,2% du PIB. Plus de la moitié de la dette de l’Etat est d’origine extérieure et devrait donner lieu à̀ un débours au titre de la charge d’intérêts et le remboursement du principal, de plus de 12,3 MMDT soit, près de la moitié environ des avoirs de réserve du pays : 26,4 MMDT. Un défi pour un gouvernement résolu à̀ se passer du FMI et un risque réel qui pèse sur les avoirs en devises du pays. Une perspective qui préfigure d’ores et déjà̀ l’aggravation des pénuries pour la consommation et l’utilisation des capacités productives du pays. Surtout, une tendance qui va amplifier considérablement le risque de dépréciation du dinar en 2024 ».
le « poids excessif de l’Etat et sa volonté́ qui consiste à̀ tout mettre en œuvre pour soumettre la réalité́ à un projet politique indiscernable, sont devenus destructeurs avec une logique à base de rejet de l’étranger et de pressurisation des contribuables » – Hechmi ALAYA
Risque d’un nouveau glissement du dinar ?
Le dinar pourrait encore « glisser ». Dans 2 ans, il est fort probable que la parité Dinar/Dollar soit de 4,3 contre 1 dollar US. Et Pr Alaya de déplorer que le « poids excessif de l’Etat et sa volonté́ qui consiste à̀ tout mettre en œuvre pour soumettre la réalité́ à un projet politique indiscernable, sont devenus destructeurs avec une logique à base de rejet de l’étranger et de pressurisation des contribuables ». Le risque, toujours selon lui, est que pour dégager des marges de manœuvre sur le plan financier, on accélère la soviétisation de l’économie tunisienne, la fuite des investisseurs et des compétences, la détérioration des services publics et l’appauvrissement de la Tunisie.
Côté indicateurs économiques, l’inflation s’est maintenue à 8,1% au mois de décembre, le taux de croissance, au troisième trimestre de l’année, a été négatif (-0,2%) et les prix à la consommation ont augmenté de 0,6% sur un mois. Commentaire de Hechmi Alaya : «L’inflation a progressivement baissé, mais elle restera élevée et les vulnérabilités financières restent répandues».
L’inflation persistera probablement à hauteur de 7,3 % en 2024, estime-t-on à S&P, ceci, malgré la baisse des prix mondiaux des produits alimentaires et de l’énergie et une crainte que la crise de la dette force la banque centrale à accepter une dépréciation du dinar tunisien, ce qui stimulerait l’inflation des prix à court terme.
On s’attend également à une pénurie persistante de certains produits de base tels que la farine, le sucre et le lait.
Quelques indicateurs sont, toutefois, positifs dont la réduction du déficit du compte courant de 8,6% du PIB en 2022 à environ 3,9% du PIB en 2023 et éventuellement à 4,5 % en 2024. La difficulté de l’accès aux marchés de capitaux internationaux accentue la dépendance de la Tunisie aux prêteurs souverains, mais limite en même temps son exposition à la hausse des taux d’intérêt et au paiement du service de la dette.
La Tunisie ne pouvant pas émettre de financements, multilatéraux et bilatéraux, ses partenaires tels que l’UE, la Banque mondiale, l’Algérie et la France ont été ses financeurs. Au mois de juillet, l’Arabie Saoudite a proposé un prêt et une subvention de 500 millions de $ et l’UE a débloqué 127 millions d’euros au mois de septembre à investir dans la sécurisation des frontière et la lutte contre la contrebande et l’immigration clandestine à destination de l’UE.
La Tunisie devrait bénéficier de prêts concessionnels et bilatéraux pour l’aider à répondre à certains de ses besoins de financement, le prêt du FMI étant actuellement bloqué. Les échéances de la dette extérieure s’élèvent à 2,6 milliards de dollars en 2024 (dont une euro-obligation de 850 millions d’euros à échéance de février).
La dette publique deviendrait insoutenable à moins qu’un programme de réformes solide et crédible bénéficiant d’un large soutien. Un accord sur les réformes est indispensable, en particulier sur les réformes des subventions. Ceci, alors que l’on s’attend, selon les analystes de S&P, à une croissance annuelle du PIB réel limitée à 2,7 % sur la période 2025-2029, avec des déficits budgétaires persistants, des engagements conditionnels croissants et des déficits de financement difficiles à combler.
L’économie tunisienne connaîtra probablement une croissance à moyen et long terme malgré une stagnation à court terme. Même si les obstacles à la croissance à court terme ne se dissipent pas rapidement, la Tunisie reste l’une des économies arabes et africaines les plus compétitives grâce à sa solide base manufacturière, sa proximité géographique avec l’Europe et sa main-d’œuvre bien formée.
Les décideurs politiques qui tiennent entre leurs mains l’avenir économique du pays capitaliseront ils sur les atouts de la Tunisie pour prendre les bonnes décisions et assurer la relance ?
A voir leurs agissements, il est légitime de douter de la pertinence de leurs stratégies économiques.
Amel Belhadj Ali