Le décryptage de la Loi de Finances 2024 par les experts comptables est instructif et bénéfique pour tous.
Mercredi 24 courant a eu lieu à Tunis le rendez-vous annuel de l’ordre des experts-comptables avec la ministre des Finances. Cette rencontre devenue rituelle, rythme le débat dans notre pays.
Il s’agit d’un exercice de décryptage du budget par les experts-comptables en présence de la ministre. Ils s’y emploient avec une rigueur remarquable. Et Sihem Boughdiri Nemsia s’y prête avec une disponibilité avenante. Et pédagogie.
Lors des échanges, les experts se conforment à leur éthique professionnelle. Et, la ministre se plie à son devoir de redevabilité. Il y a quittus démocratique. L’événement est hautement instructif et tous s’obligent à un échange, de haute civilité. L’on doit reconnaître que le débat national y gagne en crédit.
Une lecture critique de la loi de Finances 2024
Walid Ben Salah, président du conseil de l’Ordre, en ouverture des travaux fera un discours structuré et percutant. Il reconnaît que la conjoncture est sous tension ce qui rend Malaisé la maîtrise des agrégats budgétaires. Il pointera, avec ménagement, les principales transgressions du budget. Il ne joue pas à remuer le couteau dans la plaie mais il se met dans une posture de lanceur d’alerte.
Ainsi, il pointe tout ce qui est de nature à mal impacter l’économie. Sa touche clinicienne donne de l’aplomb à son diagnostic. Ainsi en est-il de l’augmentation de la pression fiscale qu’il met à l’index. Celle-ci augmente de manière rampante mais non moins perceptible pour se situer à 25,1% dans la Loi de Finances de 2024.
“La pression fiscale augmente de manière rampante mais non moins perceptible pour se situer à 25,1% dans la Loi de Finances de 2024” – Walid Ben Salah, président du conseil de l’Ordre des experts-comptables
Il faut bien se ranger à l’idée, laisse-t-il entendre que ce n’est pas un élément d’attractivité pour le site tunisien. Outre que le contexte actuel n’offre pas le niveau d’équité fiscale, souhaitable.
Walid Ben Salah reproduira tous les autres indicateurs en dépassement et focalisera sur l’emballement de la dette. L’évocation du seul montant de la dette extérieure prévue pour 16 milliards de dinars signifie pénalisation. Ces observations sont audibles car justement critiques. Et, elles sont recevables car elles sont faites de manière pudique, sans malveillance.
Pareil quand il relève que la masse salariale même si elle est en légère décrue ne marque pas une inflexion significative. En résumé son message signifie que tous ces éléments contrariants nous enferment dans une perspective de croissance maigre de 2,1%. Et, cela n’est pas réconfortant. Voilà, la messe est dite.
Sous la loupe des Experts
Ce fut ensuite autour du tandem Mohamed Derbel et Anis Wahabi d’appeler davantage la réflexion sur la manière d’imprimer une nouvelle physionomie à notre politique budgétaire.
Pour sa part Mohamed Derbel dressera un panorama économique mondial pertinent et remarquable de précision. Avec doigté il relève que l’exercice 2023 a pu ‘’corriger’’ les déficits de la balance commerciale et celle des paiements redressant nos réserves de change à 114 jours d’importation et préservant le dinar, peu égratigné face à l’Euro et au Dollar US.
Cependant dans son ensemble l’économie tunisienne demeure fortement exposée. Ceci n’est pas de nature à soulager nos grands handicaps tel le chômage lequel reste un drame national.
“C’est entre 2015 et 2017 que nos principaux indices économiques ont commencé à vriller” – Mohamed Derbel, expert-comptable
Anis Wahabi, présentera un examen fouillé et méthodique des nouvelles dispositions fiscales et autres mesures incitatives. Avec une pointe de malice, il soutiendra que la foison de textes fiscaux égare quelque peu les contribuables outre que l’on ne voit pas l’utilité d’une nouvelle amnistie. Et de rajouter que les nouvelles incitations ne font pas la différence pour la relance.
L’un et l’autre ont repéré un fait décisif. Ils conviendront que c’est entre 2015 et 2017 que nos principaux indices économiques ont commencé à vriller. Rappelons que le taux d’investissement est à son plus bas, 16,1% et celui de l’épargne à son étiage à 8,4%.
Une attitude responsable
La ministre se saisira de cet élément non pour se dédouaner mais pour décrire la lenteur de l’effort de redressement économique tant le cumul des contre-performances a pesé de tout son poids, depuis des années.
En toute bonne foi elle avoue que l’amnistie fiscale ne figurait pas dans le projet de loi mais qu’elle est l’œuvre des députés. Elle admet également que les incitations aux entreprises constituent un stimulus indispensable. Hélas, dira-t-elle, ils ne sont pleinement opérants qu’une fois le dynamisme économique de retour.
“Continuer à financer l’économie par la fiscalité nous maintiendra dans un corset étroit” – Mohamed Louzir, DG du Cabinet Deloitte
Didactique elle rappelle que les trois éléments de la croissance sont l’investissement, la consommation et l’exportation. La consommation a donné ce qu’elle a pu et sature pour le moment. Un effort particulier est fait pour propulser, même par tours de manivelle l’investissement et l’exportation dans l’espoir de leur redonner toute leur vigueur.
Par ailleurs et par souci d’apaiser le climat d’affaires l’année 2024 verra l’inclusion du secteur informel. Ce qui constitue précise-t-il un engagement en faveur d’une meilleure équité fiscale.
Cependant comme le rappelait, de manière incisive, Mohamed Louzir, DG du Cabinet Deloitte, dans un récent propos public ‘’continuer à financer l’économie par la fiscalité nous maintiendra dans un corset étroit’’. Fatalement, il faudra trouver les moyens de nous défaire de tout ce qui ligature notre motricité économique.
De ce point de vue, ne faut-il pas travailler à notre retour sur le marché international de la dette? En attendant, nous voyons pour notre part, une médication facile et bien à notre portée à savoir l’amnistie de change. Le Maroc en est à son troisième essai et cela paie.