Pour une bonne nouvelle, c’en est vraiment une. Dans un communiqué publié, le 5 janvier 2024, la cheffe de cabinet de la ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, Ahlem Béji Sayeb, a révélé, suite à une réunion avec une délégation de la société sino-arabe d’engrais chimiques (Sacf), que « cette dernière a manifesté un vif intérêt pour le projet d’exploitation du phosphate de Sra Ouertane (nord ouest), envisageant un partenariat avec la Tunisie ».
Empressons nous de signaler tout de suite un détail majeur. Le chef de la délégation chinoise Wang Jinming est le représentant de la société mère, China Blue Chem Ltd de la compagnie chinoise CNCCC, composante de la SACF aux côtés du Groupe chimique tunisien (GCT) et de la compagnie koweïtienne, Petrochemical Industries Company K.S.C. (PIC).
Nous avons tenu à préciser la qualité du chef de la délégation pour dire que par le canal de la Sino Arab Chemical Fertilizers (SACF), joint venture fondée en juin 1985 à Qinhuangdao dans la province du Hebeien en Chine, le véritable groupe qui a manifesté son intérêt pour le gisement de Sra Ouertane est au final China BlueChem Ltd, société mondiale spécialisée dans trois principaux segments : la production et la vente de l’urée, du méthanol et des engrais phosphatés y compris le phosphate monomaniaque, le phosphate daïmonique et les engrais composés.
La Tunisie a tout intérêt à établir un partenariat avec le groupe chinois
A priori, l’enjeu est de taille. La Tunisie, qui n’a pas les moyens financiers et technologiques, de développer toute seule le gisement de Sra Ouertane, a tout intérêt à encourager ce partenariat avec China Blue Chem Ltd pour valoriser ce mégaprojet en stand bye, depuis 1979, et ce, pour plusieurs raisons.
La première consiste en l’importance du gisement de Sra Ouertane dont les réserves sont estimées à 1000 millions de tonnes (MT), soit presque le double du bassin minier de Gafsa. Exploité dans de bonnes conditions de paix sociale, ce gisement pourrait produire durant un siècle, annuellement et à lui seul, 10 Millions de tonnes.
La deuxième porte sur la persistance du phosphate et ses dérivés en tant que produits stratégiques pendant de longues années, voire des décennies. Mieux, le phosphate demeure une ressource rentable. Ces trois dernières années, par l’effet des conséquences négatives de la pandémie du corona virus, de la guerre russo ukrainienne, du réchauffement climatique et d’autres fléaux, le cours mondial du phosphate a quadruplé passant de 100 dollars la tonne métrique en moyenne à 400 dollars.
Exploiter l’expertise chinoise pour migrer vers la production d’intrants plus sécurisants
La troisième serait le gain que pourrait tirer la Tunisie de l’expertise développée par China Blue Chem Ltd en matière de fabrication de deux intrants de grande qualité : l’urée et l’ammonium nitrate sulfate (ANS), retenus, de nos jours, comme des intrants essentiels pour l’amélioration de la production agricole au double plan de la qualité et de la quantité.
Les ingénieurs du Groupe chimique tunisien (GCT) sont unanimes pour confirmer, à maintes reprises, l’efficience de ces deux engrais qui présentent l’avantage de répondre aux exigences de l’agriculture tunisienne et à ses spécificités au plan du climat, du sol et des systèmes agricoles. L’urée, par exemple, peut fournir 46% des besoins des plantes en azote contre 33% pour l’ammonitre. L’ANS, qui fournit quant à lui 26% de ces besoins, contient également du soufre (13%), un produit nécessaire à la croissance de la plante.
C’est pour cette raison d’ailleurs qu’en 2007, le gouvernement tunisien de l’époque avait anticipé et entamé, sans le mener à terme, un processus pour l’abandon définitif de l’ammonitre et pour son remplacement par deux autres engrais azotés: l’ammonium nitrate sulfate (ANS) et l’urée.
De par sa composition chimique, l’ammonitre peut exploser de plusieurs façons, ce qui en fait un produit extrêmement dangereux.
Comprendre: ce principal fertilisant, utilisé jusqu’ici au fort taux de 90% par les agriculteurs tunisiens a nécessité des contrôles sévères lors de sa production et sa distribution. Et pour cause.
La décision d’abandonner, en 2007, l’ammonitre avait une portée «préventive». Les autorités tunisiennes entendaient, certes, prémunir ouvriers d’usine, agriculteurs et simples citoyens des dangers que présentent cet engrais, notamment lors de son stockage et de son mélange-contact avec d’autres produits-, mais c’était surtout pour dissuader toute utilisation de cet engrais à des fins terroristes. La menace terroriste était, à l’époque, sérieuse après les actes terroristes survenus, en 2007, dans le village de Soliman (sud est de Tunis).
Ce scénario s’est vérifié, malheureusement, avec l’émergence lors de la décennie noire (2011-2021) du terrorisme et l’utilisation par les terroristes de l’ammonitre pour fabriquer des explosifs. C’est pourquoi la migration par le canal de ce partenariat avec China Blue Chem Ltd vers l’urée et l’ANS est un choix judicieux en ce sens où ces deux intrants sont des produits stables et ne font encourir aucun risque à leur utilisateur.
Garantir la soutenabilité sociale et écologique du gisement
Abstraction faite de ces facteurs qui pourraient objectivement inciter la Tunisie à établir un partenariat avec le groupe China BlueChem Ltd, le gouvernement tunisien se doit de bien négocier tout éventuel contrat.
Ce dernier doit faire impérativement l’économie des erreurs commises dans le bassin minier de Gafsa et dans les industries chimiques de Gabès et de Sfax.
Le contrat doit prévoir principalement la soutenabilité sociale et environnementale du gisement et ne pas se préoccuper uniquement de la rentabilité économique.
A titre indicatif, la future société mixte qui va exploiter le gisement Sra Ouertane doit opter, obligatoirement, -bien obligatoirement- pour le transport souterrain du phosphate à travers la technique du Slurry pipe-line et tirer le meilleur profit des résultats de l’étude intégrée en cours pour l’exploitation, dorénavant, du phosphate selon des critères favorisant l’acceptabilité sociale et écologique de ce minerai extrêmement polluant et nocif à la santé.
Est il besoin de rappeler à ce propos, qu’au mois d’août 2023, l’International Finance Corporation (IFC), membre du Groupe de la Banque mondiale a accordé, à la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) un don de 7 MDT. Ce don est destiné à financer une étude relative à un projet intégré porteur comportant le transport hydraulique du phosphate commercial, son alimentation en énergie propre (solaire) et son approvisionnement en eau dessalée.
A bon entendeur.