L’un des plus grands problèmes sous-jacents à la crise économique qui ruine la Tunisie du post 2011, a trait aux tensions et conflits opposant d’un côté les politiques monétaires, conduites par la Banque centrale, et de l’autre les politiques budgétaires, menées par le gouvernement, et les politiciens de circonstance, Au lieu de s’apaiser, ces tensions montent d’un cran ! Un projet de loi en discussion depuis une semaine au parlement tunisien pousse la Banque centrale de Tunisie à ouvrir les robinets pour financer les déficits et dettes publiques accumulées. Elle sera contrainte d’imprimer toujours plus de dinars, pour financer les errements et les gaspillages d’Etat.
Ce nouveau projet de loi est mal compris par l’opinion publique tunisienne. Il faut dire que les impacts économiques, sociaux et éthiques ne sont pas faciles à intégrer et à assumer.
Incompréhension et non-dits Il y a quelque chose qu’on ne dit pas aux Tunisiens, quand on leur annonce que c’est à la Banque centrale de procurer tout l’argent cash requis par le gouvernement pour payer les déficits et la dette publique. On ne dit pas plus que cet argent imprimé par la Banque centrale sert à payer les salaires d’un État pléthorique et des dizaines de dizaines de milliers de fonctionnaires absentéistes. On ne dit pas que le projet de loi sur la « planche à billet » de la Banque centrale va appauvrir les Tunisiens au lieu de les enrichir.
Une telle mesure va réduire leur pouvoir d’achat, faire fondre le dinar et hypothéquer l’avenir de nos enfants et petits-enfants. Dans cette opération, il y a une dose de malhonnêteté, une entourloupe qui ne dit pas aux citoyens que l’argent gratuit n’existe pas, il faut que quelqu’un paie… Imprimer de l’argent pour acheter des obligations d’Etat, à taux d’intérêt nul, c’est permettre à l’Etat de financer ses gaspillages et ses largesses gratuitement par une monnaie factice qui est injectée sur le marché sans contrepartie produite et donc sans valeur ajoutée liée. Et c’est cela qui ruine la valeur de la monnaie, le dinar dans notre cas. Imprimer de l’argent sans contrepartie productive c’est comme jouer le jeu des politiciens qui veulent gagner les élections, ici et maintenant. Pour se maintenir au pouvoir, à tout prix, « après moi le déluge ».
Il s’agit de la décision financière la plus grave et la plus dangereuse prise en Tunisie c’est le projet de loi permettant au ministère des Finances de se servir directement auprès de la Banque centrale, et sa planche à imprimer des dinars.
Partout dans le monde, de telles décisions ont eu des impacts économiques néfastes et durables. Au lieu de réduire la taille de sa fonction publique, au lieu de réduire le gaspillage… la Tunisie opte pour la planche à billets pour payer sa dette et ses déficits.
Cinq impacts maléfiques sont liés à ce projet de loi.
1- Le principal impact va se ressentir dans la perception de confiance envers l’Etat et ses instituions.
Un État qui favorise ses dépenses actuelles en consommation et en salaires en faisant payer les générations futures, la dette et la détérioration des services publics futurs. Cette situation est connue sous l’appellation de l’«équivalence de Ricardo».
2- Le deuxième impact concerne l’inflation. Quand la planche à billet finance les gaspillages publics, la masse monétaire va gonfler plus vite et plus intensément que la masse des biens produits. Il faudra donc plus de billets pour acheter le même bien. Et ici on craint que pour combattre l’inflation, on augmente le taux d’intérêt directeur. Cela fera encore accélérer l’inflation, en plus de pénaliser l’investissement privé et public.
On ne peut pas dire que, ce faisant, la Banque centrale va combattre l’inflation qu’elle nourrit elle-même en prêtant à volonté à un gouvernement dépensier et gaspilleurs des taxes payées par les contribuables. Stagflation durable
3- Le troisième impact se manifeste dans la valeur du dinar. Ces différents précédents impacts feront éroder le dinar de manière insidieuse et latente, mais durablement. La monnaie nationale sera malmenée et le pouvoir d’achat des citoyens avec. Avec plusieurs experts internationaux, on pense qu’avec une telle mesure le pouvoir d’achat des Tunisiens va baisser d’au moins 12%. Exactement le taux de dévaluation du dinar anticipé pour 2024. D’ici 2028, on peut s’attendre à une importante dévaluation du dinar.
Il faudra 4 à 5 dinars pour un dollar américain, contre 3,2 dinars aujourd’hui. Et cela ne peut qu’accentuer la spirale de la chute du pouvoir d’achat des citoyens. Et cela a un coût économique majeur: tous les actifs tunisiens, privés ou publics connaîtront une dévaluation de leur valeurs monétaires, ici de presque de 20% à 40%, d’ici cinq ans.
4- Le quatrième impact sera sur l’investissement. Déjà en repli, cet agrégat économique va s’étioler davantage. Et ce qui reste des investissements publics et privés va s’orienter vers des projets de court terme et plus spéculatifs. Le contexte ambiant négligera encore les investissements dans les infrastructures durables et exigeant du temps avant de rentrer en production.
Le taux d’actualisation des investissements publics montera au-delà de 15%, celui de l’investissement privé frôlera les 19%. Cette hausse est expliquée notamment par la prime de risque. On ne rend pas service aux projet public-privé, confidents l’écart entre ces deux taux d’actualisation.
5- Le cinquième impact se concrétisera dans le maintien d’une situation de stagflation durable. C’est-à-dire une croissance atone, proche ou inférieure à 2%, ce qui ne permet aucunement de créer massivement de l’emploi additionnel pour les 700.000 chômeurs en attente d’emploi depuis des années. Branding atteint
6- Le sixième impact concerne les risques d’instabilité sur divers fronts économiques et monétaires.
Les opérateurs économiques vont préférer détenir leurs épargnes en devises fortes, et attendre l’émergence d’une stratégie économique plus cohérente et plus rassurante pour l’investissement, la discipline budgétaire et surtout plus économe. L’image internationale du pays prendra un coup! Avec ce projet de loi, le branding de l’intégrité des politiques économiques et budgétaires sera négativement atteint et durablement affecté. Les obligations tunisiennes vont encore chuter, incorporant une prime de risque qui intègrera tous les impacts précédemment énoncés dans la présente chronique.
Cela dit, la Banque centrale de Tunisie doit sortir de ses errements, pour retrouver sa raison d’être et pour servir l’économie tunisienne, plutôt que les politiciens au pouvoir. L’histoire en est témoin. La Banque centrale de Tunisie a toujours assumé ses responsabilités historiques, malgré les situations complexes et souvent périlleuses, qui l’amènent à se trouver coincée entre le marteau et l’enclume.
Moktar Lamari,Economics for Tunisia, E4T, 4 février 2024