L’ambition de l’excellence, la loyauté dans le travail, deux ressorts qui pourraient bien faire de la BTE la première néo-banque d’Afrique et du monde arabe. C’est la volonté de bouleverser la finance traditionnelle et de positionner la Banque Tuniso-Emirati en haut de la pyramide des banques hightech qui animent Feriel Chabrak, DG de la BTE (Banque de Tunisie et des Emirats), qui lui permettront de réaliser cet objectif ou ce rêve et « Ce que femme veut, Dieu veut » dit le célèbre dicton.
Comment ? Par quels moyens ? Réponses dans l’entretien ci-après :
Plus de 20 ans aux premières loges d’une banque aussi importante que la STB pour ensuite passer à des banques plus modestes. Pourquoi ?
J’ai choisi d’intégrer une petite banque et changer totalement de cap après une longue carrière passée à la STB, une école dans le domaine bancaire parce que la gouvernance y est plus légère.
J’ai fait un petit passage à la TQB alors qu’elle muait vers la QNB. J’ai participé, à l’occasion, à la préparation du business plan. L’expérience était enrichissante, mon passage à la TS Bank, ancienne STUSID m’a ensuite permis de maîtriser la partie Marché ainsi que la partie Back office de la banque.
L’expérience était des plus enrichissantes en ce sens que les ex-banques de développement sont dotées de structures légères et on peut y évoluer et monter en grade rapidement si on est compétent et engagé. Il n’y a pas ce qu’on appelle une organisation verticale qui repose sur la hiérarchie. J’ai côtoyé trois directeurs généraux, et je n’ai trouvé aucune difficulté pour mener à bien ma mission.
Ensuite ce fût la BTE…
Oui et j’en suis heureuse. L’Etat tunisien m’a offert la possibilité d’occuper la première place de responsabilité dans une banque. Il y a eu le premier appel à candidature pour la BTE, le deuxième appel à candidature était à la « Tunisian Saoudi Bank », mais aussi la « BH », la « BNA » et la « STB ».
Qu’est ce qui vous a le plus marqué lors des entretiens pour décrocher le poste de DG à la BTE ?
Il y a eu deux entretiens. Un m’a marqué. Nous savons parfaitement que la présélection est faite sur dossier. Tout candidat doit présenter un plan de relance pour la banque lors de l’entretien. Je suis un pur produit du secteur bancaire, j’enseigne les métiers et stratégies bancaires. J’ai été rôdée à la préparation des stratégies bancaires à la STB et ensuite à la TS Bank.
Ce qui me distingue est la loyauté. La responsabilité quelle qu’elle soit, est évidente quant aux postes décisionnels mais la loyauté ne l’est pas, tout comme le fait de mériter la confiance de vos partenaires et des décideurs
Les questions étaient très techniques dans les entretiens qui durent chacun 30 mn. On y décortique le plan stratégique et la vision du candidat pour la banque. Il y a eu une question à la fin du deuxième entretien qui m’a émue : le président de la commission, m’a interpellée : “je n’ai rien à dire à propos de votre technicité, vous figurez parmi les meilleurs, mais vous n’êtes pas seule à en être dotée, alors qu’est-ce qui vous distingue des autres, pourquoi nous vous choisirons vous ? Ma réponse a été tout simplement ce qui me distingue est la loyauté. La responsabilité quelle qu’elle soit, est évidente quant aux postes décisionnels mais la loyauté ne l’est pas, tout comme le fait de mériter la confiance de vos partenaires et des décideurs”.
Vous avez donc été sélectionnée, comment avez-vous attaqué les premiers mois à la BTE ?
J’avais déjà une idée sur la banque et j’ai donc été opérationnelle dès le premier jour. Il fallait évoluer oui mais surtout se positionner, se tailler une place dans le marché bancaire et s’améliorer pour se distinguer.
Quand j’ai été nommée à la BTE, l’Etat tunisien voulait se désengager et Abou Dhabi Investment Authority (ADIA) le voulait aussi. C’était en 2017 et dans cette situation, il faut travailler sur un modèle qui pourrait de nouveau intéresser les actionnaires principaux (Etat Tunisien et lADIA ).
Il faut aujourd’hui avoir conscience que ceux qui ne lisent pas bien la réalité et les changements perdent du terrain.
Le socle de cette banque est un partenariat stratégique entre un Etat et un grand fonds d’investissements. La BTE, à l’origine banque de développement a accompagné des projets de développement novateurs, et a financé l’économie.
Aujourd’hui, qu’elle est devenue une banque universelle, il fallait qu’elle garde son orientation de financeur de l’économie mais aussi accompagner les changements rapides de l’économie et des finances. Il faut aujourd’hui avoir conscience que ceux qui ne lisent pas bien la réalité et les changements perdent du terrain.
La Tunisie a d’immenses opportunités pour ce qui est de la transition énergétique. Mon actionnaire est l’Etat et la banque doit être en phase avec ses priorités et ses ambitions. Nous avons donc choisi de nous positionner par rapport à tout ce qui est finance et investissement à impact.
Pour qu’une petite banque puisse concurrencer plus grand qu’elle, le cheval de bataille est l’innovation et la célérité.
J’explique : il ne s’agit pas seulement de financer mais d’accompagner tout investissement qui recherche simultanément la rentabilité économique et la création d’un impact social et environnemental positif et mesurable. D’où l’importance de la transition énergétique pour un développement durable ainsi que le financement des projets innovants et qui prennent en compte le changement climatique et la préservation de l’environnement.
Sur un tout autre volet, la Tunisie, qu’on le veuille ou pas, dispose d’une grande richesse, celle des ressources humaines compétentes, c’est son seul avantage compétitif, même si l’on sait que l’école et l’université ne sont pas ce que nous voulons qu’elles soient. Il fallait donc s’orienter vers l’innovation parce que pour une petite banque, pour pouvoir concurrencer plus grand qu’elle, le cheval de bataille est l’innovation et la célérité. Je clôture les projets d’investissement entre trois et six mois, avec les grandes banques, cela peut prendre des années.
Quels sont les projets innovants que vous pensez pouvoir accompagner ?
Aujourd’hui, nous sommes à l’air de l’industrie 4.0 robotisée usant d’intelligence artificielle, pensez-vous que pour bénéficier de services bancaires, nos jeunes opteraient pour une banque classique ? C’est une jeunesse fortement connectée, toutes les transactions se font via internet et les réseaux sociaux. Il faut donc se préparer à offrir le canal approprié.
En 2022, la BCT a présenté la plateforme PaySmart, et on y a adhérer. La STEG et la SONEDE y ont été parties prenantes. Ce sont les nouveaux modes de paiement que nous, en tant que banque, devions suivre. Dès que j’ai pris mes fonctions à la BTE, j’ai réalisé le potentiel dont elle dispose à travers un système d’information très dynamique et des informaticiens de très haut volet. Il a suffi de fixer les axes pour aller vers l’innovation et s’inscrire dans la stratégie nationale de Decaching.
Quels sont vos objectifs à court et moyen termes ?
Mon premier objectif c’est d’arriver au ZERO papier, ceci avec une RSE qui doit être au cœur de notre stratégie. La RSE ce n’est pas un simple concept et juste une direction RSE, nous voulons que les actions RSE transforment notre réalité. La protection de l’environnement ne doit pas être vide de sens. Nous mettons un point d’honneur à accompagner les politiques de l’Etat tunisien dans la transition énergétique, dans la politique de Decaching et la politique d’innovation.
Axe innovation, j’ambitionne de faire de la BTE une banque virtuelle de bout en bout. Je dispose de 31 agences mais je n’ai pas la possibilité d’ouvrir un réseau bancaire plus grand et c’est la raison pour laquelle il faut que le canal virtuel assiste et aide le canal physique, sachant que le virtuel n’est pas le digital. Les banques ont réalisé leurs plateformes de service digital, mais n’ont rien fait au niveau du virtuel. C’est la raison pour laquelle je ne cesse de dire que nous avons l’opportunité de développer un véritable concept de Néo Banque qui est le modèle Banking-as-a-Service, ce qui met fin à toute action nécessitant du papier et qui facilite et assouplie la relation banque/client.
j’ambitionne de faire de la BTE une banque virtuelle de bout en bout
Vous avez aujourd’hui pour une raison ou une autre besoin d’ouvrir un compte que vous pouvez demain clôturer. C’est une grande liberté que nous offrons. Toute action est de la Data. Quand vous avez au cœur de votre système d’information, une application d’intelligence artificielle qui va analyser le Data, ceci vous offre le moyen d’avoir le profiling de vos clients et en même temps vous avez l’information alternative offerte par les réseaux sociaux. Vous pouvez ainsi, identifier les besoins et les tendances de vos clients et potentiels clients qui peuvent même être dessinées à travers les recharges téléphoniques des clients.
C’est grâce aux données qu’on recueille à partir des actions précédentes, que nous pouvons analyser l’offre du produit adapté et décider de quand le proposer. Nous attaquons aussi la digitalisation qui ne doit pas être une digitalisation de vitrine. Tout le process métier doit être digitalisé.
A travers la Fintech, c’est devenu possible. Quand vous vous engagez dans ce processus avec les solutions Banking-as-a-Service (BaaS), vous rentrez directement dans l’open Banking. Le back office reste le noyau dur, qu’il s’agisse du référentiel client ou du moteur comptable. Il y a ensuite des couches applicatives et des solutions métiers que nous pouvons élaborer en nous reposant sur les fintechs et des jeunes startuppers innovants. Il faut être modestes, avoir de l’humilité et ouvrir la voie à d’autres idées pour avancer dans la vie. Jabrane khalil Jabrane disait : « Il n’y a pas la vérité, il y a des vérités ».
La vérité d’aujourd’hui peut ne pas être celle de demain, si je trouve des acteurs qui font mieux que moi, je fais appel à eux et je leur donne les moyens de réussir et de réaliser l’objectif commun.
Comment avez-vous procédé ?
Nous avons tout simplement ouvert une porte sur notre environnement et une de nos premières réalisations a été la première plateforme de crowdfunding qui repose sur les donations. Nous sommes la banque domiciliataire et nous allons accompagner l’initiateur de cette plateforme dans la mise en place.
Le crowdfunding repose sur une participation et des dons. Il repose sur la communauté, si jamais vous êtes un million de personne dans cette communauté, vous pouvez mettre juste un dinar et cela nous fait un million de dinars, avec 1 MDT, nous pouvons facilement financer des projets.
Une de nos premières réalisations a été la première plateforme de crowdfunding qui repose sur les donations.
Nous avons aussi lancé un projet avec la startup “Floussi”. Nous voulons diversifier les partenariats avec des jeunes innovants et innovateurs. Aujourd’hui, nous figurons parmi les premières banques à promouvoir l’activité de facilitateur de paiement, parce qu’on est venu nous le demander et nous avons accepté. Ce fût avec la Konnect, une fintech tunisienne novatrice qui a obtenu l’agrément de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) en tant que facilitateur de paiement.
Vous vous voyez où dans 10 ans ?
Je me projette avec toute modestie, en tant que première néo-banque en Afrique et dans le monde arabe, c’est mon rêve, aujourd’hui nous disposons du modèle N26, révolutionnaire. C’est un compte courant numérique sûr et intuitif qu’on peut ouvrir en quelques minutes, directement depuis le smartph²one. Il est d’une grande simplicité et transparence, permet de recevoir, d’envoyer et de dépenser de l’argent en toute confiance.
Je me projette avec toute modestie, en tant que première néo-banque en Afrique et dans le monde arabe
Nous nous projetons aussi comme accompagnateur de référence pour les entreprises, dans tout ce qui est développement durable. Nous sommes en train de lancer le pack green destiné aux particuliers. Nous offrons des facilités à tous ceux qui veulent installer chez eux le photovoltaïque sans aucun apport personnel de leur part.
La BTE est-elle une banque qui prend des risques pour financer les projets privés?
Nous avons l’obligation de financer toutes les demandes de crédits mais nous considérons prioritaires ceux qui se font dans le cadre de la transition énergétique et la protection de l’environnement. Bien sûr l’approbation des actionnaires est déterminante d’où la décision d’augmentation du capital pour nous doter des moyens financiers adéquats.
Donc deux axes importants : l’environnement et l’Innovation. Le troisième est le capital humain. Ce qui fait et fera la différence dans notre secteur est la qualité du capital humain.
La première décision prise par le conseil d’administration a été la création d’un centre de formation intégré. Je ne veux pas que notre personnel soit formé ailleurs de manière standardisée. Nous avons des équipes qui peuvent dispenser des formations sur mesures. Tout est prêt depuis les cursus jusqu’aux formateurs et c’est la culture BTE, ses valeurs d’intégrité et d’excellence, sa technicité et son savoir faire qui seront au cœur des sessions de formation à dispenser à nos collaborateurs. Nous allons commencer par nous attaquer à la force de vente
Qu’en est-il de la RSE coté écologie ?
Nous sommes aussi partie prenante, avec d’autres banques, dans le projet de reboisement de la Tunisie. Nous soutenons la startup Soul and Planet, qui met en place une plateforme qui va permettre d’encourager les produits écologiques tunisiens, nous appuyons l’association Al Madania et d’autres qui font beaucoup sur le terrain social.
La BTE est bien décidée à être présente sur tous les terrains qu’il s’agisse de l’innovation et des progrès bancaires ou de la RSE avec l’objectif de mettre l’homme au cœur de ses activités et de préserver l’environnement.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali