Houcine Rhili, expert en développement et gestion des ressources, a mis l’accent sur l’impératif d’engager un dialogue «sérieux», afin de prioriser les usages de l’eau, d’ici les cinquante prochaines années, et de s’adapter par conséquent, au stress hydrique actuel.
«Tous les utilisateurs d’eau doivent être associés à ce dialogue sans exception », a-t-il déclaré, à l’agence TAP, en marge d’une rencontre organisée, vendredi soir, à Dar El Collectif à Tunis, par l’Observatoire Tunisien de l’Eau, à l’occasion de la Journée internationale de l’eau célébrée le 22 mars de chaque année.
“L’objectif étant de hiérarchiser nos besoins en eau à moyen et long termes, en vue de mieux répartir la ressource et optimiser sa gestion dans tous les secteurs d’activité, notamment, le secteur agricole”…« Jusqu’à présent, aucune discussion n’a été entamée avec les agriculteurs pour envisager des alternatives à certaines cultures très gourmandes en eau et s’orienter vers d’autres filières plus résilientes au changement climatique », a-t-il fait remarquer.
Selon lui, “la priorisation des besoins nationaux hydriques doit, impérativement, être inscrite dans le projet du code des eaux dont l’adoption par le gouvernement piétine encore”.
« Depuis 2014, il y a eu sept versions de ce projet de loi. Pourtant, ce texte tarde, encore, à voir le jour », a déploré Rhili, appelant à l’importance qu’il soit élaboré dans le cadre d’une approche participative.
Portant un regard critique sur les mesures de restriction des usages de l’eau, initiées depuis l’année dernière par le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, l’expert a estimé que le gouvernement a opté en faveur de mesures « faciles » et « non coûteuses » comme la rationnement de l’eau potable, à travers le système généralisé de quotas et de coupures.
En outre, a-t-il observé, ces mesures ont concerné, seulement, les secteurs domestique et agricole, épargnant le secteur industriel.
Les pertes en eau dans le réseau de la Sonede, évaluées au quart de la consommation nationale par an
A en croire l’expert, ces mesures restent « conjoncturelles » et ne sont pas à la hauteur de la situation hydrique actuelle.
« Nous sommes en situation de stress hydrique depuis 1995. Le problème de la pénurie d’eau ne date ni d’hier ni d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas là d’un problème conjoncturel mais structurel qui nécessite des mesures d’adaptation et d’anticipation à moyen et long termes », a-t-il insisté.
Evoquant la décision annoncée par le ministre de l’Agriculture de construire de nouveaux barrages, Rhili soutenu que cette mesure n’est pas la meilleure des solutions car les pertes d’eau liées à l’évaporation restent importantes, outre le fait que cela reste très « coûteux ».
« Lors de la journée la plus chaude du mois de juillet 2023, un million de m3 d’eau s’est évaporé dans nos barrages, sachant que cette quantité répond aux besoins journaliers de quatorze gouvernorats », a-t-il renseigné.
L’expert a, à cet égard, jugé indispensable de rompre avec les solutions conventionnelles qui ont « montré leurs limites », plaidant en faveur de la construction de barrages souterrains dans les régions du centre, du centre-ouest, du sud et du sud-ouest.
«Aujourd’hui, le problème n’est pas de collecter l’eau mais de trouver les moyens pour la retenir et l’empêcher de s’évaporer. Or, les barrages souterrains peuvent retenir la ressource et alimenter ainsi la nappe phréatique», a-t-il affirmé.
Pour lutter contre le gaspillage d’eau, Rhili a, également, appelé la Société Nationale de Distribution des Eaux (Sonede) à moderniser ses infrastructures devenus vétustes. D’après lui, les pertes en eau dans le réseau de la Sonede sont évaluées à 120 millions m3 par an, soit plus d’un quart de la consommation nationale par an.
Le coût de l’inaction sera très élevé
Revenant sur la circulaire relative à la rationalisation de la consommation d’eau dans la fonction publique, publiée le 6 mars courant par le chef du gouvernement, l’expert a critiqué la décision liée à la construction de puits et leur raccordement aux sanitaires.
« Comment le gouvernement peut-il à la fois interdire le forage de puits anarchiques aux citoyens et agriculteurs et l’encourager dans l’administration publique?. Cela est paradoxal », a-t-il fustigé.
Et d’ajouter : « La circulaire incite, par ailleurs, les administrations à installer des équipements afin d’économiser l’eau mais ont-elles vraiment les ressources financières nécessaires pour investir dans de tels équipements ? »
En guise de conclusion, l’expert a réitéré son appel à prendre des mesures d’adaptation et d’anticipation à moyen et à long termes pour faire face au stress hydrique et au changement climatique.
« Nous devons reconnaître que le changement climatique est une réalité qui va perdurer. Pour cela, nous n’avons pas d’autre choix que de nous adapter et d’agir car le coût de l’inaction sera plus élevé », a-t-il encore souligné.
Avec une part moyenne d’eau par habitant, estimée à 430 m3/an en Tunisie et qui devrait baisser à moins de 350 m3, d’ici 2030, selon les chiffres officiels, la Tunisie est un pays fortement exposé au stress hydrique.
Près de 300 mille tunisiens n’ont pas ou plus d’accès à l’eau potable en 2022, selon le Forum pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES).