Oiseaux de mauvaise augure ? C’est ainsi que les nouveaux parvenus sur la scène publique, les peshmergas des réseaux sociaux et les médias systématiquement complaisants appellent économistes, experts et compétences patriotes qui crient à la dégradation de presque tous les indicateurs socioéconomiques du pays !
Dire la vérité est devenue un anathème dans la nouvelle Tunisie, mettre en garde contre les dérives économiques suscite le gourou des populistes et attirent les foudres des décideurs publics ! Tout va bien dans le meilleur des mondes ! Attendons donc que le ciel nous tombe sur la tête et nous dirons que c’est un acte de Dieu, c’était notre prédestination ! Plus d’une décennie d’abrutissement du peuple, dont les classes prétendument éclairées, ont fini par lui enlever tout bon sens !
Mais la vérité est ailleurs et les chiffres, les faits démentent discours et annonces fracassantes sans réalisations concrètes.
Pour preuve, les rapports de benchmarking publiés la semaine dernière et qui révèlent selon Hechmi Alaya, dont on ne peut pas dire “faux expert” une double régression : “La Tunisie enregistre sa plus mauvaise performance en matière de développement humain dans le rapport 2023- 2024 que vient de publier l’ONU et son attractivité pour les investisseurs étrangers a atteint son plus bas niveau depuis cinq ans. Dans le flot de données en provenance de l’économie, on retiendra : le recul pour la deuxième année consécutive de la production nationale d’électricité qui n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant la crise de la Covid, l’insignifiance de la contribution des énergies renouvelables, la transition énergétique ubuesque du pays, le record en trompe-l’œil du tourisme tunisien en 2023 et enfin, la dépendance croissante du pays aux importations de blé de Russie et d’Ukraine. En bref, pas vraiment de quoi impressionner les partenaires étrangers de la Tunisie”*.
“La Tunisie enregistre sa plus mauvaise performance en matière de développement humain.” – Rapport PNUD 2023-2024
La fuite en avant sauvera-t-elle le pays ? Ou encore les déclarations de certains hauts responsables qui assurent à chaque fois qu’on leur pose la question sur l’état de l’économie : “Inchallah labess” porteront-elle, en elles, les bénédictions de tous les saints et marabouts de Tunisie pour que le taux de croissance passe de 0,2% à 5 ou 6% ? !!!
Parce que la réalité socioéconomique ne s’améliore pas même si Moody’s a changé la perspective du pays de négative à stable à la demande d’un mandant représentant la Tunisie. Elle reste quand même dans le Caa2 reflétant de grandes incertitudes sur les sources de financement en l’absence d’un accord possible avec le FMI avec des plafonds de risque pays inchangés à B2 pour le plafond en monnaie locale et Caa1 pour le plafond en devises.
“Les réformes ont un coût social et fort probablement un coût politique. Mais le coût social et le coût politique des non-réformes seraient sans doute beaucoup plus élevés.” – Ezzeddine Saidane, universitaire et consultant financier
Le populisme économique et social l’emporte sur la nécessité d’engager des réformes profondes pour sauver le pays. Aucune augmentation des prix du carburant, aucune réforme de la compensation et des politiques des subventions. Des subventions au carburant, au sucre, à l’huile végétale et au pain, lesquels au lieu de cibler les catégories des classes sociales tunisiennes vulnérables, profitent au même titre aux résidents étrangers, à une grande partie de migrants et aux touristes, qui eux, peuvent payer en devises.
Un pouvoir d’achat en baisse régulière !
Ceci alors que le pouvoir d’achat du Tunisien moyen est en baisse régulière. Selon l’INS, les prix à la consommation ont augmenté de 0,2% au mois de février après une hausse de 0,6% en janvier. “Une augmentation est principalement attribuée à la hausse des prix de l’alimentation de 0,7% à la suite de la hausse des prix des viandes ovines de 3,8%, des viandes bovines de 1,6%, des prix des huiles alimentaires de 1,2%, des prix des légumes frais de 0,9% et des prix des poissons de 0,9%. En revanche, les prix des fruits frais sont en baisse de 1,1% et les prix des volailles de 0,9%. Les prix du groupe santé augmentent de 5,2% en raison de la hausse des prix des médicaments de 10,5% et des services ambulatoires privés de 0,2%” !
“La Tunisie est la 88ème sur 130 pays en termes d’attractivité des investissements étrangers.” – Milken Institute
Du coup, il ne faut pas crier victoire à la hausse des exportations de 2,1% (mois de février) et la baisse des importations de 7,1% confirmant le choix de l’économie de la pénurie qui prive les Tunisiens de besoins importants dont les médicaments et certains secteurs économiques des intrants nécessaires à l’exercice de leurs activités !
Côté attractivité du site Tunisie, Hechmi Alaya fait état dans le dernier numéro d’Ecoweek** d’un recul de 8 places des investissements étrangers selon le classement mondial 2024 établi par le Milken Institute : la Tunisie est la 88ème sur 130 pays après avoir été rangée à la 80ème place en 2023 et à la 83ème en 2021.
Mais ce n’est pas grave ! Tout baigne !!!
La question est : veut-on réellement sauver l’économie ?
Si tel est le cas, Ezzeddine Saidane, universitaire et consultant financier estime qu’il faut en prime apaiser la vie politique, engager les réformes nécessaires, indispensables, inévitables et qui ont beaucoup trop tardé, définir ce que l’on veut faire de la Tunisie : se fixer un BUT et définir une stratégie. Cela en étant conscients que les réformes ont un coût social et fort probablement un coût politique. Mais le coût social et le coût politique des non-réformes seraient sans doute beaucoup plus élevés.
Pour adopter l’approche proposée par M.Saidane, il faudrait commencer par reconnaître que la Tunisie économique n’est pas au meilleur de sa forme, mais peut-être préfère-t-on la tenir dans un coma artificiel en attendant qu’elle rende son dernier soupir et en imputant toujours la faute aux autres !!!
Amel Belhadj Ali
*/**Ecoweek du 24 mars 2024