Sami Mekki, PDG de l’Office national des Postes tunisiennes plus connu sous sa dénomination commerciale, la Poste tunisienne, vient de faire d’importantes révélations sur la création d’une banque postale en Tunisie. Invité à en parler, fin mars 2024, dans le cadre d’une réunion de la commission parlementaire des finances consacrée à l’examen du projet de loi sur l’exclusion financière, Sami Mekki a donné de précieux éclairages sur l’évolution de ce dossier depuis sa soumission, pour la première fois en 2019, à la BCT d’une demande de licence préliminaire pour la création de la Banque Postale et une seconde fois en 2023.
Le premier responsable de la Poste tunisienne a révélé que dans sa réponse au premier projet, la BCT a demandé une révision du modèle d’affaires proposé pour la Banque Postale et son adaptation aux exigences du système juridique qui régit le secteur bancaire. Il s’agit entre autres, de doter la future banque postale du statut d’une société anonyme et de soumettre ses services au contrôle de la BCT.
Il a ajouté que sur la base de ces recommandations, la Poste tunisienne a concocté, avec l’aide d’experts, un nouveau dossier et l’a soumis à l’Institut des émissions, mais jusqu’à ce jour, elle n’a pas reçu de réponse.
Les monétaristes officiels étaient opposés au projet
Interpellé par les députés de la commission des finances sur le même dossier, le représentant de la BCT dont le nom n’a pas été révélé, a parlé de « l’ouverture de la BCT à l’idée de création de cette institution bancaire postale, soulignant la nécessité d’étudier attentivement le projet afin qu’il soit viable, étant donné sa relation avec les services financiers, les dépôts, les prêts et les services de paiement, et qu’il résolve tous les problèmes éventuels ».
C’est le même discours que tenait l’équipe de l’ancien gouverneur de la BCT Marouane Abbassi qui vient d’être remplacé le 15 février 2024 par Fethi Zouhair Nouri.
“La future banque postale a pour mission de fournir des services de proximité aux communautés enclavées.”
Cette équipe a constamment été hostile à ce projet. Elle a tout fait pour ralentir sa concrétisation. Pour preuve, plusieurs ONG de la société civile ont cherché à connaître les raisons qui ont amené cette équipe à refuser l’octroi d’un agrément à la banque postale.
Empressons nous de signaler que la BCT n’était pas la seule institution à s’opposer au projet. Le ministère des finances était également de la partie. Ce département n’était pas enthousiaste pour le projet. Il redoutait la perte par l’effet de création de la banque postale (transfert vers la banque postale), d’importantes ressources générées par les comptes courants et les comptes d’épargne postaux. Ces ressources étant utilisées pour financer le budget de l’État et couvrir les dépenses courantes, notamment dans un contexte de pénurie de ressources de financement.
La Banque postale, une banque à mission
Et pourtant la création d’une banque postale est loin d’être une trouvaille tunisienne. L’idée d’en disposer en Tunisie est inspirée d’expertises française, italienne et japonaise réussies.
Mieux, la future banque postale tunisienne est de la catégorie de ce que la jurisprudence française appelle « une société à mission », c’est-à-dire une entreprise qui sert l’intérêt social, voire une ambition nationale.
La future banque postale tunisienne a justement pour mission de fournir des services de proximité aux communautés enclavées, c’est-à-dire dans les contrées où les banques classiques refusent de s’y implanter et, même, lorsqu’elles sont contraintes de le faire c’est sans réelle conviction.
Les bailleurs de fonds apportent à ce projet inclusif un soutien mitigé. D’un côté, ils sont pour dans la mesure où le besoin est réel. Les PME et TPE et même de simples citoyens de l’intérieur du pays rencontrent de sérieuses difficultés pour accéder à un financement approprié de proximité.
“Le projet de Banque postale répond à un besoin réel d’importants pans de la société tunisienne.”
C’est d’ailleurs en prévision de la création de cette banque que l’Union européenne a mis à la disposition de la Poste tunisienne, en 2016, un don de 1 million d’euros. Ce financement est dédié au cofinancement de plans d’action visant la promotion des différents métiers de la Poste et l’amélioration de leur management.
De l’autre, attachés à leur idéologie néolibérale, les bailleurs de fonds dont la BERD craignent que cette nouvelle banque ne vienne augmenter le nombre des banques où l’Etat serait, encore une fois, actionnaire. Ce qui risque de regénérer les mêmes problèmes de gouvernance difficiles à résoudre.
Quant à nous nous espérons que le prochain conseil des ministres qui sera consacrée à ce sujet et dont toutes les parties concernées en parlent saura dégager des voies pour le déblocage de ce projet qui, rappelons-le, a valeur d’ambition nationale légitime, surtout lorsqu’on sait que la création d’une banque postale est un projet viable. Il répond à un besoin réel celui d’importants pans de la société tunisienne d’accéder à un financement adapté à leur situation.
Ce projet a, en plus, toutes les chances de réussir, et pour cause. Adossée à plus de 1.200 bureaux postaux répartis sur tout le territoire, et plus de 4 millions de détenteurs de comptes d’épargne représentant 25% de l’épargne du pays et de 2 millions de comptes courants, la future banque postale a, logiquement, tous les atouts pour réussir.
Abou SARRA