A lire de près, un long communiqué publié par l’ambassade de l’Union européenne (UE), à Tunis, suite à la signature, le 26 mars 2024, du contrat consacrant, officiellement, l’octroi du marché du pont fixe de Bizerte (750 MDT), au groupe chinois Sichuan Road and Bridge Group (SRBG), l’UE donne l’impression qu’elle n’a pas digéré l’attribution de ce marché à une entreprise chinoise.

C’est la déclaration de Marcus Cornaro, Ambassadeur de l’UE en Tunisie, lors de la cérémonie de signature qui nous a amené à avancer cette hypothèse. « Nous confirmons notre engagement dans la réalisation de ce projet stratégique qui contribuera à l’amélioration du quotidien des habitants de Bizerte ainsi qu’au développement économique de la région », a-t-il dit.

Le diplomate européen a bien dit dans cette déclaration consignée dans le communiqué «nous confirmons… ». Cette expression suppose, logiquement, qu’avant la signature du contrat, l’UE, qui a toujours considéré la Tunisie comme sa chasse gardée, aurait émis des réserves.

Le viaduc de Bizerte serait conçu et financé par les seuls européens

Mieux, le communiqué laisse entendre que l’UE aurait beaucoup fait pour ce projet structurant. Comprendre : aucune autre partie n’a fait mieux qu’elle.

Ainsi, l’UE insiste pour nous rappeler que c’est l’Union qui a garanti le prêt accordé par son bras financier, la Banque européenne d’investissement (BEI) pour cofinancer ce projet, soit 123 MЄ. L’UE occulte, délibérément, que la Banque Africaine de Développement (BAD) a contribué au financement du projet à hauteur de 122 MЄ, presque le même montant que celui fourni par la BEI.

L’UE a tenu également à nous remettre à l’esprit que « ce projet avait bénéficié, dès son initiation en 2016, de son soutien à travers un don de l’ordre de 3 MЄ (plus de 10MDT) destiné à financer les études de faisabilité et la phase de conception du projet ».

“L’octroi du marché du pont fixe de Bizerte à un groupe chinois constitue une évolution importante dans l’octroi de marchés de dimension internationale en Tunisie.” –

Pour mémoire, ce don a servi à faire travailler deux bureaux d’études européens. Il s’agit de TEC4 Ingenieros, société de conseil en ingénierie dédiée à la fourniture de services d’ingénierie et d’architecture liés au domaine de la construction et d’un deuxième bureau, «Le consultant ingénierie», spécialisé dans l’infrastructure routière.

Une vidéo accompagnant le communiqué a mis en valeur les prouesses techniques proposées par les deux bureaux d’études et la qualité de la conception technique du Pont fixe de Bizerte (viaduc).

Abstraction faite de nos insinuations, qui peuvent paraître pour certains tendancieuses, nous rappelons que le marché du viaduc de Bizerte a fait l’objet d’un appel d’offres international auquel ont participé 8 sur un total de 13 entreprises candidates.

Les entreprises qui ont réussi le processus de préqualification du ministère étaient:

  • Le Groupe d’ingénierie des grands ponts ferroviaires chinois,
  • Vinci (France)
  • Tekfen (Turquie),
  • Arab Contractors (Egypte)
  • Poly Changda (Chine),
  • China Road & Bridge Corporation
  • China Communications Construction Company
  • Puentes Y Calzadas Infraestructuras (Espagne),
  • Eiffage (France)
  • Nurol (Turquie),
  • IHI (Japon),
  • Sichuan Road & Bridge Group (Chine)
  • Ictas (Turquie)
  • Cimolai (Italie).

La Tunisie ne serait plus la chasse gardée des occidentaux

Par delà ces éclairages, nous pensons, quant à nous, que l’octroi du marché du pont fixe de Bizerte à un groupe chinois constitue une évolution importante dans l’octroi de marchés de dimension internationale en Tunisie. Il vient consacrer un début de changement de la manière suivie jusqu’ici lors du financement des projets tunisiens par des bailleurs de fonds occidentaux et son corollaire l’octroi presque automatique de ces marchés à des entreprises occidentales.

“C’est un cercle vicieux qui profite toujours aux acteurs économiques occidentaux et à leurs bras financiers. Il semble que l’octroi à un groupe chinois du marché du Pont fixe de Bizerte dont la faisabilité technico économique a été financée par un don européen, est venu briser ce cercle.”

Un rappel succinct de la technique utilisée depuis des décennies. Dès qu’un projet intéressant est identifié, les bailleurs de fonds occidentaux (Banque mondiale, BERD, BEI, AFD, KFW…) se précipitent pour accorder, dans une première étape, un don.

Ce dernier, utilisé le plus souvent pour financer les études de faisabilité des projets, profite, exclusivement, aux bureaux d’études occidentaux lesquels ont tendance, en plus, à imposer le type de technologies à adopter. Le don est perçu, ici, comme une sorte d’appât pour retenir le client commanditaire. Ce don est suivi, ensuite, par des négociations pour l’obtention d’un crédit lequel une fois obtenu devait bénéficier, ensuite, à des entreprises occidentales. Quant au pays emprunteur (Tunisie), il continue, une fois le projet réalisé, à rembourser le prêt.

C’est un cercle vicieux qui profite toujours aux acteurs économiques occidentaux et à leurs bras financiers. Il semble que l’octroi à un groupe chinois du marché du Pont fixe de Bizerte dont la faisabilité technico économique a été financée par un don européen, est venu briser ce cercle.

A méditer…

Abou SARRA