Déclaration du président Kais Saied ou pas à propos de la présence subsaharienne en Tunisie, les migrants subsahariens sont de plus en plus nombreux à élire domicile en Tunisie. Arrivés par milliers à partir des frontières libyennes et algériennes en Tunisie, leur rêve est de rejoindre la rive nord de la méditerranée, ce que s’efforcent aujourd’hui les autorités tunisiennes d’empêcher.
Et même si on n’ose pas dire à haute voix que la Tunisie est devenue le gendarme de l’Europe dans la rive sud de la méditerranée, dans les faits, alors que ses frontières laissent entrer des milliers de clandestins sur ses terres, la force de frappe de la police et des gardes frontières est principalement orientée vers la surveillance des bateaux transportant aussi bien les migrants subsahariens que ceux tunisiens vers ce qu’ils pensent être l’Eldorado !
Georgia Melloni a bien vu !
Dans pareil contexte, quel est le positionnement de la Tunisie en Afrique et quelle posture doit-elle observer face aux derniers développements politiques et sécuritaires en Afrique subsaharienne ?
Une question à laquelle a répondu Ezzeddine Zayani, ancien ambassadeur, président du Centre Tunisien des Études pour la Sécurité Globale lors des journées de réflexion stratégique organisées par le Conseil des Relation Internationales, présidé par l’ex-ministre des Affaires étrangères Khemaies Jhinnaoui.
M. Zayani a rappelé les relations historiques entre la Tunisie et les pays africains fondées sur le respect et la bonne entente. “Malgré ses difficultés économiques dans les années 60, la Tunisie n’avait pas épargné ses efforts pour venir en aide aux mouvements de libération nationale en Angola, en Érythrée et en Afrique du sud. Bourguiba avait octroyé en 1962 un passeport diplomatique à Nelson Mandela pour lui permettre de mener une campagne à l’échelle internationale contre le régime de l’apartheid”.
“Malgré ses difficultés économiques dans les années 60, la Tunisie n’avait pas épargné ses efforts pour venir en aide aux mouvements de libération nationale en Afrique.” – Ezzeddine Zayani
Le conférencier évoque la question de la crise migratoire qui se pose avec acuité aussi bien pour les pays récipiendaires européens que pour la Tunisie devenue un pays de transit et insiste sur la vulnérabilité du “vieux continent” face à la Russie qui mets tout en œuvre pour fragiliser la présence européenne en Afrique, un continent objet de toutes les convoitises parce qu’explique Ezzeddine Zayani, c’est un continent extrêmement riche.
Selon la Commission Économique pour l’Afrique CEA, l’Afrique possède 54% des réserves mondiales de platine,78% de celles de diamant, 40% de celles de chrome, 28% de celles de manganèse.
19 pays du sud du Sahara possèdent d’importantes réserves d’hydrocarbures, pétrole, gaz naturel, charbon et d’autres minerais. Les réserves de pétrole en Afrique sont estimées à 36,9 milliards de barils, particulièrement en Libye, qui à elle seule possède 3,3% des réserves mondiales.
Quant à l’Afrique subsaharienne, elle est bien lotie. Le Congo Brazzaville possède 2,9 milliards de barils, le Gabon 2 milliards, le Tchad 1,9 milliard, sans oublie l’Algérie avec ses 12,2 milliards, le Soudan avec 5 milliards, l’Angola 7,8 milliards.
10 pays africains producteurs de pétrole sont détenteurs de 70% des réserves de pétrole en Afrique.
Des pays tels la république démocratique du Congo, RDC, le Niger, la Guinée, la Zambie, le Mali regorgent de matières premières stratégiques tels le cuivre, le coltan (utilisé dans la fabrication des téléphones portables), le lithium (utilisé dans la fabrication des batteries pour les voitures électriques), l’uranium, l’or, le diamant etc..”
Au Mali, les mots les plus dits sont : “Notre or ne brille pas pour nous”
La grande richesse du continent noir qui ne profite nullement aux Africains suscite l’intérêt de grandes puissances comme la Chine, la Turquie, la France, la Russie, le Brésil et le Maroc dont les représentations diplomatiques se comptent par dizaines alors que La Tunisie n’a que 10 ambassades en Afrique !!!
Sur le continent africain en souffrance, les populations souffrent le martyr. Au Mali, une citation revient très fréquemment sur les lèvres des Maliens : “Notre or ne brille pas pour nous”.
En Afrique subsaharienne le taux de croissance économique n’a pas dépassé les 3,6% en 2022 contre 4,1% en 2021, des taux incapables de répondre aux besoins des populations. La jeunesse africaine préfère la migration à la pauvreté. “Entre 2014 et 2020, 20 milles sont morts dans des embarcation de fortune”.
Aucune chance de remédier à cet état de fait par des plans de développement réalisables alors que le continent est dévoré par le fléau de la corruption. M. Zayani, cite des chiffres : “ selon un rapport de la Banque Africaine de Développement, BAD, l’Afrique a transféré de 1980 à 2010 vers l’occident 1.400 milliards de dollars. En 2020 la diaspora africaine avait transféré vers le continent 50 milliards de dollars d’après la banque mondiale, la même année 51 milliards de dollars avaient quitté licitement ou illicitement l’Afrique vers des banques en dehors du continent. Les meilleures terres arables constituent elles aussi, aux dépens des paysans africains, l’objet de convoitises et de tractations particulièrement là où il y a des quantités importantes d’eau telle l’Éthiopie où la Chine a loué pour une longue période des milliers d’hectares”.
Mais…qu’en est-il des relations Tunisie-Afrique ?
La structure des échanges de la Tunisie au sein du continent africain est fortement déséquilibrée
La Tunisie doit-elle se contenter d’être le garde frontière de l’Europe ou évoluer vers un rôle plus important sur le plan économique ?
Selon une étude menée par Rachidi Kotchoni et Jude Eggo intitulée “La Tunisie : Avantages comparatifs et développement de chaînes de valeurs africaines*”, la structure des échanges de la Tunisie au sein du continent africain est fortement déséquilibrée, le pays entretenant l’essentiel de ses échanges avec ses pairs d’Afrique du Nord.
Entre 2012 et 2021, les importations tunisiennes en provenance de l’Afrique sub-saharienne ont représenté en moyenne 6,30 % des importations en provenance du continent, et 0,44 % du total de ses importations.
“L’Afrique possède 54% des réserves mondiales de platine,78% de celles de diamant, 40% de celles de chrome, 28% de celles de manganèse.” – Commission Économique pour l’Afrique CEA
Dans le même temps, 22,76 % des exportations tunisiennes, sur le continent Africain, étaient à destination de l’Afrique sub-Saharienne, ce qui correspond à 2,54 % des exportations totales du pays.
D’une manière générale, les échanges entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne sont fortement contraintes par la barrière naturelle représentée par le désert du Sahara et la faiblesse des connexions maritimes.
Ainsi, il est moins coûteux pour un pays d’Afrique Subsaharienne de se faire livrer un container de marchandises en provenance de l’Europe que d’un pays d’Afrique du Nord.
L’adhésion à la Zone de libre-échange continental africaine (ZLECAF) offre à la Tunisie une nouvelle perspective pour accroître et dynamiser ses échanges avec le reste du continent africain.
Le contexte international post-Covid marqué par la morosité de la croissance économique et des poussées inflationnistes entretenues par le conflit russo-ukrainien met en évidence l’importance d’implémenter des politiques industrielles et commerciales qui réduiront la dépendance de la Tunisie à un petit nombre de partenaires commerciaux.
Les auteurs de l’étude estiment que pour être à la hauteur des enjeux économiques et sociétaux actuels, la Tunisie doit non seulement diversifier ses exportations, mais réaliser une montée en gamme de ses produits, en se positionnant sur des segments de plus en plus complexes qui lui permettront de mieux tirer parti de ses échanges internationaux.
Même si la Tunisie est actuellement l’un des pays Africains les mieux insérés dans les chaînes de valeur mondiales, son positionnement reste plus en aval qu’en amont, ce qui réduit les gains qu’elle peut en tirer. Par ailleurs, la Tunisie n’est pas assez insérée dans les chaînes de valeur africaines, ce qui contraint les gains potentiels qu’elle peut tirer de la ZLECAf.
“Selon un rapport de la Banque Africaine de Développement, BAD, l’Afrique a transféré de 1980 à 2010 vers l’occident 1.400 milliards de dollars.” – Ezzeddine Zayani
Aujourd’hui, alors que c’est l’Europe qui profite le plus des richesses africaines, en imposant au continent son hégémonie économique et des échanges commerciaux qui lui sont favorables aux dépends des pays africains, avec 3,9 milliards d’euros à l’avantage de la Belgique, 3,8 milliards d’euros pour l’Allemagne, 2,8 milliards d’euros à la Roumanie et 2,7 milliards d’euros pour la France, c’est la Tunisie qui doit assurer le rôle de gendarme !
“L’Europe a signé un mémorandum avec la Tunisie en juillet 2022 moyennant 930 millions d’euros pour empêcher les embarcations des migrants clandestins d’atteindre les côtes italiennes faisant de la Tunisie un garde-frontière de la citadelle européenne.
A l’approche des élections européenne prévues pour le mois de mai prochain, la droite et l’extrême droite européennes font de la question migratoire un thème de campagne” précise Ezzeddine Zayani qui rappelle les incidents graves dont le théâtre fût la ville de Sfax entre migrants africaines et habitants.
M.Zayani estime aujourd’hui qu’une nouvelle architecture des relations Europe Afrique est devenue inéluctable. Une nouvelle architecture qui épargnera à la Tunisie de jouer le rôle de garde frontières ou d’assumer les frais d’une migration qu’elle ne pourra pas gérer par manque de moyens.
“Désormais, l’Europe devra être moins gourmande, rétribuer les matières premières à leur juste prix et ne plus protéger des dirigeants corrompus qui ne cherchent pas les intérêts de leur peuple. Le monde évolue et l’Europe a intérêt à regarder la réalité en face pour continuer à avoir sa place sur le continent”.
Désormais aussi, la Tunisie doit sortir du rôle de gendarme pour passer à celui d’entrepreneur !
Amel Belhadj Ali
CRI : Conseil des Relations internationales
Étude : Tunisie : Avantages comparatifs et développement de chaînes de valeurs africaines Rachidi Kotchoni et Jude Eggo