Le parcours de Mohamed-Salah Mzali (1896-1984) est au coeur du livre “Mohamed-Salah Mzali, l’intellectuel et l’homme d’Etat” réalisé par Elyès Jouini (Université Paris Dauphine-PSL). Cet ouvrage de 767 pages paru en novembre 2023 est une réédition des memoires de Mohamed-Salah Mzali “Au fil de ma vie” publiées en 1972 aux éditions Hassan Mzali. Il a été réédité par l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts, Beït al-Hikma, Cérès éditions et l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC, Tunis).
“Lire les mémoires de Mohamed-Salah Mzali rééditées cinquante ans après leur publication ouvre des perspectives pour comprendre l’histoire des élites tunisiennes contemporaines, en particulier celles qui sont rattachées au monde de l’administration”, lit-on dans la préface, signée par Kmar BenDana (Université de la Manouba), de cette version établie et annotée par Elyès Jouini et complétées par une monographie de ce dernier sur le thème Mohamed-Salah Mzali, l’intellectuel et l’homme d’Etat.
Résumé : “Mohamed-Salah Mzali (1896-1984) est un homme de pouvoir, tour à tour Grand commis de l’État, réformateur, caïd, ministre, Grand vizir, déporté par les Français et prisonnier de Bourguiba. Il effectue une brillante scolarité à Sadiki et à Carnot. De même, il est le premier Tunisien à soutenir une thèse de doctorat en économie. On lui doit également d’avoir contribué à inscrire Khérédine Pacha, dont il sauve les archives, dans l’historiographie nationale.
La première partie de cet ouvrage, Au fil de ma vie, réédite les mémoires de l’écrivain méconnu, plume singulière de la littérature tunisienne. Elle retrace ainsi les étapes d’un parcours d’exception, de l’enfance jusqu’à une retraite tourmentée après une fulgurante carrière. Le ton, mesuré et tranchant, est à l’image de l’homme : habile séducteur, mais réservé face aux ors du sérail et sensible aux dérives de l’hybris. Il finira cependant écarté des centres du nouveau pouvoir. Mais l’auteur n’en livre pas moins un témoignage « de bonne foi » au lecteur soucieux de saisir les soubresauts d’un siècle qu’il traverse aussi bien en fin politique qu’en promeneur méditatif. “
Dans L’intellectuel et l’homme d’État, Elyès Jouini poursuit le travail entamé dans le premier volet largement enrichi de notes explicatives. Il nous propose une deuxième œuvre qui procède à un rare décryptage et à une mise en contexte historique de l’homme et de l’œuvre. De même, il restitue fidèlement un personnage d’envergure à l’histoire politique, sociale et culturelle de la Tunisie. Mais il n’en laisse pas moins entrevoir les paradoxes et les mutations d’une élite sur le point de céder la place, emportée par le flot de la décolonisation.”
Cet ouvrage était au coeur d’un colloque international sur le thème « Mohamed-Salah Mzali (1896-1984) : La Tunisie du makhzen à l’État national » (14-15 décembre 2023) à Beït al-Hikma, à Carthage. Ce colloque interdisciplinaire était accompagné d’une exposition de documents d’archives inédits, de photos, de décorations et d’articles de presse qui illustrent l’itinéraire d’un intellectuel du makhzen dans la première moitié du 20ème siècle.
Mohamed-Salah Mzali (1896-1984) était enseignant, historien, acteur de la vie intellectuelle, haut fonctionnaire et homme politique. Ses mémoires constituent un témoignage important sur les coulisses et contours d’une époque ayant façonné les différents aspects de la vie poltique, sociale et culturelle en Tunisie et leur évolution depuis le protectorat jusqu’au au lendemain de l’indépendance.
Le 4 mars 1954 est nommé Grand Vizir et Président du Conseil. La nouvelle organisation des pouvoirs qu’il a mise en place sera reprise ensuite par les Grands vizirs Tahar Ben Ammar (1889-1985) et Habib Bourguiba (1903-2000).
Mzali est l’un des tout premiers docteurs en droit tunisiens et est le premier à soutenir une thèse de doctorat en sciences économiques, en 1921. Il a passé 20 ans de services dans l’enseignement tant à Sadiki qu’à la Zitouna, 27 ans de services administratifs et 10 ans de participation au gouvernement dans différents secteurs (habous, affaires sociales, commerce, artisanat et industrie). Du point de vue politique, sa participation au gouvernement M’hamed Chenik (1889-1976) et son implication dans la requête tunisienne à l’ONU, lui ont valu d’être déporté par les français.
Les accords Mzali-Voizard de mars 1954 ont été considérés comme une avancée par les uns et comme une trahison par d’autres et lui ont valu d’être condamné à l’indignité nationale après l’indépendance, puis amnistié. Ces accords prévoient notamment un conseil des ministres, dans lequel les tunisiens sont pour la première fois majoritaires, et qui est présidé, également pour la première fois, par un tunisien en plus d’un parlement tunisien. La relation de Mohamed-Salah Mzali avec Bourguiba a toujours été chaleureuse et tendue à la fois.
Sur le plan social Mohamed-Salah Mzali est l’aboutissement d’une trajectoire familiale marquée par une ascension continue vers et dans le makhzen. Sa trajectoire personnelle est celle de l’émergence d’une nouvelle méritocratie s’appuyant sur les études. Il incarne cette frange du makhzen, inscrite dans la modernité qui a cru en la possibilité d’un passage progressif de la féodalité à la modernité, d’une accession en douceur de la Tunisie et des Tunisiens à la maîtrise de leur destin.
Sur le plan culturel, Mzali a été un acteur important de la vie intellectuelle de son temps et a participé aux instances des revues et sociétés culturelles et littéraires. Ses mémoires illustrent l’effervescence de cette époque. Il consacre enfin les presque trente dernières années de sa vie à l’écriture et à l’histoire de la Tunisie