La mauvaise qualité de l’air intérieur, dans les maisons et sur les lieux de travail, est un “tueur invisible”, qui est responsable du décès de 100 personnes en Tunisie, chaque année, selon un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), publié en 2015. Cependant ce tueur invisible demeure ignoré par la législation tunisienne et les données relatives à ce sujet manquent au niveau national, depuis la publication de ce rapport, selon l’expert en qualité de l’air intérieur Ilyes Chakroun.
Or, la pollution de l’air est classée comme cancérogène de type 1 (avéré) pour les êtres humains par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), instance spécialisée de l’OMS. Un air pollué à l’intérieur signifie qu’il contient des polluants comme des particules fines, des oxydes d’azote, de l’ozone, des composés organiques, du dioxyde de soufre. Il peut, ainsi causer le manque de concentration chez les élèves et à la longue des maladies respiratoires, des accidents vasculaires cérébraux (AVC) et des avortements, explique Ilyes Chakroun, dans une interview réalisée au studio TV de l’agence TAP.
“Nous passons plus de 80% de notre temps dans des lieux clos, donc il faut s’assurer que l’air qu’on respire dedans, soit décarbonisé et qu’il y’ait suffisamment d’oxygène” dit-il.
“Dans plusieurs pays européens et dans le monde, la qualité de l’air intérieur notamment dans les écoles et les crèches, est désormais prise en compte avec grand sérieux, alors qu’en Tunisie, une étude du ministère de l’Education (2023), a révélé que plus de 81% de l’ensemble des salles de classe dans les écoles primaires et plus de 57% des salles d’activité dans les jardins d’enfants et les crèches ne respectent pas le confort hygrothermique ( Ce qui signifie assurer une température constante en toute saison (entre 18 et 20 °C). Le taux d’humidité dans ses lieux varie entre 40 à 60 %. C’est pour celà que les enfants au sein de ces établissements se trouvent souvent malades et souffrent de bronchites et de malaises respiratoires”, explique Chakroun.
Dans les régions d’Afrique et de la Méditerranée orientale, 100% des enfants de moins de 5 ans, sont exposés à des niveaux de pollution de l’air (particules fines PM2, 5) supérieurs aux niveaux recommandés, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), rappelle l’expert.
Ilyes Chakroun, qui a été conseiller auprès du ministère de la Santé Publique durant la période du Covid-19 recommande, ainsi, d’accorder davantage d’attention au sujet de la qualité de l’air intérieur, car l’absence de lois, d’études et de donnés sur les valeurs et les concentrations de particules fines dans l’air intérieur en Tunisie constitue, en soi, un problème majeur.
Toutefois, la Tunisie est le troisième pays au monde à garantir, dans sa constitution, le droit à un environnement sain en vertu de l’article 47 de la Constitution qui stipule que “l’État garantit le droit à un environnement sain et équilibré et contribue à la protection du milieu. Il incombe ainsi, à l’État de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution de l’environnement”, les textes d’applications manquent et partant les dépassements et atteintes à la santé humaine, surtout sur les lieux de travail, se multiplient.
En outre, le droit des sociétés et le droit commercial exige du législateur tunisien de protéger chaque employé ou ouvrier travaillant dans un local commercial contre toute exposition aux risques pour sa santé. “Un point positif certes, mais, il faut sensibiliser tout le monde à la nécessité de protéger ce droit, y compris, les médecins de travail, les acteurs de la justice (juges…) et tout le monde” dit-il.
Côté solutions, l’expert appelle à repenser l’aménagement intérieur, depuis les matériaux de construction, les meubles, les produits de peinture, car tous ces matériaux dégagent des émissions. “Il faut également, anticiper les risques de nouvelles pandémies dues aux changements climatiques et hâter la mise en place de cadres législatifs et des lois fixant les valeurs de concentrations de particules, des outils de mesures de ces valeurs ainsi qu’investir dans des purificateurs d’air au sein des écoles et dans les établissements sensibles de l’Etat”.
En ce qui concerne les consommateurs, Chakroun recommande la garantie du droit à l’information et à la fiche allergène, l’affichage sur les produits (étiquetage) et le respect des normes en général. Il est aussi conseillé de s’assurer des systèmes d’aération à l’intérieur des maisons et des locaux, de changer les filtres des climatiseurs avant chaque usage (été/hiver) et de s’assurer que les systèmes d’aération fonctionnent selon les normes.
Selon un profil de la pollution atmosphérique en Tunisie dressé par la Direction de l’Hygiène du Milieu et de la Protection de l’Environnement, “plus d’un million de tonnes de polluants sont émis annuellement dans l’air en Tunisie. Les particules fines constituent le polluant le plus important (52.5 %)”.
Dans le monde, la pollution de l’air représente un risque environnemental majeur pour la santé. De nouvelles données de l’Organisation mondiale de la Santé (2018) montrent que 9 personnes sur 10 respirent un air contenant des niveaux élevés de polluants. Les dernières estimations révèlent que 7 millions de personnes meurent chaque année à cause de la pollution de l’air ambiant (extérieur) et à cause de la pollution de l’air à l’intérieur des habitations. Plus de 8,2 millions de personnes meurent chaque année à cause de la pollution de l’air, dont plus de 2 millions de morts causées par la mauvaise qualité de l’air intérieur.