A la veille de la présidentielle tunisienne qui devrait se tenir en principe, à la fin de l’année 2024, les rapports des think tanks américains sur la Tunisie se succèdent et se ressemblent. Ils ont tous une fixation pour le recul, d’après eux, de la démocratie en Tunisie. Intitulé « les élections de 2024 en Afrique : Des défis et opportunités pour retrouver l’élan démocratique », un récent rapport, publié en avril 2024, par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, institution du Département de la Défense des États-Unis financée par le Congrès pour l’étude des questions de sécurité relatives à l’Afrique, a consacré une partie à la Tunisie.
Les auteurs du rapport, Joseph Siegle et Candace Cook n’ont pas été tendre avec le mouvement du 25 juillet 2021 et la démocrature qu’il a générée. La démocrature étant un concept rassemblant deux pratiques contraires. Il est utilisé en science politique pour désigner le caractère autoritaire d’un régime politique qui, par certains aspects, est pluraliste ou démocratique. C’est une sorte d’l’alliance de la démocratie et de la dictature.
Pour revenir au rapport on y lit notamment : « La Tunisie est l’un des pays africains qui a connu le déclin le plus rapide de la gouvernance démocratique depuis son dernier cycle électoral, rivalisant avec les coups d’État militaires contre les gouvernements démocratiques en Afrique de l’Ouest ».
Le coup de force constitutionnel de Saïed assimilé à un coup d’Etat
Le document s’est focalisé, particulièrement, sur l’acharnement de Kaïes Saîed à dissoudre toutes les institutions qui servent de contrepoids à son pouvoir et à réprimer toute dissidence. Les auteurs devaient énumérer les caractéristiques de ce qu’ils appellent un« autocoup d’État », c’est-à-dire le démantèlement des institutions démocratiques par un dirigeant élu.
Il s’agit particulièrement, de la dissolution du parlement, l’adoption, en 2022, d’une nouvelle constitution qui recrée un système présidentiel unitaire, le président faisant office de chef d’État et de gouvernement, l’organisation d’élections législatives sanctionné par un parlement « croupion », dissolution, en février 2022, du Conseil supérieur de la magistrature, dissolution de la Haute autorité indépendante pour les élections, adoption du décret 54 qui rétrécit selon le rapport les libertés d’expression dans le pays, marginalisation des partis…Et la liste des dissolutions est loin d’etre clôturée.
“L’environnement politique tunisien est beaucoup plus restreint qu’il ne l’était lors des élections de 2019.”
Le rapport assimile l’« autocoup d’État » de kaîes Saïed aux coups d’Etat militaires classiques : « Bien qu’il ne soit pas aussi évident qu’un coup d’État militaire, et ne suscite donc pas la même condamnation régionale et internationale, ses effets sont comparables », lit -on dans le rapport.
Point d’orgue de ce rapport, les auteurs évoquent les puissances qui ont aidé le Président Kaîes Saied à consolider sa démocrature. Sans aucune gêne et sans fournir des arguments convaincants, les auteurs du rapport citent la Russie et certains pays du Golfe. « Saïed a bénéficié du soutien politique de la Russie et des États du Golfe, ainsi que de campagnes de désinformation visant à étouffer un modèle démocratique réussi susceptible de gagner du terrain ailleurs dans la région », notent -ils.
Saïed aurait utilisé les migrants comme boucs émissaires
Le Président tunisien est également pris à parti par les auteurs du rapport pour sa gestion du dossier des migrants. Pour eux, « Saied a également tenté de faire des migrants africains un bouc émissaire pour les maux du pays : taux de chômage de 15 %, taux d’inflation à deux chiffres plus de 10 %, flambée des prix des denrées alimentaires….
Le rapport s’attarde sur les exactions déshumanisantes subies par les migrants : intensification des fouilles et les détentions de migrants africains, leur abandon dans le désert le long de la frontière libyenne….
“Gagner en légitimité n’est pas un chèque en blanc. La légitimité n’est pas non plus statique.”
En conclusion le rapport estime que « l’environnement politique tunisien est beaucoup plus restreint qu’il ne l’était lors des élections de 2019 ».
Et le rapport de tirer les ensiegnements: « cette situation est riche d’enseignements pour d’autres partenaires démocratiques africains et internationaux. Gagner en légitimité n’est pas un chèque en blanc. La légitimité n’est pas non plus statique. La mise en place d’institutions démocratiques nécessite un travail politique difficile de compromis, de partage du pouvoir, de création de normes et de bonne volonté de la part de nombreux acteurs. Cependant, ces progrès resteront fragiles tant que cet équilibre des pouvoirs ne sera pas suffisamment fort pour résister à la détermination d’un acteur exécutif à consolider son pouvoir ».
Un rapport loin d’être objectif
Par delà cette analyse de la situation macro-politique de la Tunisie, par le Centre américain d’études stratégiques de l’Afrique, nous estimons que ce rapport est loin d’être objectif. Et pour cause. Il a occulté l’état dans lequel Kaïes Saïed a hérité le pays et l’effort qu’il a déployé pour stabiliser le pays et moraliser ses dirigeants politiques.
Le rapport a passé sous silence la contreperformance des islamistes au pouvoir pendant la décennie noire (2011-2021) : tentative d’instauration d’une dictature au nom de la religion, émergence du terrorisme, exacerbation de la contrebande et du blanchiment d’argent, surendettement du pays, dégradation générale de l’économie du pays …
La Tunisie est l’un des pays africains qui a connu le déclin le plus rapide de la gouvernance démocratique depuis son dernier cycle électoral
Le rapport n’a pas daigné évoquer l’ampleur de la corruption qui gangrène le pays et les limites de l’opposition et son peu d’ancrage dans la population tunisienne.
Morale de l’histoire : nous pensons, le plus simplement du monde, que les rapports des think tanks américains, tout comme leurs médias ne sont plus, hélas, crédibles. Ils sont scandaleusement partisans d’autres temps. Ils ne méritent pas qu’on s’y attarde.