En 1999, le Maroc et la Tunisie signaient un accord de libre échange. Les relations entre les deux pays étaient au beau fixe et les échanges à tous les niveaux dont sécuritaires, lesquels, même si Hassan II et ensuite Mohamed VI ne portaient pas le défunt Président de la Tunisie Zine El Abidine Ben Ali dans leur cœur, étaient importants. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et pas forcément dans le bon sens et la politique a vite fait d’altérer la qualité des relations économiques entre les deux pays. Les échanges commerciaux tuniso-algériens, ont, pour leur part, augmenté mais la Tunisie paye au prix fort le développement de ses relations commerciales avec l’Algérie. Elle est en train d’assumer les dizaines de milliers d’Africains mis sur ses frontières coté Algérien chaque jour que Dieu fait !
En 2022, une liste de 18 catégories de produits exportés de la Tunisie vers le Maroc, a été révisée par le Royaume. Aux opérateurs tunisiens, qui y voyaient une mesure injustifiée, le ministre marocain de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, avait affirmé que l’Accord de libre échange signé entre le Maroc, l’Égypte, la Tunisie et la Jordanie était toujours en vigueur mais entre actes et paroles, que de mots et de maux !
En 2023, les exportations tunisiennes à destination du Maroc ont reculé de 3%. A fin mars 2024, la baisse enregistrée a été de 19,6% avec un solde excédentaire en faveur de la Tunisie de 100,4MD, selon les chiffres publiés par l’INS.
Malgré une concurrence acharnée entre les deux pays dont les économies ont beaucoup de ressemblances, le Maroc a pendant longtemps été le troisième partenaire économique de la Tunisie au niveau maghrébin et arabe.
“En 1999, le Maroc et la Tunisie signaient un accord de libre échange. Les relations entre les deux pays étaient au beau fixe et les échanges à tous les niveaux dont sécuritaires.”
En 2021, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays avait atteint environ 1078,8 MD, dont 708,3 MD en exportations et 370,5 MD en importations.
En 2022, 1233,8 MD dont 850,6 MD en export et 370,5 MD d’import et en 2023, le total des échanges a été de 1325,4 MD dont 826,6 MD d’export et 498,8 MD d’import.
Le taux de couverture a été successivement de 191%, 222% et 166%. La commission mixte qui a eu lieu en 2012 ambitionnait des échanges commerciaux qui dépassent les 500 millions de dollars US en 2020. Des objectifs qui n’ont pas été atteints. Il faut reconnaître que les tensions politiques existantes entre les deux pays en rapport avec le Sahara occidental, n’ont pas été d’une grande aide pour la dynamisation des échanges économiques.
Avec l’Algérie, des progrès notables mais aux dépens de quoi ?
Avec l’Algérie, il y a eu des progrès assez significatifs s’agissant des échanges commerciaux. Les exportations tunisiennes ont augmenté en 2023 de 21%, plus qu’avec la Libye, autrefois premier partenaire économique de la Tunisie au Maghreb, dont les échanges ont progressé de seulement 7,6% en 2023. Échanges qui affichent au premier trimestre une régression de 35,1% à cause de la fermeture du passage frontière de Ras Jedir par suite des guéguerres entre milices libyennes.
Les échanges commerciaux avec l’Algérie peuvent-ils compenser les échanges avec les autres pays arabes ?
L’Algérie a signé avec la Tunisie au mois d’octobre 2023, à l ‘issue des travaux de la 22ème session de la Haute commission mixte tuniso-algérienne tenue à Alger, 26 accords bilatéraux dans les domaines de l’énergie, de l’industrie, du commerce, du transport, du tourisme et de l’investissement, ainsi que de la culture, de la numérisation, de l’habitat, de la jeunesse, des sports, de la formation professionnelle, de l’éducation nationale, du travail et de la protection sociale.
“Le gaz algérien continue à être vendu à la Tunisie au cours mondial sans conditions préférentielles ce qui a pour conséquence un solde commercial déficitaire en faveur de l’Algérie de 1130,1 MD.”
Le gaz algérien continue à être vendu à la Tunisie au cours mondial sans conditions préférentielles ce qui a pour conséquence un solde commercial déficitaire en faveur de l’Algérie de 1130,1 MD.
Ainsi le total des échanges entre les deux pays a été de 2215,5 MD en 2021, de 4929,5 MD en 2022 et de 5607,5 MD en 2023. Ces progressions en faveur de l’Algérie sont dues aux importations de plus en plus importantes de gaz naturel algérien.
Les taux de couverture ont été respectivement de 30,21, et 22%. La Tunisie a exporté pour tout juste 661,2 MD à destination de l’Algérie en 2021, 1021,1 MD en 2022 et 1230,8 MD en 2023.
L’exonération des droits de douane entre la Tunisie et l’Algérie et dont le premier accord remonte à 2008 et qui a été conforté en 2022 aurait pu être plus avantageux pour notre pays si ce n’est que l’Algérie est en train de faire le plus grand tort à la Tunisie en mettant sur ses frontières des milliers de subsahariens que cette dernière arrive mal à gérer.
Conséquence : des problèmes sociaux importants pour un pays dont la vision économique est approximative et dont les fondamentaux économiques sont fragiles.
Pourquoi l’Algérie ferme les yeux sur les milliers de migrants qui traversent ses frontières en direction de la Tunisie ?
Grande sœur ? Par la géographie peut-être ! Des mots qui sonnent faux, lorsque nous savons que l’Algérie n’a jamais toléré la présence à ses frontières (tracées par la colonisation française à son profit et aux dépens de la Tunisie) d’un voisin fort et souverain.
Un pays qui s’est distingué depuis son indépendance et grâce au génie du visionnaire que fût Bourguiba, par la qualité de ses ressources humaines, la justesse de ses politiques socio-économiques et la clairvoyance de sa diplomatie. Une clairvoyance qui a permis à la Tunisie d’être un arbitre neutre dans le conflit opposant le Maroc à l’Algérie sur la question du Sahara occidental !
Une Tunisie qui a protégé les frontières algériennes lors de la décennie noire, qui a accueilli les leaders de l’indépendance algérienne dans leur guerre contre l’occupant français et qui, pourtant, a dû souffrir, en 1980, d’un complot visant le régime Bourguiba soutenu par la Libye et l’Algérie !
“En 2022, une liste de 18 catégories de produits exportés de la Tunisie vers le Maroc, a été révisée par le Royaume.”
Aujourd’hui, plus que jamais, la position de l’Algérie doit être claire. La Tunisie ne sera jamais un vassal pour l’Algérie. Elle est trop grande par sa civilisation et son savoir et même si le printemps arabe l’a épuisée économiquement et institutionnellement, elle se relèvera un jour de ses “chutes”.
Encourager les échanges commerciaux avec la Tunisie, ne doit pas se faire aux dépens de sa souveraineté ou en lâchant des milliers de subsahariens sur ses frontières préférant la voir supporter le poids d’une immigration illégale qui est en train de mettre à mal tous ses équilibres -.
Aujourd’hui, nous devons savoir pourquoi l’Algérie ferme les yeux sur les milliers de migrants qui traversent ses frontières en direction de la Tunisie ?
La dernière rencontre des trois présidents (Tunisien/Algérien, Libyen) en apparence éminemment économique ne doit pas mettre la Tunisie devant l’obligation de choisir entre un pays maghrébin plutôt qu’un autre !
Quoiqu’il ait pu arriver entre la Tunisie et le Maroc, ce sont des pays très liés historiquement et sécuritairement. En 1980, le Roi Hassan II a déclaré, à la suite des événements malheureux de Gafsa, “La Tunisie ne sera jamais déstabilisée parce qu’elle est d’abord un peuple et on ne déstabilise pas un peuple”. Le Maroc avait, à l’époque, affirmé être prêt à soutenir la Tunisie par tous les moyens, y compris militaires.
Et cela, les Tunisiens, quels que soient leurs gouvernants, ne seront pas prêts de l’oublier.
Aujourd’hui, la Tunisie a plus que jamais besoin d’un partenaire économique qui traite d’égal à égal avec elle, qui respecte sa souveraineté et qui ne se prend pas pour son tuteur.
Historiquement la Tunisie a toujours observé une posture neutre et respectueuse avec tous ses partenaires internationaux. Elle est en droit d’attendre d’eux qu’ils se conduisent de même.
Amel Belhadj Ali