Les résultats provisoires de l’exécution du budget de l’État à fin décembre 2023 viennent d’être publiés par le ministère des Finances et maintenant que les chiffres réels des dépenses et des recettes ont été rassemblés, nous pouvons procéder à une évaluation objective de la qualité de l’exécution en elle même et voir à quel point l’État a honoré ses engagements et ses obligations.
La lecture de l’exécution du budget de l’État sur une année est importante. Elle nous donne une idée sur la régularité de la gestion, la soutenabilité des dépenses publiques et la conformité générale de l’exécution au regard des engagements budgétaires pris devant l’ARP dans le cadre de la loi de Finances et en l’occurrence, l’arbre ne doit pas cacher la forêt.
Une première lecture met en avant un décalage important entre les ressources extérieures d’emprunt, telles que prévues par le budget et les ressources réellement mobilisées, c’est à dire, une idée claire sur les crédits obtenus. L’écart constaté est de 5 milliards de dinars.
Alors que nous prévoyions la mobilisation de 10,5 milliards de dinars mentionnés d’emprunts extérieurs, mentionnés dans la loi de Finances rectificative publiée il y a quelques mois, 5,6 milliards de dinars ont, uniquement, pu être procurés. Pour combler l’écart, nous avons augmenté les mobilisations des crédits intérieurs de 11,3 à 13,2 milliards de dinars soit 2 milliards de dinars de plus et par recours à la trésorerie générale.
“La Tunisie, qui restera quand les personnes passeront, ne mérite-t-elle pas qu’on dise la vérité, toute la vérité et rien que la vérité sur la réalité économique du pays ?”
La trésorerie générale, dont, pour rappel, la mission principale est d’assurer en tout temps les obligations financières de l’État et valoriser ses actifs. En 2023, l’État y a puisé près de 3 milliards de dinars puisque des 3,9 milliards de dinars prévus dans la loi des Finances rectificative, nous avons atteint les 6,9 milliards de dinars.
Il s’agit là des fonds des entreprises publiques excédentaires telle que l’ETAP ou l’OACA qui auraient dû réinvestir dans l’amélioration et la maintenance de l’Aéroport Tunis-Carthage, aujourd’hui dans un état désastreux, des fonds postaux, des fonds gelés qu’une récente loi a décidé de “dégeler” pour le compte de l’État et ainsi de suite.
Mieux encore, ou pire selon les différents points de vue, il a été constaté, l’année dernière, et par rapport à la loi de Finances rectificative, que le déficit budgétaire en pourcentage a baissé. On y prévoyait un déficit de 7,7 %. L’exécution du budget fait dégager un déficit de 7,1% alors que réellement, il est de 7,6% (Voir article paru sur WMC sur l’analyse de Hechmi Alaya).
La raison est simple, on a calculé le déficit sur la base d’un taux de croissance qui n’a pas été actualisé selon les chiffres de l’INS. Un taux de croissance tombé de 0,9% à 0,4% ! La question est : pourquoi ne pas avoir réactualisé le taux du déficit budgétaire en prenant en compte les nouveaux chiffres et la situation réelle de l’économie nationale ? Et jusqu’à quand continuer à cacher le soleil par un tamis alors qu’il est plus simple de prendre son courage à deux mains et d’affronter la situation économique en y apportant des solutions réelles et audacieuses ?
Les recettes fiscales en recul
L’autre observation concernant l’exercice budgétaire touche aux recettes fiscales qui ont diminué ne répondant pas aux attentes et aux ambitions de l’exécutif et encore moins aux prévisions d’une loi de Finances rectificative arrêtée au mois d’octobre 2023!
On y prévoyait 39,5 milliards de dinars dont seulement 38 milliards de dinars ont été réalisées. Il s’agit là de 1,4 milliard de dinars de moins ! Ce recul reflète la souffrance des entreprises en grandes difficultés, censées créer des richesses pour satisfaire à l’appétit fiscal de l’État mais qui ne sont plus aussi prospères qu’elles l’étaient il y a quelques années et aussi un climat économique délétère qui n’encourage pas l’investissement et l’initiative privée.
“N’est-il pas temps aujourd’hui pour les décideurs publics patriotes et courageux de dire : osons, réfléchissons, argumentons, convainquons, soyons une force de propositions et décidons pour transformer le marasme national en une dynamique vertueuse pour la réédification de l’économie nationale ?”
Lorsqu’on fait des prévisions dans une loi de Finances, prend-on en compte ces facteurs ? La justesse des prévisions fait aussi défaut s’agissant des dons pour lesquels l’État prévoyait un montant de 1,5 milliards de dinar dont il n’a réalisé que la moitié soit 700 MD.
Pour ce qui est des dépenses, elles ont été réduites pour la compensation, ce qui veut dire que nous avons importé moins, expliquant certaines pénuries. La réduction des importations de carburant illustre, quoiqu’on veuille embellir le fait, une récession économique !
La lecture de l’exécution du budget fait ressortir un déficit budgétaire de 7,6% et un taux d’endettement élevé. A ce propos, nous ne pouvons pas ne pas déplorer le fait que l’Etat doive compenser en s’approvisionnant à hauteur de 7 milliards de dinars prélevés dans la trésorerie pour ensuite (deux mois plus tard) piocher à la BCT 7, milliards de dinars de plus.
En l’occurrence nombreuses sont les questions qui se posent :
- la Tunisie, qui restera quand les personnes passeront, ne mérite-t-elle pas qu’on dise la vérité, toute la vérité et rien que la vérité sur la réalité économique du pays ?
- jusqu’à quand continuera-t-on sur ce jeu de camouflage donnant l’impression que tout va bien dans le meilleur du monde alors que le malaise socioéconomique est perceptible et vécu par les acteurs économiques, le peuple et même la “populace” nourrie de grands discours et affamée dans son quotidien ?
- pourquoi ne pas reconnaître que la machine économique est grippée et que la situation actuelle nécessite de grandes compétences qui pourront mettre en place rapidement un plan de relance économique avec des mesures audacieuses qui pourront sauver ce qui peut-être aujourd’hui sauvé ?
- jusqu’à quand continuerons-nous sous des prétextes purement populistes cette politique aveugle de subvention/compensation qui fait perdre à l’État des montants énormes qui peuvent servir à des investissements publics dans les infrastructures et dans les secteurs vitaux du pays ?
- dans l’entourage du président de la République, n’y-a-t-il aucun haut responsable, réellement responsable, qui peut lui dire que les sociétés communautaires ne pourront pas, à elles seules, sauver les jeunes du chômage, ne pourront pas accroitre le taux de croissance ou mettre l’économie nationale au diapason des grandes économies à l’échelle régionale ? Ne pourra-t-on pas l’éclairer, le convaincre de la nécessité d’une stratégie économique faite par de véritables économistes maîtrisant les rouages de l’État et les logiques économiques ?
- comment convaincre le ministère des Finances qui a mis en place un arsenal impressionnant et coercitif pour lutter contre l’évasion fiscale et contre les infractions douanières et de changes de prendre des décisions tout aussi efficaces en imposant à titre d’exemple les caisses enregistreuses dans tous les commerces dans les boutiques, dans les cafés, les centres esthétiques et… et… et… ?
Un certain Ralph Waldo Emerson a dit “Celui qui veut tirer des enseignements de ses erreurs doit chaque jour apprendre à surmonter ses craintes”.
Les erreurs du régime Ben Ali étaient de ne pas avoir voulu ou su voir venir la tempête et en prime l’incapacité du modèle économique à satisfaire les attentes du peuple et répondre à ses ambitions, les craintes des ministres de Ben Ali, les ont empêché d’élever la voix pour dire que le pays devait changer de voie. S’ils l’avaient fait, ils auraient peut-être pu empêcher les comploteurs de l’extérieur et de l’intérieur de détruire les institutions et l’économie du pays par leur ignorance et leur incompétence !
N’est-il pas temps aujourd’hui pour les décideurs publics patriotes et courageux de dire : osons, réfléchissons, argumentons, convainquons, soyons une force de propositions et décidons pour transformer le marasme national en une dynamique vertueuse pour la réédification de l’économie nationale ?
Au lieu d’embellir les chiffres et de les justifier, ne devons nous pas les assumer et les améliorer ?