Intitulée « la migration des professionnels de santé : défis pour le système de santé tunisien », une récente étude publiée au mois d’avril 2024, par l’Institut Tunisien des Etudes Stratégiques (ITES), propose des compensations financières pour l’émigration des compétences tunisiennes vers l’étranger.
L’étude, qui couvre la période 2011-2023, propose des compensations sous forme de prélèvements sur les salaires ou de taxes sur les revenus des émigrants, en accord avec le pays de destination. Elle suggère également d’imposer un minimum d’années de travail dans le pays d’origine et un engagement de service civil dans les zones prioritaires.
Cette proposition est devenue impérative car au regard des statistiques, la situation des fuites des cerveaux pour les sociologues, ou fuite du capital humain pour les économistes, a atteint un seuil alarmant. D’où l’enjeu de réagir et de réfléchir sur des solutions pour y remédier
La situation atteint la cote d’alerte
Intervenant lors d’un récent dîner débat organisé, le 23 avril 2024, par la Délégation de l’Union européenne en Tunisie, sur la «relance des IDE dans le nouveau contexte mondial », le gouverneur de la banque centrale de Tunisie (BCT) Zouhair Nouria révélé des chiffres alarmistes sur le phénomène du « Brain drain ».
Selon le gouverneur de la BCT, « de nos jours la Tunisie perd, chaque année, 200 Millions de dollars par l’effet de la migration de ses cadres et un montant de 150 Millions d’euros destinés à financer les bourses d’étudiants tunisiens lesquels ne retournent pas, généralement, au pays une fois diplômés».
Pour sa part, Kamel Sahnoun, président de l’Ordre des ingénieurs tunisiens (OIT), a révélé, à maintes reprises aux médias une autre chiffre alarmant : quelque 6.500 ingénieurs quittent annuellement la Tunisie.
“La Tunisie perd chaque année 200 millions de dollars par l’effet de la migration de ses cadres et 150 millions d’euros destinés à financer les bourses d’étudiants tunisiens qui ne reviennent pas au pays.”
Cette fuite des compétences s’explique par plusieurs facteurs. En premier lieu, il y a la forte demande en ingénieurs à l’international, notamment par les pays développés. Cet intérêt trouve son origine dans la qualité des ingénieurs de la région qui bénéficient de formations de qualité, quasi identiques à celles des pays développés.
« De plus, ces ingénieurs s’adaptent rapidement à leurs nouveaux environnements. Ensuite, il y a bien entendu leurs salaires perçus en Tunisie autrement plus faibles comparativement à ceux pratiqués par des pays relativement comparables en termes de niveau de développement, comme le Maroc » a-t-il assuré.
“L’idée serait de taxer les travailleurs qualifiés expatriés au bénéfice de leurs pays pauvres d’origine.” – Jagdish Bhagwati, économiste indien
Cette fuite des compétences affecte, également, les médecins. Dans un entretien accordé à un magazine de la place, Dr Slim Ben Salah, ancien président du Conseil national de l’Ordre des médecins a évoqué cinq manifestations du phénomène :
Un, plus de 4000 médecins ont quitté la Tunisie entre 2019 et 2021 ;
Deux, prés de 50% de ceux qui ont terminé leur cursus universitaire et qui s’inscrivent au Conseil de l’Ordre quittent le pays ;
Trois, le phénomène ne touche pas seulement les jeunes médecins à la recherche d’emploi mais aussi les anciens médecins et les chefs de service.
L’ITES plaide pour l’impôt Bhagwati
Pour remédier à cette hémorragie de talents, l’ITES a proposé, donc, d’imposer une taxe aux pays de destination. En fait, cette idée n’est pas nouvelle. Elle a été proposée, depuis 1972, par l’économiste indien Jagdish Bhagwati.
Pour l’économiste l’idée serait de taxer les travailleurs qualifiés expatriés aux bénéfices de leurs pays pauvres d’origine. Concrètement, l’économiste souhaite instituer un impôt sur les salaires des expatriés de 10% sur 10 ans et réconcilier, ainsi, le droit à l’émigration et le développement des pays pauvres. Cet impôt qui porte depuis le nom de l’économiste « l’impôt Bhawati » a pour objectif de migrer du « brain drain » vers « le drain gain »ou gain des compétences.
“Pour faire revenir les cerveaux et transformer le Brain drain en Brain gain, il faut supprimer les causes qui ont poussé cette élite tunisienne à quitter le pays.”
Autre solution suggérée par l’actuel gouverneur de la BCT. Il a révélé qu’il est en train de travailler sur le rapatriement d’une partie de la diaspora tunisienne particulièrement de celle qui opère dans les finances.
Pour faire revenir les cerveaux et transformer le Brain drain en Brain gain, nous pensons que le gouverneur de la BCT se doit d’ œuvrer, en partenariat avec les budgétistes à supprimer les causes qui ont poussé cette élite tunisienne à quitter le pays.
Pour les rappeler succinctement, il s’agit de l’environnement général que cette élite juge inadapté et dont les manifestations consistent en le défaut de reconnaissance, conditions de travail difficiles, insécurité, conditions de vie précaire, manque de visibilité par rapport à l’avenir…