L’écrivain-journaliste jordanien multiprimé et lauréat de plusieurs prix dont le Prix International de Fiction Arabe, Booker en 2021, pour “Notebooks of the Bookshop Keeper», Jalal Barjas est actuellement en tournée littéraires dans plusieurs villes tunisiennes.

Cette tournée s’inscrit dans le cadre d’un long périple de l’auteur qui le mènera vers d’autres pays arabes. Jalal Barjas est à l’honneur en Tunisie à travers des rencontres-débats suivies de séances de dédicaces de ses romans parus chez son éditeur tunisien « Miskiliani Editions »: ” Women of the Five Senses”, ” Snakes of Hell”, “Notebooks of the Bookshop Keeper”, « The Duduk’s Whimper » (2023), un roman autobiographique qui a atteint la shortlist, catégorie littérature, du prestigieux prix émirati « Sheikh Zayed Book Award » 2024.

Jalal Barjas est un poète et romancier jordanien né en 1970 à Madaba, ville millénaire au sud de Amman réputée pour ses mosaïques. Ses débuts étaient dans le domaine de l’ingénierie aéronautique. Pendant de nombreuses années, il a écrit des articles pour des journaux jordaniens et a dirigé plusieurs organismes culturels.

Barjas est un auteur multiprimé et traduit dans plusieurs langues. Son travail publié comprend deux recueils de poésie, des nouvelles, de la littérature de voyage et des romans.

Il est actuellement à la tête du Laboratoire narratif jordanien, rédacteur en chef du magazine « la voix de la génération » (Voice of generation) et présente, depuis des années, une émission de radio intitulée “House of the Novel”. Il a également été membre de jury dans de nombreux concours littéraires arabes.

A l’occasion d’une rencontre-débat organisée, dans une librairie de la Capitale, la TAP a eu une interview avec Jalal Barjas autour de sa pratique de l’écriture littéraire et journalistique et la présence des questions de l’époque dans le roman.

Interview

En tant qu’un écrivain-journaliste, quelle est la ligne qui sépare les deux professions ?

Après avoir travaillé quelques années dans la presse jordanienne, je me suis rendu compte que l’écriture journalistique a son propre style et son propre vocabulaire. Elle a ce langage direct qui va vers l’événement et essaye de convaincre le lecteur et présente l’événement avec toutes ses circonstances et ses détails qu’il soit politique social ou autre. De là, j’estime qu’il y a bien une grande différence entre l’écriture littéraire et l’écriture journalistique.

Fort heureusement, j’ai abandonné le journalisme, depuis des années, dans le sens où je me suis débarrassé de certains vocabulaires qui pourraient faire irruption dans l’écriture du roman. Quoiqu’elle soit toujours là, mais pas au point de gâcher le travail littéraire car j’essaye de créer un barrage entre les deux genres d’écriture, journalistique et littéraire.

Actuellement, ma pratique du journalisme se limite à l’article, ce qui est à mon avis loin d’avoir une influence sur le roman.

De l’ingénierie aéronautique, au journalisme jusqu’à la littérature : Comment expliquez-vous ce parcours professionnel unique ?

Après avoir terminé mon travail au sein de La Force aérienne royale jordanienne (Royal Jordanian Air Force – RJAF), dans l’ingénierie des avions, j’avais envie de satisfaire cette grande passion pour le journalisme. Je pensais que ce secteur permet à celui qui le pratique de fréquenter le milieu littéraire et être assez proche du secteur du livre et des écrivains.

Je n’avais pas la moindre idée que la profession de journaliste pourrait affecter l’écrivain, le perturber et drainer toute son énergie. Finalement, j’ai réussi à réaliser mon rêve de faire du journalisme.

Mais quand j’ai appris que cette profession pourrait constituer une menace pour mon rêve de devenir écrivain, j’ai renoncé immédiatement.

Quel est l’avantage d’avoir un prix littéraire surtout que vous-même vous êtes lauréat de plusieurs distinctions ?

Le fait d’avoir un prix a plusieurs avantages. La chose la plus importante, c’est qu’il élargi le cercle du lectorat de l’auteur et c’est d’ailleurs ce à quoi l’auteur rêve, c’est-à-dire de voir son livre édité, dans les librairies et les salons du livre.

Encore plus, tout prix littéraire constitue une reconnaissance pour l’auteur, d’un côté, et une façon de rendre hommage à son œuvre de l’autre.

Le prix littéraire pourrait bien aussi créer une certaine confusion chez l’écrivain dans le sens où il aura tendance à se préoccuper de sa nouvelle œuvre. Il se pose les questions du genre ; sera-t-elle mieux que la précédente ? Va-t-elle remporter un prix ?, tout en étant nourri de l’ambition d’évoluer davantage.

Cette façon de voir les choses ou de penser est certainement erronée, à mon avis, et conduira à l’échec de l’écrivain.

Au final, l’écrivain ou le romancier est un être humain. Il pourrait produire une œuvre assez réussie, célèbre et lue, tout comme il pourrait ultérieurement produire une œuvre qui n’aura pas, malgré son importance et sa qualité, le même accueil chez les lecteurs.

Je ne veux pas évoquer l’élément de chance là-dessus mais il est clair, il existe souvent des raisons invisibles derrière toute réussite ou tout échec. Là, je donne l’exemple du journaliste et écrivain colombien de langue espagnole Gabriel Garcia Marquez (6 mars 1936-17 avril 2014), prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre 1982 et l’un des auteurs les plus significatifs du 20ème siècle. Ses œuvres publiées après son célèbre roman «Cent Ans de solitude », n’ont pas toutes le même accueil ; certains lecteurs n’ont pas aimé alors que d’autres pensent qu’elles sont plus intéressantes que ce roman qui était à l’origine de son couronnement du prix Nobel de Littérature.

De là, suite à une période assez confuse ayant suivi les distinctions reçues, personnellement je me suis épargné de toute pensée sur les exigences de ma prochaine œuvre en ayant pour but de faire plaisir au lecteur à travers un roman qui prolongerait cette réussite.

Quelle proximité pourrait avoir le romancier dans ses œuvres avec les questions de son époque ?

Je peux donner l’exemple de l’écriture en temps de crise, comme c’était le cas en 2020 avec la pandémie du covid. L’écriture en une période pareille n’est pas adéquate à mon avis. Il fallait attendre un plus de temps avant que l’auteur ne saisisse l’ampleur de ce qui s’est passé.

A ce sujet, je peux également évoquer Gabriel Garcia Marquez et son roman « L’Amour aux temps du choléra » qui n’a pas été écrit durant la période de la crise sanitaire. Il a fallu plusieurs années avant que l’auteur puisse publier un roman sur la pandémie.

Actuellement et avec toutes les questions qui préoccupent le Monde arabe, en Palestine et à Gaza notamment, il est possible d’écrire sur ce qui se passe. Mais, personnellement je préfère que la littérature rentre dans la profondeur de n’importe quelle question et avec un peu de recul.

Dans la poésie il est tolérable et recommandé car c’est un genre littéraire assez réactif alors que pour le roman l’auteur a besoin de plus de temps afin d’assimiler et comprendre ce qui s’est passé. D’ailleurs, je ne nie pas non plus le rôle de l’article ou encore tous les genres littéraires à soutenir la cause palestinienne, mais, à mon avis, le texte littéraire doit être entier et parfait.